Voici qu’en ce doux soir d’été, alors que les astres commencent à se livrer à un ballet silencieux dans le ciel, une symphonie orchestrée par les vents de la Provence, s’offre aux spectateurs réunis dans l’écrin du parvis de mairie de Saint-Laurent-du-Var dont toutes les places ont été prises d’assaut par un public ayant répondu présent a ce rendez vous pour communier avec Marius de Marcel Pagnol proposé par la Compagnie Jacques Biagini.
L’univers cordial, coloré et chaleureux de Marcel Pagnol
La langue de Pagnol est une ode pour les sens, évoquant le midi, l’ardeur du soleil, les senteurs de la mer, le souffle du large, le ressac des vagues, le murmure des flots. Le charme irrésistible de Marseille plus vraie que nature, avec ses ruelles pittoresques, son Vieux-Port bruissant et animé, les cris des maraichères, la sirène des paquebots en partance, ses vendeurs à l’étalage, ses matelots en bordée, ses boutiquiers affairés, ses matrones exubérantes, ses pêcheurs au franc-parler, se dégage avec délice à chaque instant. Un univers cordial et chaleureux peuplé de personnages hauts en couleur, où la gouaille méridionale, l’accent joyeux du terroir se mêlent à la simplicité de la vie quotidienne dans laquelle préjugés et faiblesses cohabitent avec bagou et débordements.
Comment ne pas être emporté par la véracité des personnages et la saveur qui se dégagent de chaque réplique que certains spectateurs anticipent d’ailleurs à la virgule près, les dialogues étant, depuis près d’un siècle, gravé dans la mémoire collective ?
Dans un scénario tissé avec le fil d’or des étoiles, Pagnol est le maître de cérémonie et la Provence son autel sacré. Paroles et gestes embarquent nos cœurs qui battent à l’unisson dans un tourbillon de nostalgie, de rire et de larmes,
L’honneur et la pudeur sont palpables tout au long de la pièce. Chaque moment est imprégné de leur présence, tissant un lien indéfectible entre les protagonistes et le public. Marius transcende le verbe dans l’évocation de l’essence même de l’amour, de l’amitié et du sacrifice avec une sensibilité rare. « Les mots y exagèrent la pensée mais ne trahissent jamais le cœur ».
Scénographie évocatrice et mise en scène généreuse et précise
La Compagnie Biagini a confectionné un décor sublime qui reconstitue le mythique Bar de la Marine dans les moindres détails avec son comptoir, son percolateur, son rideau en perles de buis, ses affiches de réclames de liqueur, son modèle réduit de voilier, son escalier de bois qui conduit à la chambre de César, sa terrasse et son réverbère… Décor précis et évocateur mais aussi, par instants, discret tel un artiste qui se retire dans l’ombre pour que la lumière embrase les visages des acteurs.
La mise en scène de Frédéric Achard est d’une précision absolue et sa direction d’acteurs, dont on devine la générosité et l’altruisme, démontre la compréhension profonde d’un art où rien ne doit être laissé au hasard. Le rythme énergique qu’il imprime au spectacle est, en tous points, cinématographique et sans la moindre césure.
Le coup de génie du metteur en scène, réside aussi dans le choix de comédiens marseillais dotés de voix qui portent le mistral et de visages taillés par le soleil méridional. Leur présence génère une poésie ineffable et capte l’essence même du théâtre de Pagnol, en lui donnant vie d’une manière fascinante. La célèbre partie de cartes « Tu me fends le cœur !… tu me fends le cœur ! » demeure un moment emblématique, comme si l’on pénétrait dans un tableau où les couleurs, les ombres, et les lumières se fondaient pour créer une œuvre immortelle. Et cette légendaire séquence est d’autant plus saisissante, que les artistes boivent réellement du pastis pendant celle-ci (!) créant ainsi une atmosphère de convivialité et de camaraderie palpable par le public. Chaque gorgée du breuvage semble nourrir l’authenticité du jeu, tout en ajoutant une touche de réalisme saisissant.
Une brochette d’excellents acteurs au jeu empreint de vérité et d’émotion
Chaque interprète porte en lui – et cela est patent – une véritable passion pour le texte, la ville de Marseille et l’âme de Pagnol.
