Commençons par enfoncer une porte ouverte. Les versions de concert des opéras ne seront jamais des représentations scéniques et le théâtre ne pourra en conséquence y avoir la part prépondérante d’une action dramatisée par une mise en scène qui, outre les décors, les lumières et les costumes, repose sur une direction d’acteurs. Donc, sachant les limites du procédé il faut que les auditeurs – nous employons précisément ce terme à bon escient – s’en accommodent et s’en convainquent dans la mesure où l’émotion ne peut pas être la même dans un cas comme dans l’autre.
Reste donc seulement l’aspect vocal et le Simon Boccanegra auquel nous avons assisté demeurera un souvenir important au regard de la beauté des voix. Bien sûr, dans le duo qui clôt la première scène de l’acte 1 où Simon découvre qu’Amélia est sa fille, rien ne remplacera jamais l’effusion qu’un habile metteur en scène pourra mettre en œuvre sur un plateau alors que, dans une salle de concert, les deux interprètes chantent à plusieurs mètres l’un de l’autre, séparés par le chef d’orchestre, et les yeux souvent rivés sur la partition ! Mais, au travers des voix et de la musique, chaque spectateur peut laisser s’évader son imagination pour reconstruire par la pensée l’action scénique. Dans ce concert proposé à l’Auditorium Rainier III, il faut d’abord louer l’extraordinaire direction de Pinchas Steinberg. Le chef israélien nous a toujours subjugués et nous nous souvenons de ses exceptionnelles prestations de La Fanciulla del West au Grimaldi Forum et d’une Tragédie Florentine couplée avec Paillasse à la salle Garnier de Monte-Carlo. Le regard acéré, le geste impérial, la stature dominant orchestre, chœur et interprètes, Pinchas Steinberg délivre une lecture flamboyante de l’œuvre de Verdi, tenant l’auditoire en haleine de la première à la dernière note sans que la tension ne retombe jamais. Il est vrai que Simon Boccanegra a toujours été affaire de grands maestros et nous nous souvenons avec émotion de la représentation milanaise de cet ouvrage sous la baguette de l’immense Claudio Abbado.
Pour Ludovic Tézier c’était une prise de rôle. Le baryton marseillais est désormais une vedette incontestée sur le plan international pour s’être produit dans les plus grandes capitales lyriques de New York à Salzbourg en passant par Londres, Milan ou Glyndebourne. On ne sait qu’admirer dans cette voix remarquablement conduite, qu’il s’agisse de la beauté du timbre, de la parfaite articulation ou de la maîtrise du legato qui en font le digne successeur d’un Ernest Blanc. A ses côtés Sondra Radvanovsky a les moyens opulents d’un grand soprano dramatique (elle est à la fois Manon Lescaut, Norma ou encore Elisabetta de Roberto Devereux) pour rendre au personnage d’Amélia tout son sens, aussi bien dans les éclats que dans la douceur. A l’origine, Andrea Mastroni devait interpréter le rôle de Jacopo Fiesco, mais la maladie lui a fait céder sa place pour la première à Vitalij Kowaljow et, pour la seconde, à Carlo Colombara qui allie l’ampleur vocale aux graves sépulcraux qui sont exigés pour ce genre de rôle. Ramon Vargas trouve en Gabriele Adorno un emploi qui convient à ses moyens de ténor lyrique qui conjugue chaleur et expressivité, tandis que André Heyboer est, en Paolo Albiani, un traitre parfait à tous égards. La participation du Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo est impressionnante par son ardeur et son implication. Ce Simon Boccanegra a obtenu de très longs applaudissements d’un public enthousiaste.
Christian Jarniat
8 mars 2017