Mais mis à part l’effet d’échelle pour la confection des décors, les concepts restent les mêmes, en particulier la présence continue sur scène du pianoforte tenu par Hana Lee en raison de l’importance des récitatifs dans l’esprit du metteur en scène. La musicienne est d’ailleurs intégrée dans le spectacle, allant et venant derrière les paravents, ou s’éclipsant lorsqu’elle ne joue pas. Puis les toiles se lèvent au fur et à mesure dans les cintres, pour laisser une surface plus confortable à disposition au second acte. La venue de trois chèvres – elles étaient quatre en 2014 ! – fait toujours pouffer le public, au moment où le personnage d’Arsace s’est retiré sur les rives de l’Euphrate, parmi les bergers et bergères. On peut rappeler brièvement l’intrigue de cet opéra créé en décembre 1813 au Teatro alla Scala et très rarement représenté de nos jours : l’empereur romain Aureliano s’éprend de Zenobia, reine de Palmyre, celle-ci amoureuse et aimée d’Arsace, prince de Perse. Après moult assauts amoureux auprès de Zenobia, menaces proférées envers Arsace et batailles guerrières, menées par Aureliano, celui-ci cèdera finalement en s’inclinant devant la fidélité inébranlable de Zenobia et pardonnant à la manière du Tito mozartien.
Il est sans doute difficile de succéder à l’Aureliano de Michael Spyres, quoi que celui-ci n’était pas dans sa meilleure forme vocale en 2014, mais Alexey Tatarintsev assume crânement le rôle ce soir. Le ténor ne manque pas de vaillance et tient longuement certaines notes aigües à pleine voix, même si la réalisation n’est pas toujours à la hauteur de ses très bonnes intentions, par exemple avec des notes les plus graves difficilement audibles et le chanteur qui semble tout de même de plus en plus tendu au cours de la représentation. Sara Blanch fait une démonstration vocale en Zenobia, soprano colorature d’une exquise musicalité, rompue au chant d’agilité qui enchaîne notes piquées et enfilades de vocalises. Elle sait aussi colorer d’une agréable douceur les aériennes cantilènes, placées en général au milieu de la plupart des airs en trois sections dans cette partition rossinienne.
La mezzo Raffaella Lupinacci, qui nous avait fait une belle impression en 2014 alors qu’elle chantait le rôle de Publia, interprète à présent Arsace et remporte tous les suffrages. La voix sonne avec le plus de volume au sein de la distribution et lui procure ainsi davantage d’impact et de présence, ceci dès les récitatifs d’un beau relief dessiné par le pianoforte ou l’orchestre. L’agilité est également maîtrisée et paraît se dérouler avec naturel, capable de brillant comme dans sa grande scène du second acte « Perché mai le luci aprimmo », introduite par une substantielle partie de l’ouverture du Barbiere du Siviglia et conclue par une cabalette menée avec abattage. A noter aussi plusieurs duos entre les deux protagonistes féminines, dignes de la meilleure inspiration du compositeur et n’ayant rien à envier à ceux de Semiramide, ainsi que des trios entre les trois figures principales. Dans les rôles plus secondaires, on remarque la voix richement timbrée et bien posée de la mezzo Marta Pluda en Publia, tandis que la basse Alessandro Abis dégage une certaine autorité dans le médium mais montre des fragilités aux extrémités, profondeur limitée dans le grave et aigus pas toujours sereins. Il est bien dommage en revanche que Rossini n’ait pas prévu d’airs pour le ténor Sunnyboy Dladla et la basse Davide Giangregorio, on aurait aimé entendre ces voix plus que prometteuses.
L’Orchestra Sinfonica Gioachino Rossini qui officiait en fosse en 2014 accusait alors des faiblesses techniques récurrentes, en termes de décalages entre les pupitres et de défaillances de plusieurs solos instrumentaux, mais il en va complètement différemment ce soir. Sous la baguette de George Petrou, chef grec qu’on connaît beaucoup dans le répertoire baroque, la musique est tour à tour vive, délicate, extrêmement bien détaillée pour laisser entendre distinctement tous les pupitres. Les contrastes puisent dans une large gamme mais évitent les moments assourdissants, pour produire en général une musique vivante bien en ligne avec l’action sur scène. Nous évoquions récemment les auto-emprunts rossiniens et l’ouverture en est un exemple flagrant. Chronologie oblige, il faut préciser que celle du Barbiere di Siviglia (1816) est un réemploi du premier jet établi pour Aureliano in Palmira (1813), à l’origine une composition pour ce dramma serio et pas spécialement bouffe donc comme nous l’avons tous et toutes à l’esprit et dans les oreilles ! Bravo en tout cas à cet Orchestra Sinfonica Gioachino Rossini qui peut se hisser à un tel niveau de qualité sous la conduite d’un chef de valeur, tandis qu’on apprécie également les choristes du Teatro della Fortuna de Fano, qui s’expriment dans une acoustique bien équilibrée avec la formation orchestrale.
Belle réception du spectacle aux saluts par un public qui est toutefois loin de faire le plein en cette soirée de première.
Irma FOLETTI
12 août 2023
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Direction musicale : George Petrou
Mise en scène : Mario Martone
Décors : Sergio Tramonti
Costumes : Ursula Patzak
Lumières : Pasquale Mari
Collaboration à la mise en scène : Daniela Schiavone
Aureliano : Alexey Tatarintsev
Zenobia : Sara Blanch
Arsace : Raffaella Lupinacci
Publia : Marta Pluda
Oraspe : Sunnyboy Dladla
Licinio : Davide Giangregorio
Gran Sacerdote : Alessandro Abis
Un Pastore : Elcin Adil
Orchestre : Orchestra Sinfonica G. Rossini
Chœurs : Coro del Teatro della Fortuna