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LA Vie parisienne Opéra de Limoges

LA Vie parisienne Opéra de Limoges

jeudi 9 novembre 2023
 © Steve Barek

La Vie parisienne

L’Opéra de Limoges reprend La Vie parisienne exhumée et reconstruite, montée en coproduction par le Palazzetto Bru Zane et plusieurs théâtres. Le spectacle a déjà été vu depuis fin 2021 à  Rouen, Tours, Liège, au Théâtre des Champs Élysées à Paris ; il a été donné en version concert à la Halle aux Grains à Toulouse, parallèlement à son enregistrement ; il est resté également visible sur le site Arte Concert.

Repères

Il s’agit de la version originelle de l’ouvrage rétablie d’après le livret de censure. Offenbach n’avait pas pu faire aboutir cette version en 1866, le théâtre du Palais-Royal où elle devait être créée ne lui donnant les moyens musicaux et vocaux qu’elle aurait nécessités. C’est pourtant bien une version en cinq actes qui est donnée à l’époque mais le quatrième acte avec seulement un air et un court ensemble était loin d’être satisfaisante, même si elle apportait une certaine cohérence à l’intrigue. Cette cohérence, c’est celle qui fera défaut à la version en 4 actes créée en 1873 au théâtre des Variétés, la seule à avoir été maintenue à la scène jusqu’à il y a une trentaine d’années et à laquelle le compositeur avait consenti, sans doute contre son gré.

Gérard Condé écrit justement à propos des versions restituées (l’art lyrique y est souvent confronté) : « Au théâtre, ce ne sont pas les intentions de l’auteur ou des interprètes qui assurent l’authenticité, mais la validité du résultat. » La version de la création et, encore mieux, la version de censure apportent une lisibilité de l’intrigue bien supérieure à celle que permet la version en quatre actes. Dans cette dernière la relation de Métella et Gardefeu reste en arrière-plan et le personnage de la baronne disparaît vite des radars.
 
La dramaturgie et l’exposition des personnages sont les atouts majeurs de la construction de l’œuvre théâtrale dans la version rétablie. Le regard porté sur la fête qui est censée être le thème principal de l’ouvrage devient plus original et à angles multiples. La table d’hôte de Gardefeu met en lumière la pulsion alimentaire qui rameute les convives populaires du jeune bourgeois. La réception n’est organisée à l’hôtel de Quimper-Karadec, transformé en décor de théâtre, que pour un seul invité, le baron de Gondremarck. L’acte IV évoque l’envers des excès avec les effluves d’un lendemain de fête. À peine aperçoit-on les flonflons de la fête du Brésilien au Café Anglais du dernier acte que Métella, dans son célèbre rondeau, distille un discours sur le désenchantement de la vie parisienne. 

Plusieurs personnages trouvent mieux leur place dans cette version. Pauline l’éphémère pseudo-flirt du baron explique à sa maîtresse les raisons du désordre de l’hôtel : le dérangement tient à ses fiançailles avec le cocher Jean qu’elle présente sous les traits du baron. La baronne fait son entrée à l’acte IV avec Madame de Quimper-Karadec et sa nièce Julie de Folle-Verdure. Les trois personnages tiennent longuement la scène. Le vaudeville, à la limite de la fatrasie, sans rien solutionner rappelle les grandes scènes suspendues non conclusives chez Feydeau. La baronne a su confondre Gardefeu en faisant se substituer à elle Métella avec laquelle l’entreprenant dandy a passé la nuit sans le savoir.

De nouveaux airs et ensembles émaillent cette nouvelle version, exhumés pour la plupart de la partition autographe consultable à la Juilliard School de New-York et de divers fonds notamment celui de Palais-Royal transféré sans qu’on y ait pris garde au théâtre des Variétés. Ils correspondent aux nouvelles situations du livret de censure. Certains opèrent des remplacements comme à l’acte II où un nouveau final fait s’opposer puis se superposer un chœur allemand et un chœur marseillais.
À l’acte III l’enrichissement de l’intrigue est indéniable : l’air d’Urbain, un Trio militaire « Rien ne vaut un bon diplomate », un quintette et un final dans lequel se succèdent une chanson de café-concert et une pastourelle qui fait intervenir tous les solistes présents sur scène créént un climat étrange pour une fête en demi-teinte, même si l’ivresse est reportée au prélude de l’acte suivant.
L’acte IV, carrément nouveau, évoque le lendemain de la réception (on pense à La Chauve-souris). Tous les morceaux sont en situation : le trio des ronflements, le quatuor « Jean du cocher ? », le fabliau de la baronne, un final développé comprenant un ensemble à treize personnages « Ma tête ! Nous devenons fous ».
À l’acte V enfin, acte récapitulatif contrasté, on trouve plusieurs citations du Don Giovanni de Mozart ou encore un « charivari » où Offenbach à l’instar du compositeur viennois se plagie lui-même (La Belle Hélène, air du sapeur de Térésa, Orphée aux enfers).
Notons que le galop « Feu partout » termine les actes III et IV.

