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Rossini Opera Festival Eduardo e Cristina à Pesaro, Vitrifrigo Arena

Rossini Opera Festival Eduardo e Cristina à Pesaro, Vitrifrigo Arena

vendredi 11 août 2023
Anastasia Bartoli et Enea Scala ©Amati Bacciardi
Dernier titre à ne jamais avoir été joué au Rossini Opera Festival (ROF) parmi les 39 opéras du compositeur, Eduardo e Cristina fait l’ouverture de la 44ème édition de la manifestation. Un millésime un peu particulier pour ce qui concerne les lieux de représentation, puisque le joli Teatro Rossini en plein centre de Pesaro est provisoirement fermé à la suite des séismes enregistrés ces derniers mois et qu’en conséquence, les trois grandes productions d’opéra sont représentées à la Vitrifrigo Arena, vaste palais omnisports sans charme en périphérie de la ville qui accueille habituellement grands évènements culturels et sportifs.

Opéra créé en avril 1819 à Venise, Eduardo e Cristina vient immédiatement après Ricciardo e Zoraide (San Carlo de Naples, décembre 1818) et surtout Ermione (San Carlo de Naples, mars 1819)… et cela s’entend ! Les auto-emprunts musicaux opérés par Rossini – grand précurseur du copier-coller ! –, sont en effet extrêmement nombreux, les partitions recyclées ne se limitant d’ailleurs pas aux deux citées précédemment. Même si on entend des modifications sensibles dans les passages déjà connus, en termes d’orchestrations ou de tonalités, les réutilisations sont plus nombreuses que les parties composées spécifiquement, au point que l’ouvrage est souvent considéré comme un « centone », soit un pastiche en français. L’intrigue part du couple Eduardo et Cristina, déjà marié secrètement et ayant un enfant, le petit Gustavo (rôle muet). Le père de Cristina, Carlo roi de Suède, veut marier sa fille à Giacomo, prince d’Ecosse. Après emprisonnement du couple, Eduardo sauvera finalement la patrie en combattant l’ennemi russe et l’intrigue trouvera une conclusion heureuse.

Pour sa première participation au ROF, Stefano Poda signe un spectacle où il assure, comme à son habitude, l’ensemble des tâches relevant de la réalisation visuelle, y compris les chorégraphies conçues pour la petite vingtaine de danseurs et danseuses omniprésents sur le plateau. Le décor monumental en met certes plein les yeux, quoique l’effet de surprise est moindre pour les spectateurs connaissant, par exemple, les images de son Ariane et Barbe-Bleue de Dukas, montée au Capitole de Toulouse en 2019. Comme dans la ville rose, le blanc domine ce soir, ainsi que le concept d’amoncellement. Aux enchevêtrements de corps à Toulouse succèdent ici des morceaux de statues sur toute la paroi du fond, tandis que des statues de corps comme pétrifiés gisent sur plusieurs niveaux étagés jusqu’aux cintres. Nous ne quittons du reste pas la symbolique de la statue, puisque l’ensemble des danseurs, choristes et solistes – à l’exception de Cristina – montrent des visages et cheveux plus ou moins maquillés de blanc, entre un peu de poudre dans les cheveux d’Eduardo jusqu’à de généreuses couches semblables à du plâtre sur les figures des choristes.

Sur un plateau tournant utilisé sans excès, les danseurs et danseuses sont sollicités à peu près en permanence : ils se jettent au sol avant de se relever mécaniquement, puis recommencent, dansent, se contorsionnent à terre, se regroupent en des poses parfois sensuelles la bouche grande ouverte, parfois sexuelles en se frottant ou faisant mine de se lécher. Tout est question de dosage, mais la surprise et l’intérêt de la première fois sont rapidement remplacés par la saturation ou l’agacement du procédé quand il est trop utilisé. C’est aussi l’agitation qui règne sur scène, avec trop peu de moments intimes où les protagonistes se retrouvent vraiment seuls. Si esthétique qu’elle soit, la production du metteur en scène italien ne caractérise pas vraiment au plus près l’ouvrage rossinien ; on peut même se demander si son spectacle n’aurait pas mieux convenu à Norma de Bellini ou Iphigénie en Tauride de Gluck… Quelques huées au rideau final marqueront la désapprobation de certains spectateurs. 

