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Madama Butterfly au Teatro Massimo de Palerme

Madama Butterfly au Teatro Massimo de Palerme

vendredi 23 février 2024

©Rosellina Garbo

Le Teatro Massimo de Palerme commémore cette année le centenaire de la mort de Giacomo Puccini décédé à Bruxelles en novembre 1924. Il a repris pour huit représentations Madama Butterfly dans la mise en scène que Nicola Berloffa créa à Palerme en 2016 en coproduction avec le Festival d’opéra de la Macerata. Au pupitre, le directeur musical du théâtre Omer Meir Wellber. Le chef de chœur est Salvatore Punturo.

Depuis sa création désastreuse à la Scala de Milan le 17 février 1904, Madama Butterfly est devenu un des opéras les plus appréciés de Puccini. La tragédie japonaise en deux actes, sur un livret d’Illica et Giacosa, avait subi à la Scala de Milan une chute complète, que la presse de l’époque avait qualifiée d’irrémédiable. « C’est avec une profonde douleur, disait un journal, que nous avons dû assister à l’insuccès de cet opéra, malgré les qualités, dont certaines vraiment remarquables, éparses çà et là dans ces deux longs actes de musique. » Et un autre : « Madama Butterfly est tombée : voilà la douloureuse constatation. Malgré la sympathie du public envers l’auteur de la Bohème, la catastrophe s’est dessinée dès le principe, irrémédiable, bruyante, se manifestant en certains cas d’une façon souvent vulgaire ». Les sifflets, en, effet, s’étaient vigoureusement mis de la partie. Suite à ce fiasco, les librettistes et l’éditeur Ricordi firent aussitôt retirer l’opéra qui ne fut pas non plus représenté à Rome comme il était prévu. À la décharge de Puccini et des auteurs du livret, l’échec de la première fut attribué au rôle dévastateur d’une claque programmée qui s’appliqua tout au long de la soirée à faire choir l’opéra. « Grognements, huées, beuglements, rires, quolibets, ricanements, les habituels cris solitaires des rappels faits exprès pour exciter encore plus les spectateurs, voilà, en résumé, ce que fait le public de la Scala à la nouvelle œuvre du maestro Giacomo Puccini. Après ce pandémonium, où l’on n’a presque rien entendu, le public quitte le théâtre heureux comme un roi », écrivait Ricordi peu après la première.

Maria Agresta Cio cio san © rosellina garbo 2024 GRG9397 1
©Rosellina Garbo

La catastrophe milanaise ne découragea pas Puccini qui prit en mai de la même année une revanche triomphale à Brescia où l’opéra fut représenté au Teatro Grande devant un public choisi venu de Milan et de Turin pour inaugurer, avec le Roi, le lendemain de la première, l’Exposition industrielle installée au haut de la ville. L’auteur avait pratiqué quelques coupures au premier acte et partagé le deuxième en deux tableaux. L’opéra, conspué trois mois auparavant à la Scala, fut porté aux nues à Brescia. L’éclipse de gloire de Puccini ne fut donc que très passagère. La presse célébra cette fois l’élargissement de la manière du maître et l’originalité de la partition. Elle loua unanimement les airs du début et le duo délicieusement passionné de la fin du premier acte, la trouvaille du chœur bourdonné du deuxième acte et le troisième acte, si saisissant de tragique, qui avait porté les spectateurs au comble de l’enthousiasme. Depuis l’opéra est le plus souvent joué en trois actes (ou deux actes, le second en deux tableaux) dans la version révisée de Brescia, remaniée encore plusieurs fois par la suite, et son succès ne s’est plus jamais démenti. Il est devenu une des œuvres les plus représentées au monde.

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©Rosellina Garbo

La mise en scène de Nicola Berloffa, metteur en scène issu du monde de la musique et du cinéma, s’écarte de la dramaturgie de Puccini, qui situait son opéra “au temps présent “, entre 1901 et 1904. Berloffa déplace le temps de l’action au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans un Japon soumis à l’occupation américaine, faisant ressortir le fossé et le choc entre des cultures éloignées.

© rosellina garbo 2024 GRG9995 1
©Rosellina Garbo

Par deux mises en abyme consécutives, les décors de Fabio Cherstich placent l’action dans un théâtre traditionnel japonais au premier acte, qui devient un cinéma aux deuxième et troisième actes. Ce théâtre-cinéma est fréquenté par des marines américains qui se disputent les plus belles geishas. « Nous avons essayé de rendre cette tragédie japonaise de 1904 plus proche du public », explique le metteur en scène Nicola Berloffa, en la déplaçant à l’époque qui suit la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour faire ressortir le choc des cultures ; l’Occident engloutissant l’Orient et détruisant son identité. Dans le premier acte, l’action se déroule dans un théâtre japonais traditionnel; dans le deuxième acte, ce lieu devient un cinéma où les geishas ne jouent plus mais sont des marchandises à vendre à la disposition des militaires et des officiers américains. La société et l’esthétique américaines sont représentées par des séquences de scènes de films américains d’époque tels que Lostly Yours avec Bette Davis ou des fragments de comédies musicales aquatiques avec Esther Williams, qui sont projetés sur un grand écran de cinéma. Les vidéos sont de Paul Secchi. Les costumes de Valeria Donata Bettella s’inspirent des vestiaires américain et japonais de l’après-guerre et contribuent parfaitement à rendre l’atmosphère de l’époque.

