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DOM JUAN AU THEATRE NATIONAL DE NICE

DOM JUAN AU THEATRE NATIONAL DE NICE

mardi 13 juin 2023
®Raynaud de Lage
 

Après avoir présenté dans son Théâtre du Vieux Colombier début 2022 une nouvelle production de Dom Juan, la Comédie-Française est donc en tournée pour proposer ce chef-d’oeuvre de Molière. Comme nombre de pièces de l’illustre maison(1) la mise en scène transpose l’action de nos jours sur un plateau entièrement nu et sans aucun décor, avec au centre un podium surélevé qui pourrait ressembler à un tréteau de théâtre ambulant ou encore un ring de boxe(2). De chaque côté de ce « ring », une série de miroirs avec des meubles sommaires pareille à une enfilade de loges communes partagées par les artistes. Ainsi les comédiens, qui sont seulement au nombre de cinq, ne sortent pas la plupart du temps de scène et changent rapidement d’apparence (perruque et maquillage) tout en se grimant devant les “ersatz” de loges en question.

Tout se déroule selon le procédé bien connu du « théâtre dans le théâtre ». Le metteur en scène Emmanuel Daumas(3) prend notamment le parti dans sa direction d’acteurs pour les contrastes. Si tous les personnages s’agitent assez fréquemment il fait en revanche de Dom Juan – tout de noir vêtu (pantalon, tee-shirt et blouson) – un homme relativement statique, blasé autant que désabusé et insensible aux évènements qui l’entourent. Ce Dom Juan incarné sobrement par Laurent Lafitte trace sa route sans se préoccuper des évènements extérieurs et, si ce n’était le texte de Molière, il ne s’exprimerait vraisemblablement presque pas. Certes il s’agit d’un séducteur (mais fort peu extraverti) et s’il  multiplie les conquêtes, la mise en scène n’en souligne l’impact qu’en pointillés. Contrairement à ses comparses il n’est jamais prolixe et une séquence est symptomatique de ce type de « mutisme » puisqu’il écoute les reproches de son père sur sa vie dissolue, sans quasiment le moindre geste ni le moindre mot. Tout au plus – et c’est en ce sens que Molière est particulièrement acerbe voire « moderne » dans son propos – lorsque Dom Louis aura assené tout son discours moralisateur à son fils, le héros lui répondra simplement « Eh, mourez le plus tôt que vous pourrez. C’est le mieux que vous puissiez faire » démontrant ainsi le cynisme absolu d’un personnage, qui n’a ni foi, ni compassion, ni amour, ni tendresse à offrir, ni intérêt pour qui que ce soit et qui demeure sourd à tout discours. C’est ce mutisme et l’imperméabilité des sentiments qu’Emmanuel Daumas a sûrement voulu mettre en exergue.

Donc un héros glaçant jusqu’à pousser le vice dans son hypocrisie afin de se faire passer pour pieux et monogame. La scène finale est tout particulièrement étrange puisque Dom Juan va ôter tous ses vêtements jusqu’à ne rester qu’en pagne blanc rappelant le Christ sur la croix et écartelé entre les cordes fixées à l’extrémité de ses membres. La pièce véhicule également un anticléricalisme évident que l’on retrouve notamment dans Le Tartuffe de Molière, ici illustré tout au début de la pièce par deux religieuses (qui n’existent pas du tout dans le texte de Molière) et qui écoutent Sganarelle discourir sur la vertu du tabac (alors que selon le texte Sganarelle ne s’adresse qu’à Gusman, écuyer d’Elvire). A la fin de ce monologue, les deux nonnes  se dépouillent de leurs robes tandis que l’on aperçoit dans une encoignure du plateau Dom Juan en veine d’accès sexuel.

Stéphane Varupenne est, du moins en apparence, le seul sage de la pièce en Sganarelle, celui qui tente de s’ériger contre le cynisme de son maître mais qui finalement, par l’inéluctable effet de miroir, s’enfonce dans l’hypocrisie comme lui, n’abordant quasiment jamais le propos qui consisterait à lui dire le fin fond de sa pensée. Dans cette production il y a cinq comédiens qui jouent l’ensemble des rôles. C’est ainsi que Jennifer Decker vêtue d’un jean, basket et tee-shirt incarne une Elvire hagarde, hystérique et tourmentée qui rampe aux pieds de Dom Juan, elle dessine aussi une Charlotte paysanne délurée (et convaincante) prête à trahir son fiancé Pierrot, tant le magnétisme de Dom Juan l’attire. Ce Pierrot est interprété par Adrien Simion (par ailleurs excellent Monsieur Dimanche) qui dans le texte de Molière, parle un argot campagnard. Le metteur en scène en profite pour le tirer vers une sorte d’adolescent d’une banlieue défavorisée avec ce langage tout à fait particulier et les gestes y afférents. Certes, très exubérant le comédien est parfait dans la mission qui lui est assignée avec toutefois l’inconvénient, à force de vouloir accélérer le débit de la parole, d’en faire perdre à l’auditeur l’exacte compréhension ce qui, en l’occurrence laisse tout de même perplexe. Il en va de  même du monologue de Dom Louis dont le volume vocal assorti au rythme (trop) soutenu pour traduire l’incisivité de l’invective se fait au détriment de l’articulation. Alexandre Pavloff est par ailleurs beaucoup plus convaincant dans les autres rôles.

Il n’est ici aucunement question, à quelque moment que ce soit, de « surnaturel » : de la statue du Commandeur que Dom Juan va défier avant de le convier à souper pas plus que du fantôme du Commandeur qui parait pour entrainer Dom Juan vers les flammes de l’enfer en condamnation de ses péchés. Ce côté fantasmatique peut se concevoir dans une mise en scène dont l’action se situe au 17ème siècle mais pas du tout dans une transposition moderne. Aussi, en la circonstance Dom Juan et Sganarelle entendront-ils la voix du Commandeur démultipliée et diffusée par une bande-son comme s’ils descendaient au plus profond d’un caveau où la sonorité est particulière. De même, la fin reste elliptique voire énigmatique dans la disparition de Dom Juan laissant au protagoniste sa part de mystérieuse impassibilité.

Christian Jarniat
13 juin 2023

(1) Entre autres Le Misanthrope ou Tartuffe.
(2) Au Théâtre du Vieux Colombier le public était situé de part et d’autre de ce processus scénique. A Nice au Théâtre de la Cuisine, nous sommes dans une disposition traditionnelle où le public se situe de face.
(3) Metteur en scène mais aussi comédien et « acteur-fétiche » de Laurent Pelly sous la direction duquel il a joué nombre de pièces (Shakespeare, Goldoni, Gozzi, Hugo, Labiche, Schwartz, Strindberg, Copi…).
 

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