La distribution vocale est de bon niveau, après ses débuts au ROF en 1996 (Ricciardo e Zoraide) et son dernier rôle d’opéra en 2011 à Pesaro (Adelaide di Borgogna), Daniela Barcellona est de retour pour y incarner Eduardo. Mais la mezzo, qui a fortement élargi son répertoire depuis et chanté Verdi en particulier, n’est plus aujourd’hui la chanteuse entendue précédemment dans de glorieux emplois rossiniens. Si certains aigus évoquent encore de beaux souvenirs, le registre grave sonne trop discrètement. Son air d’entrée n’est applaudi que poliment, tandis que la qualité s’améliore toutefois sensiblement au second acte. En débuts au ROF, Anastasia Bartoli incarne quant à elle une Cristina à la santé vocale impressionnante : puissance de la projection, autorité de l’accent et musicalité sans faille alliée à une agilité déliée. On reconnaît d’ailleurs à de brefs instants la filiation avec Cecilia Gasdia, qui brûlait les planches du ROF il y a bientôt quarante ans, par certaines intonations ou expressions du visage. On souhaite revoir vite la jeune soprano (32 ans) dans ce répertoire… et d’autres aussi, en se souvenant de sa Lady Macbeth de Verdi la saison passée à l’Opéra de Marseille.

Titulaire du rôle-titre d’Otello ici-même l’année dernière, on retrouve Enea Scala en Carlo, plus baritenore que jamais. Le grave sonne en effet avec opulence et lui permet de gérer de spectaculaires intervalles avec son registre aigu, où les notes se resserrent cependant pour certaines d’entre elles. Ces grands écarts sur la partition sont illustrés au mieux par le grand air en trois sections « D’esempio alle alme infide », presqu’à l’identique de « Balena in man del figlio » chanté par Pirro dans Ermione. L’interprète joue aussi son rôle de méchant avec gourmandise, donnant quelques coups de pieds à tout ce qui bouge (… pauvres danseurs !) et restant prêt à faire tuer sa fille et son petit-fils si celle-ci n’obéit pas. Matteo Roma (Atlei) fait bonne figure en second ténor et se montre généreux dans son chant, d’un grave bien exprimé jusqu’à l’aigu qui reste sous maîtrise malgré une petite fragilité. Grigory Shkarupa (Giacomo) est une basse solide et sonore, peu sollicité toutefois en souplesse et agilité dans cette partition.

Jader Bignamini dirige un Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI bien préparé et techniquement solide, ne serait-ce un hautbois qui grippe légèrement sur une attaque ou encore un cor au son plus prosaïque sur une brève séquence. Le chef anime cette partition avec une variété de couleurs et de nuances, n’hésitant pas à accélérer certaines fins d’airs ou ensembles, le procédé ayant tout de même tendance à se répéter. L’oreille est un peu moins convaincue par les choristes du Teatro Ventidio Basso, parfois peu présents acoustiquement, en particulier pour ce qui concerne les ténors. 
Applaudissements chaleureux aux saluts pour l’ensemble des chanteurs et musiciens.

Irma FOLETTI
11 août 2023

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Direction musicale : Jader Bignamini
Mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie : Stefano Poda
Collaboration à la mise en scène : Paolo Giani

Carlo : Enea Scala
Cristina : Anastasia Bartoli
Eduardo : Daniela Barcellona
Giacomo : Grigory Shkarupa
Atlei : Matteo Roma

Orchestre : Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI
Chœurs : Coro del Teatro Ventidio Basso

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