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©Rosellina Garbo

Une magnifique distribution avec des interprètes de premier plan sert la production, à commencer par les protagonistes, la soprano Maria Agresta dans le rôle de Cio-cio-san (Butterfly) la jeune geisha amoureuse du lieutenant de marine américain F.B. Pinkerton, interprété par le ténor américain Jonathan Tetelman ; le rôle de la fidèle Suzuki est confié à Silvia Beltrami, celui  du Consul Sharpless à un jeune baryton émergent, Simon Mechliński.

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©Rosellina Garbo

Au premier acte, la jeune Butterfly n’a que quinze ans et le rendu de l’innocence juvénile de celle qui n’est encore une enfant pose un problème de jeu scénique complexe pour une chanteuse dans la maturité, que Maria Agresta résout par la beauté de son chant sans pourtant parvenir à dénouer la difficulté dramaturgie, d’autant que la mise en scène insiste sur l’abjection monstrueuse de l’immonde prédateur qu’est Pinkerton. Le problème disparaît de lui-même après l’entracte : la douleur de la séparation a fait mûrir Butterfly qui est devenue une femme adulte qui refuse de comprendre la cruelle réalité de sa situation. Maria Agresta rend les tourments et la détresse de son personnage avec des accents sublimes d’une intensité émotionnelle remarquable soutenue par une maîtrise technique impressionnante. Elle rend avec un talent consommé la déchirante évolution de la jeune femme qui espère longuement le retour d’un mari adoré (“Un bel di vedremo“) avant de comprendre l’horreur d’une situation ressentie comme inextricable qui culmine dans l’acte sacrificiel du suicide (“Con onor muore“). Une interprétation qui recevra une énorme ovation.

Jonathan Tetelman Pinkerton Maria Agresta Cio cio san © rosellina garbo 2024 GRG9580 1
©Rosellina Garbo

Jonathan Tetelman assume le rôle ingrat de F.B.Pinkerton, un des personnages les plus ignominieux de l’histoire de l’opéra dont il rend la cynique abjection et l’outrecuidance avec l’élégance cynique d’un ténor assuré. L’infamie d’un tel personnage ne rend pas crédibles ses remords tardifs. Le ténor et la soprano, grands chanteurs pucciniens, ont connu des chemins lyriques parallèles quant à l’évolution de leurs voix. Maria Agresta a commencé sa carrière comme mezzo-soprano pour évoluer vers son magnifique soprano lyrico-soprano, tout en gardant des capacités dramatiques et des profondeurs assurées. Jonathan Tetelman a conservé le timbre dramatique de sa voix de baryton du début de sa carrière. Par son jeu scénique, il campe les bassesses, la veulerie, la vénalité et la brutalité de Pinkerton, un prédateur sexuel manipulateur, et nous le rend parfaitement haissable. On est révulsé au point d’en oublier qu’un talentueux chanteur est présent sur scène et qu’il a assumé le risque d’incarner un anti-héros et de lui prêter les couleurs de bronze mordoré de son ténor qu’il fait par moments, mais par moments seulement, vibrer dans des montées d’une puissance éclatante.

Anastasia Lo Verde Dolore Silvia Beltrami Suzuki Maria Agresta Cio cio san © rosellina garbo 2024 GRG9907
©Rosellina Garbo

La mezzo-soprano Silvia Beltrami, très appréciée pour ses puissantes interprétations verdiennes, réussit une admirable Suzuki dont elle rend avec une grande force d’âme les tendresses et les prévenances maternantes d’un dévouement absolu. L’excellence de son chant se marie avec bonheur à l’interprétation douloureuse de Maria Agresta. Deux grandes chanteuses qui nous livrent un travail d’une belle complicité. Un autre grand bonheur de la soirée fut pour nous de découvrir la voix exceptionnelle du jeune baryton polonais Simon Mechliński dans le rôle de Sharpless. Il met la puissance d’une voix sonore merveilleusement projetée et articulée au service de la moralité du consul américain.

L’orchestre du Teatro Massimo est dirigé par son directeur musical Omer Meir Wellber, qui sera à partir de la saison 2025/2026, directeur musical et chef principal de l’Opéra d’État de Hambourg. Le chef a opté pour une interprétation toute en puissance de la partition de Puccini. Il fait vibrer la grande salle du Teatro Massimo avec une déferlante d’ondes sonores. Les choristes de l’opéra viennent se placer en étau en fond de parterre pour le fameux choeur bourdonné à bouche fermée, une manière réussie d’incorporer les spectateurs au coeur final du drame d’une soirée d’opéra bouleversante.

Luc-Henri ROGER

Distribution du 23 février 2024 : 

Direction d’orchestre Omer Meir Wellber

Mise en scène Nicola Berloffa

Assistante de réalisation Luigia Frattaroli

Décors Fabio Cherstich

Costumes Valeria Donata Bettella

Éclairage Valerio Tiberi

Conception vidéo Paul Secchi

Dramaturgie Alexandra Jud

Chœur et orchestre du Teatro Massimo di Palermo

Chef de chœur Salvatore Punturo

Mise en scène du Teatro Massimo di Palermo en coproduction avec le Festival d’opéra de Macerata

Cio-cio-san Maria Agresta

Suzuki Silvia Beltrami

Kate Emanuela Sgarlata

B. F. Pinkerton Jonathan Tetelman

Sharpless Simon Mechliński

Goro Massimiliano Chiarolla

Prince Yamadori Italo Proferisce

L’oncle Bonzo Nicolò Ceriani

Yakusidé Cosimo Diano

Le commissaire impérial Alessio Gatto Goldstein

L’officier d’état civil Gianfranco Giordano

La mère de Cio-Cio-San, Damiana Li Vecchi

La tante Gabriella Barresi

La cousine Cecilia Galbo

Dolore (Douleur), fils de Cio-cio-san Anastasia Lo Verde

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