L’argument
René, pauvre mais sémillant comte de Luxembourg, partage une mansarde à Montmartre avec son ami artiste peintre Armand Brissard. Pendant ce temps, le prince russe Basil Basilowitsch, s'éprend de la chanteuse Angèle Didier. Cependant, il ne peut pas l'épouser car elle est roturière. Il propose donc à René de contracter un faux mariage avec Angèle puis de divorcer, trois mois plus tard, avec pour l'épousée le titre de « Comtesse ». En contrepartie René reçoit un somme de 500.000 francs mais sous réserve que les époux ne se retrouvent jamais face à face.
Néanmoins, déterminé à rencontrer la chanteuse, René assiste à sa soirée d’adieu à la scène. Les deux tombent amoureux, sans savoir qu’ils sont déjà mariés. Le prince Basilowitsch également à la fête, et alarmé par la tournure des événements, annonce publiquement ses fiançailles avec Angèle. René et Angèle décident de s’enfuir ensemble et se réfugient au Grand Hôtel où surgit la comtesse Stasa Kokozowa, ancienne fiancée de Basil. Le prince, en cherchant frénétiquement Angèle, tombe sur la Comtesse et reçoit l’ordre du tsar de tenir sa promesse et d’épouser cette dernière. René apprend concomitamment que ses biens confisqués lui ont été restitués. Il est désormais un homme riche, peut rembourser le prince et rester marié à Angèle avec son honneur intact.
L’œuvre au Festival de Baden
Franz Lehár était lié par une profonde amitié à Giacomo Puccini. Certes, Le Comte de Luxembourg du premier se fait l’écho de La Bohème du second comme Le Pays du sourire le sera de sa Turandot. Il y a mieux : Lehár découvre l’histoire montmartroise de son grand ami Puccini au Theater an der Wien en 1897, là même où il présentera son Comte de Luxembourg douze ans plus tard.
L'intrigue se déroule dans la « ville lumière » et les joyeuses festivités du carnaval auxquelles participe une foule bigarrée rappelle indubitablement l’acte 2 de La Bohème (au demeurant Armand Brissard n’est-il pas peintre comme Marcello ?). Par ailleurs, le premier acte s’ouvre dans un cas comme dans l'autre sur un tableau présentant des artistes désargentés, les mêmes qui entourent Mimi dans l’opéra de Puccini. Le parallèle entre les deux œuvres nécessiterait des développements qu’il serait trop long d’examiner dans le cadre de la présente chronique. Les influences musicales qui s’entrecroisent entre les deux compositeurs sont évidement un sujet passionnant pour ceux qui veulent bien s’attarder à écouter attentivement leurs opus respectifs.
On peut considérer avec une certaine pertinence que ce Comte de Luxembourg vaut tout autant, sinon plus, que La Veuve joyeuse du même compositeur. Bien évidemment, pour corroborer pareille affirmation on ne saurait prendre comme élément de comparaison la version française car force est de constater que les librettistes Gaston Arman de Caillavet, Robert de Flers et Jean Bénédict ont dénaturé quelque peu l’œuvre dont le dernier acte n’a plus rien de commun avec la version originale. Le personnage de la Comtesse Kokozowa a disparu alors que celle-ci est précisément la pierre angulaire qui permet de dénouer l’intrigue.
A la tête de l’excellent orchestre de Baden, Marius Burkert imprime à la partition de Lehár un style flamboyant où passent ces élans, ces respirations, cette insolente gaieté que seuls les musiciens viennois (et évidement, par extension, autrichiens) paraissent capables de ressentir et de communiquer. Thomas Smolej (avec l’appui du plateau tournant et les décors stylisés de Marcus Ganser) situe la pièce au second acte dans le célèbre cabaret du Chat Noir où Angèle Didier – à l’instar de Sylva Varescu – dans Princesse Czardas incarne l’artiste de music-hall qui fait chavirer tous les cœurs. Le troisième acte se déroule dans le hall d’un hôtel et le dénouement n’est, là encore, pas sans point commun avec celui de Princesse Czardas de Kálmán.
Après avoir incarné sur cette même scène le Duc D’Urbino dans Une nuit à Venise, nous avons retrouvé avec plaisir le ténor Iurie Ciobanu qui interprète un Comte de Luxembourg de fière allure avec une voix superbe, admirablement conduite et parfaitement projetée. Lui donne une éloquente réplique, dans le rôle d’Angèle Didier, Sieglinde Feldhofer dont les multiples qualités ne sont plus à vanter, eu égard au nombre de rôles interprétés sur cette scène comme sur bien d’autres en Autriche. On ne peut que louer son idéale palette vocale à l’instar de ses dons d’actrice consommée.
A noter, qu’il n’existe aucune notion dans ce pays de ce qu’on qualifie en France de « fantaisistes » puisque les seconds rôles sont distribués à des voix de baryton ou de ténor pour les hommes et à des sopranos pour les femmes. C’est dans cette perspective que Thomas Zisterer incarne un Armand Brissard remarquable et que sa partenaire Claudia Goebl dessine une fort agréable Juliette. Bien entendu, le public a réservé un chaleureux accueil à Marika Lichter en Comtesse Stasa Kokozowa qui assume ce rôle avec autant de verve que d’abattage. Il faut également souligner la prestation subtile de Roman Frankl en prince Basil de premier plan.
Marie-Catherine Guigues
20 août 2023
Direction musicale : Marius Burkert
Mise en scène : Thomas Smolej
Chorégraphie : Daniel Feik
Décors : Marcus Ganser
Costumes : Agnès Hamvas
René, Comte de Luxembourg : Iurie Ciobanu
Angèle Didier, chanteuse : Sieglinde Feldhofer
Prince Basil Basilovitch : Roman Frankl
Comtesse Stasa Kokozowa : Marika Lichter
Armand Brissard : Thomas Zisterer
Juliette Vermont : Claudia Goebl
Orchestre, chœur et ballet du Festival de Baden