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Polifemo de Porpora à Mulhouse : on en prend plein dans l’œil… et les oreilles !

Polifemo de Porpora à Mulhouse : on en prend plein dans l’œil… et les oreilles !

mardi 27 février 2024

©Klara Beck

Après avoir été créé à l’Opéra de Strasbourg début février, le nouveau spectacle commandé par l’Opéra national du Rhin, maison qui se produit tout au cours de sa saison à Strasbourg, Mulhouse et Colmar, fait étapes pour deux dates au Théâtre de la Sinne à Mulhouse, avant une dernière le 10 mars au Théâtre municipal de Colmar. Nous avons eu la chance d’assister à la deuxième soirée au Théâtre de la Sinne, dont la taille modeste permet au public une proximité visuelle privilégiée avec les artistes sur scène, ainsi qu’une acoustique confortable.

La création de l’ouvrage à Londres en 1735 recueillit un succès considérable, en présence des meilleures vedettes de l’époque, comme les deux castrats de légende Senesino et Farinelli, ainsi que la soprano Francesca Cuzzoni, la basse Antonio Montagnana et la contralto Francesca Bertolli. Si l’Opéra du Rhin en donne la première en France, l’ouvrage n’est toutefois pas inconnu des lyricophiles, puisque le festival d’opéra baroque de Bayreuth le mettait à son affiche à l’été 2021, avec un enregistrement disponible depuis. Le livret de Paolo Rolli a l’originalité de convoquer deux récits mythologiques, d’une part la romance pastorale tirée des Métamorphoses d’Ovide où le berger Acis épris de Galatée, se fait tuer par le jaloux Polyphème, et de l’autre le voyage d’Ulysse extrait de L’Odyssée d’Homère, où le héros se fait capturer par Polyphème, après être tombé amoureux de la nymphe Calypso.

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©Klara Beck

L’affiche de cinéma « Polifemo » déployée sur scène avant le début de la représentation, dans le style des péplums Spartacus ou Ben-Hur des années 1960, nous annonce les choix du metteur en scène Bruno Ravella, qui transpose l’action sur le tournage d’un film. C’est d’abord le réalisateur, qui prendra ensuite le rôle de Polifemo, qui tente de séduire l’actrice Galatea, par des approches un peu lourdes qui nous placent d’ailleurs dans l’actualité #MeToo du cinéma français. Aci est un peintre-décorateur habillé de son blanc de travail tacheté, une énorme caméra sur pied filme toutes les séquences – mais sans projections vidéos pour une fois ! – et les décors de carton-pâte mis en place à vue produisent de beaux effets visuels. On enchaîne en effet très rapidement entre les tableaux successifs : on pousse régulièrement les rochers, le cyclope Polifemo menace ensuite, du haut du volcan, Ulisse et ses amis transformés en miniatures par le biais de marionnettes, avant qu’Ulisse ne vienne à bout du cyclope plus tard en enfonçant un pieu dans l’œil de la tête géante du monstre. L’humour n’est pas absent non plus, comme lorsque des moutons sur roulettes sont amenés sur le plateau pendant qu’Ulisse chante son air doux « Fortunate pecorelle ». Au dernier acte, c’est aussi un projecteur géant qui écrase Aci, au lieu du rocher lancé par Polifemo.

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©Klara Beck

Concernant la distribution vocale, une annonce d’importance est faite au préalable, indiquant que le contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian, tombé malade, ne peut assurer le rôle d’Ulisse. Il joue tout de même sur scène, dans son costume sur-mesure aux faux pectoraux et biceps, qui serait certainement difficile de passer sans retouches à un autre titulaire, tandis que la mezzo Camille Bauer chante sur le côté. La jeune chanteuse est membre de l’Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin et sauve ainsi la soirée, en ayant appris le rôle en deux jours, remplaçante également lors de la soirée précédente du 25 février. Le choix de la placer dans la première loge d’avant-scène à cour est judicieux, lieu plus favorable à la voix qui n’a ainsi pas à franchir la fosse d’orchestre. La couleur vocale est bien en situation, rappelant d’ailleurs celle de plusieurs contre-ténors, la technique est en place et elle s’exprime le plus aisément dans sa zone de confort du médium, tandis que les notes les plus graves accusent par instants de petits temps faibles.

