Cette période particulièrement pénible de pandémie, dont il faut espérer qu’elle sera, au moins à moyen terme, jugulée, pose d’incommensurables problèmes pour les spectacles lyriques qui doivent mettre en œuvre un orchestre, des choristes, des chanteurs, voire des danseurs (le théâtre parlé étant soumis à des contraintes moindres). En conséquence, nombre de spectacles doivent être supprimés (soit faute de possibilités suffisantes de répétitions ou d’artistes atteints par la maladie, ou encore d’impossibilité de réunir les moyens techniques et matériels nécessaires) comme les récents Tannhauser de Rouen ou Bourgeois Gentilhomme de l’Opéra Comique à Paris, voire reportés souvent d’une année. Parfois aussi un opéra qui devait être mis en scène est transformé en version de concert, etc. Force est de constater que l’heure est hélas à la plus grande incertitude ! L’Opéra de Toulon devait donc inaugurer sa saison 2020-2021 avec Semiramis (intitulé, dans la langue de la version originale, Semiramide) de Rossini. Il a été impossible de donner suite à ce projet mais, en revanche, les artistes engagés ont tous donné leur accord pour l’organisation d’un concert lyrique. Le résultat se solde par un très grand succès lié à la qualité des interprètes et l’on imagine avec beaucoup de nostalgie ce qu’aurait été l’intégrale de l’œuvre de Rossini avec un tel plateau. Par chance le concert bénéficie du concours de l’Orchestre de l’Opéra de Toulon en grande formation et également du Chœur de ce même théâtre. Pour la circonstance tous les instrumentistes à cordes sont masqués et si les bois et les vents ne peuvent évidemment l’être, du moins des parois plastiques les séparent de leurs collègues. A noter – fait rare pour un concert lyrique – que les airs interprétés par les chanteurs font l’objet d’un surtitrage sur trois écrans disposés autour de la scène.
Le programme particulièrement copieux mélange habilement Mozart, Haendel, le bel canto et Jacques Offenbach sous la baguette particulièrement dynamique du chef grec George Petrou que nous avions eu l’occasion d’apprécier à l’Opéra de Nice successivement dans Semele (2014) Sémiramis (2015) et Médée (2016). Le concert débute par la célébrissime ouverture du Barbier de Séville dirigée par le chef sans partition et l’on se régale immédiatement en écoutant cette phalange toulonnaise composée, en très grande majorité, de jeunes musiciens dont on devine le plaisir de jouer et dont on admire la belle sonorité des cordes d’un velouté susceptible de susciter l’envie d’autres phalanges notoirement connues. Suit l’air de Semiramide « Bel raggio lusinghier » accompagné par le chœur de femmes et chanté par Karine Deshayes, l’une des stars incontestables parmi les artistes français et qui brille sur les scènes internationales d’un même éclat qu’un Roberto Alagna, un Ludovic Tézier ou encore une Sabine Devieilhe. Elle fait ici à nouveau la démonstration d’un art consommé du bel canto, alliant une musicalité souveraine à une couleur idéale se jouant des vocalises avec une remarquable maîtrise. Dans ce même ouvrage on la retrouve tout aussi virtuose dans le trio de l’acte 2 (« L’usato ardir ») que dans le somptueux quatuor de l’acte 1 qui conclut le concert sans oublier sa glorieuse Violetta dans le brindisi de La Traviata en bis. Et l’art de dire, la diction, l’humour se conjuguent chez cette artiste pour faire de ses deux duos de La Belle Hélène (dont elle fut, sur cette même scène, la protagoniste en 2014 dans la mise en scène de Bernard Pisani) et de La Périchole de véritables joyaux. Il faut dire que son partenaire Philippe Talbot lui donne une réplique de charme en Paris faisant aussi valoir ses dons comiques en Piquillo. Auparavant il s’était joué avec aisance des neufs (+ deux) contre-uts de Tonio de La Fille du Régiment de Donizetti avec un phrasé d’une extrême élégance. Et on le retrouve avec toute la malice du Comte Ory aux cotés de la mezzo soprano italienne Teresa Iervolino qui par ailleurs distille les sons cuivrés d’un riche médium, avec un abattage vocal mais aussi scénique indubitable, dans le trépidant duo de l’Italienne à Alger « Oh, che musa, che figura » où elle partage la scène avec Mirco Palazzi spécialiste internationalement reconnu – à juste titre par son phrasé soigné et son engagement interprétatif – du répertoire belcantiste et rossinien. Ce dernier en livre un éloquent témoignage dans deux autres extraits de l’Italienne à Alger mais aussi dans l’air des Noces de Figaro « Aprite un po’ quegli occhi ». La basse géorgienne Nika Guliashvili impressionne par l’ampleur des moyens déployés dans « La calumnia » de Don Basilio du Barbier de Séville tandis que Roxane Chalard et Camille Tresmonant interprètent respectivement, avec autant de goût que de fraicheur, l’air de Jules César « Va tacito e nascosto » de Haendel et l’air de Don Ottavio « Dalla sua pace » de Don Giovanni de Mozart. Efficace participation du Chœur.
Christian Jarniat