Les personnages qui prennent vie sur scène sont tous fascinants. Parce que des marseillais s’expriment dans une pièce qui évoque leur fief, leur jeu est empreint de vérité et de justesse dans les mots et les sentiments. Ici pas de superficialité mais une interprétation intelligente et d’une sensibilité à fleur de peau. On sent une équipe enthousiaste, dépourvue d’égo, magnifiquement soudée, mue par l’évident plaisir de jouer ensemble.
Frédéric Achard est donc non seulement l’architecte mais aussi le pilier de tout cet édifice. En tant que comédien son patron de bar charismatique, fier, bourru, puissant, alternant colères et bonté est celui d’un artiste exceptionnel, qui ne cherche jamais à imiter quiconque mais qui apporte à César une force et une conviction inouïes et l’émotion la plus rare. « L’envie d’ailleurs » de Marius tient le jeune homme par les tripes, depuis qu’il entend l’appel irrésistible des sirènes de bateaux. Avec Julien Bodet qui l’incarne ce n’est pas seulement un homme qui prend la mer, mais l’homme qui prend véritablement possession de la scène. Il est la mer incarnée, avec ses calmes et ses tempêtes déferlant comme une vague et emportant tout sur son passage. Un mélange d’aura et de vulnérabilité se dégagent de lui, atteignant son apogée au cours des échanges avec son père («Je t’aime bien tu sais…») ou encore lors de son départ au moment de la bouleversante séparation avec la douce et gracieuse Fanny (jeune et talentueuse Patritsia Koeva) pareille à un coquillage qui renferme des perles de tendresse. On apprécie l’humanisme bienveillant et débonnaire de Patrick Mazzone en Panisse et l’Escartefigue pittoresque tout autant blagueur que susceptible de Fabien Rouman. On se délecte de la truculence et de la versatilité de Christiane Conil qui dessine une Honorine au tempérament bien trempé, tantôt naïve, tantôt rouée, parfois calculatrice, certes, mais dont on ne peut nier la fibre maternelle. On salue la prestation de Monsieur Brun (Pierre Blain), aussi cocasse que malhabile…surtout après avoir tant bu !
Un bonheur de tous les instants
Et lorsque les lumières s’éteignent, un sortilège parait s’être dissipé, laissant dans son sillage un trésor d’émotions inestimable et un écho magique qui résonnera longtemps dans les recoins de notre être. Pour tous ceux qui étaient là, nos cœurs ont été marqués à jamais par cet hymne à l’humanité et à l’esprit indomptable de Marseille. Ce fut un banquet pour les sens, un festin pour l’âme, servi par des artistes qui ont versé chaque goutte de leur passion dans leur art.
Nous n’avons pas simplement assisté à une pièce de théâtre, mais nous avons navigué sur les mers de la poésie, guidés par l’étoile de Pagnol, et touché le rivage du beau et de l’éternel. Puisse le souvenir de cet exceptionnel voyage être un phare qui nous aiguille dans les moments de tempête, et un doux chant qui berce nos rêves !
Il est dit que les chefs d’œuvre n’ont pas d’âge. Cela s’est encore vérifié lors cette soirée véritable hymne lyrique à Pagnol, au patrimoine de la littérature française et à la culture marseillaise. Un hymne qui restera à jamais gravée dans les mémoires de ceux qui ont eu la chance d’en être témoins comme un parfum d’universalité. (1)
(1) Prochaines représentations : Jeudi 20 juillet à 21h à Cap d’Ail Amphithéâtre de la mer ; Samedi 23 septembre à 20h30 à Roquefort-la-Bédoule Centre Culturel André Malraux.
Compagnie Jacques Biagini
Mise en scène : Frédéric Achard
Décor : La Divine Quincaillerie (Thierry Hett)
Costumes et accessoires : Maïlis Martinsee
Son et lumières : De Nay Live Events
Assistante à la mise en scène et régisseuse générale : Fabienne Colombet
Régisseur son et lumières Olivier Colombet
Cécile Day et Christian Jarniat
23 juin 2023