Mise en scène
 
La mise en scène, les décors et les costumes sont signés du couturier Christian Lacroix (mise en scène réalisée à Limoges par Romain Gilbert). Le spectacle respire le XIXe siècle sans cesser de concerner le public d’aujourd’hui. La scénographie se résume à des structures métalliques, des praticables et un ascenseur qui permettent de fluidifier la circulation des personnages. Des aplats de couleurs vives apportent une sorte de féerie au décor souvent déconstruit. Au fil des actes des éléments de décoration, d’ameublement, sont actionnés à vue ; les artifices circassiens sous la forme d’une piste podium permettront à plusieurs numéros d’être l’objet d’un spectacle proposé comme tel. Cette scénarisation est accentuée par les maquillages clownesques et les costumes, certains imités de ceux de la création, d’autres oniriques, qui font comprendre que chez Offenbach on est dans une musique et ici plus particulièrement une intrigue du déguisement. La chorégraphie de Glyslein Lefever participe de cette théâtralité. Les huit danseurs et danseuses, outre leur intégration au spectacle, se livrent à des « entourages » diversifiés à certains moments clefs de l’ouvrage, pour, sans être exhaustif, illustrer les couplets de Gabrielle à l’acte II, l’air de la parisienne « On va courir » (avec des travestis en talons aiguilles), la chanson de la Balayeuse ou la pastourelle. Dans sa première occurrence le galop « Feu partout » prend la forme inhabituelle d’un traitement inventif et leste de corps accouplés. Cette vision transgressive pertinente rappelle la comédie musicale et dote le spectacle d’un rythme qui ne se relâche jamais.

Distribution

La Vie parisienne est une des opérettes les plus « lourdes » à distribuer demandant 14 interprètes dont trois assument plusieurs rôles. Les castings ont varié au gré de la tournée du Palazzetto.
À Limoges Norma Nahoun interprète de rôle de Gabrielle qui, à la création, était dévolu à Zulma Bouffar, la seule chanteuse authentique de la distribution. Avec une parfaite musicalité et une réelle agilité vocale Norma Nahoun trouve le style juste et la couleur particulière de chaque numéro, passant des notes aiguës de la demande en mariage de Frick à une tyrolienne enlevée, puis aux couplets précis de la parisienne et au chant de café concert de la Balayeuse.
Par l’ampleur de sa voix, l’éclat de son timbre, ses emplois dans le grand répertoire, Héloïse Mas est une Métella de luxe. Sa lettre est nimbée de nostalgie sans effacer la goujaterie d’un Frascata qui donne l’adresse d’une hétaïre au baron ; le rondeau qui révèle l’inanité de la fête est chanté avec un sens raffiné de la déclamation ; le personnage est indiscutable, même si Métellla agit de façon indirecte et n’a pas une part majeure dans la comédie.
La baronne et Pauline voient dans cette nouvelle version leur rôle allongé, Madame de Quimper-Karadec, Madame de Folle-Verdure, Clara et Bertha leur émergence dans l’intrigue. 
Marion Grange est une baronne à la voix bien articulée dont on apprécie l’élocution gouleyante et le timbre flatteur aussi bien dans les phrases du trio d’entrée que dans le ravissant Fabliau fort bien détaillé qui lui échoit à l’acte IV. Elena Galitskaya chante élégamment son duo avec le baron, mais elle anime aussi de sa verve communicative le quatuor « Jean le cocher ? ». Marie Gautrot est une comédienne endiablée dans le rôle de Madame de Quimper-Karadec, accompagnée de Caroline Meng qui ne lui est pas en reste dans le rôle de sa nièce ; les deux interprètes sont inénarrables dans leur scène de vaudeville et font montre d’une solide vocalité. Il n’y a pas de petits rôles dans La Vie parisienne où deux interprètes Louise Pingeot (Clara) et Marie Kalinine (Bertha), le plus souvent distribuées en opéra, complètent avec beaucoup de relief  le casting féminin.
Franck Leguérinel, grand spécialiste de l’opéra français mais aussi de Rossini, n’a pas de mal à défendre un baron vocal ; comédien d’exception il incarne toutes les facettes du personnage ; son air « Je veux m’en fourrer jusque là » est un modèle du genre. Autre air emblématique de l’opéra bouffe, l’air du brésilien chanté dans son intégralité par Pierre Derhet, un des meilleurs interprètes qu’on ait entendu dans ce numéro exigeant ; la précision, le souffle, la couleur font ressortir l’intérêt de cet aria mythique ; Pierre Derhet est également excellent dans Frick le bottier, le Major et Gontran. Rodolphe Briand très à l’aise dans la comédie possède une voix bien projetée. Laurent Deleuil a plu dans un Bobinet très enlevé doté d’une voix de baryton Martin au timbre riche et porteur. Philippe Estèphe, qui s’illustre tout autant en opéra qu’en opérette, chante avec éloquence l’air d’Urbain et intervient non moins à propos dans le « Trio militaire » ; il sera un Alfred mordant et à ce titre plus baryton que trial. À ses côtés on retrouve dans Prosper l’excellent Carl Ghazarossian, à la voix percutante. Le « Trio militaire » des deux serviteurs en compagnie du baron a été une réjouissante découverte pour le public et un des grands moments de la soirée.
Le Chœur de l’Opéra de Limoges entre dans un jeu scénique et une dimension vocale salués par le public. À la tête de l’Orchestre symphonique de l’Opéra de Limoges Nouvelle Aquitaine Romain Dumas maîtrise le style, les tempi et la langue musicale d’Offenbach, autant d’atouts mis au service d’un authentique théâtre musical.
Le public a ovationné le spectacle.
La tournée de la production se poursuivra à l’Opéra Comédie de Montpellier pour les fêtes de Noël.

Didier Roumilhac
9 novembre 2023
 

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