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©Klara Beck

Dans ces conditions, deux artistes dominent le plateau vocal, à commencer par Franco Fagioli distribué en Aci et qui délivre son premier air « Dolci, fresche aurette grate » perché au sommet de son escabeau métallique, donnant de vrais-faux coups de pinceaux au décor, à la manière d’un Mario Cavaradossi dans l’église Sant’Andrea della Valle du premier acte de Tosca. Ses interventions se font de plus en plus séduisantes, entre pureté des aigus, trilles interminables, roulades et traits d’agilité d’un fol abattage, tout ceci en disposant d’un souffle qui semble inépuisable par moments. La fin de la représentation devient irrésistible, lorsque Aci est délivré du rocher et ressuscité en dieu, chantant le tube de l’opéra « Alto Giove », morceau rendu célèbre par le film Farinelli. Fagioli délivre alors le meilleur de son style élégiaque, qui contraste avec le long air virtuose « Senti il fato ch’è già fisso » un peu plus tard, alternant voix de tête et de poitrine et osant certains intervalles d’une excitante acrobatie.

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©Klara Beck

Dans le rôle de son amoureuse Galatea, la soprano néozélandaise Madison Nonoa fait aussi grande impression, timbre charmant, musicalité très précise, technique bien huilée pour passer ses traits d’agilité et extension facile vers son registre le plus aigu. Le volume n’est pas surpuissant, mais l’oreille s’adapte rapidement dans ce théâtre aux dimensions réduites. Son air très doloriste du troisième acte « Smanie d’affanno » fait passer l’émotion, l’interprète s’allongeant à terre en même temps qu’elle chante, avant de paraître seule devant le rideau noir tiré. Pour les autres rôles féminins, la Calipso de Delphine Galou déçoit, timbre certes grave et sombre de contralto, mais qui manque réellement d’ampleur pour toucher. Le contraste est d’ailleurs frappant entre la partie vocale et son très bon jeu théâtral, endossant ce soir les habits de l’actrice vedette, plutôt antipathique avec ses consœurs. On lui préfère Alysia Hanshaw en Nerea, voix de soprano sainement et fermement projetée. Même s’il n’est pas le plus sollicité de l’opus, il ne faut évidemment pas oublier le rôle-titre de Polifemo, défendu par José Coca Loza de sa voix de basse souple et suffisamment puissante, même si le creux le plus profond dans le grave sonne moins généreusement. A signaler encore que le chanteur est parfois sonorisé pour les besoins de la réalisation visuelle, surtout pour ses récitatifs, par exemple quand il est placé au sommet du volcan, ou encore que sa tête géante apparaît sur le plateau.

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©Klara Beck

Emmanuelle Haïm, placée aux commandes de son ensemble Le Concert d’Astrée, spécialisé dans ce répertoire, produit d’emblée une musique à la forte énergie, en choisissant des tempi plutôt rapides qui font avancer l’action sans traîner. On admire la virtuosité des pupitres de cordes, aussi invités régulièrement à mettre un franc mordant dans leurs attaques. Les instruments à vent sont aussi présents en nombre, on peut citer le hautbois qui donne un accompagnement de très belle qualité, sinon parfaite, à Franco Fagioli au cours de son air « Lusingato dalla speme », qui tourne par séquences au dialogue entre les deux artistes.

Irma FOLETTI

Mulhouse, Théâtre de la Sinne le 27 février 2024

Direction musicale : Emmanuelle Haïm

Mise en scène : Bruno Ravella

Décors et costumes : Annemarie Woods

Lumières : D.M. Wood

Distribution :

Aci : Franco Fagioli

Galatea : Madison Nonoa

Ulisse : Paul-Antoine Bénos-Djian / Camille Bauer

Calipso : Delphine Galou

Polifemo : José Coca Loza

Nerea : Alysia Hanshaw

Le Concert d’Astrée

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