Après les Opéras d’Avignon, Massy, Metz, Reims et Marseille, c’était au tour de Nice de recevoir la production signée Nadine Duffaut avec le concours d’Emmanuelle Favre pour les décors, de Gérard Audier pour les costumes et de Philippe Grosperrin pour les lumières.
Premier élément de satisfaction : l’orchestre, dans une forme superbe, sous la direction expérimentée du chef Giuliano Carella qui fut pendant ces dernières années le directeur musical de l’opéra de Toulon et qui a tant apporté à la phalange varoise. Depuis les sombres pressentiments dégagés par l’adagio que constitue le premier mouvement du prélude jusqu’à l’apothéose finale qui consacre le salut céleste de Marguerite, en passant par le chœur martial des soldats, ou encore par le quatuor du jardin, miracle de raffinement musical, tout sera apparu à l’auditeur comme parfaitement en place, amoureusement ciselé avec l’alternance de sensualité et de vigueur qui alternent dans ce grand monument de l’opéra français signé Charles Gounod.
Sans succomber aux extravagances actuelles, Nadine Duffaut considère, à juste titre, que Faust comme Don Juan offrent des propositions de personnages mythiques de la littérature et du théâtre, lesquels constituent des archétypes de tous les temps depuis que l’homme est homme. Le “donjuanisme” est passé dans le langage courant comme désignant l’appétence pour le sexe, et Faust est emblématique de la peur d’une vieillesse qui n’a pas permis d’étancher la soif du savoir comme celle de l’inquiétude de la mort et de l’aspiration au rêve impossible de l’éternelle jeunesse rivée une fois pour toutes dans le tréfonds de chaque être humain. En d’autres termes, les désirs, les fantasmes et les doutes sont évidemment de tous les temps et de tous les lieux. Pourquoi donc Faust ne serait-il pas transposé dans une époque contemporaine ce qui est le cas ici (encore que les costumes visent à l’intemporalité) ? Donc Faust, vieilli, n’attend plus que la mort et Méphisto pourrait être l’image d’un inconscient salvateur qui, en plongeant le héros dans une certaine léthargie (pourquoi pas en le droguant par une injection intraveineuse ?), le transporterait dans un passé fantasmatique. Flash-back où Faust contemple ce passé dans une atmosphère cauchemardesque ou songe prémonitoire de fin de vie ? Chaque spectateur donnera libre cours à son analyse au gré de son imagination.
Dans un décor unique qui est celui de la chambre de Faust avec un immense prie-Dieu et, en fond de scène, une échappée vers l’extérieur qui se présente comme un écran de cinéma ou celui d’une metteuse en scène est de servir le livret de Jules Barbier et Michel Carré et la musique de Gounod sans dénaturer l’histoire, notamment aux yeux de ceux qui découvriraient l’œuvre pour la première fois.
La représentation est dominée par le Méphisto de Nicolas Courjal qui s’impose, depuis quelques années, comme la meilleure basse française (souvenons-nous de l’excellente impression qu’il avait laissée dans ses quatre incarnations maléfiques des “Contes d’Hoffmann” à l’Opéra de Monte-Carlo aux côtés de Juan Diego Florez). Ici, les dons de comédien de cet interprète se révèlent exceptionnels et le personnage est vraiment ce que l’on se doit d’attendre de Méphisto. Point une basse profonde comme on l’imagine chez certains chanteurs russes mais plutôt une “basse chantante” matinée de baryton avec, d’un point de vue interprétatif, l’agilité, la ductilité, la vivacité, l’ironie, l’humour et même la séduction qui caractérisent ce trouble-fête qui se moque de tout et de tous. Sa scène de l’église, où il rampe tel un reptile autour d’une Marguerite en proie à des visions mystiques, est, de ce point de vue, un modèle. Bien sûr, la diction française est irréprochable et le charisme à la mesure des qualités de l’acteur.
Face à lui il est bien évident que Stefano Secco paraît emprunté sans avoir le physique exact de ce que l’on peut imaginer dans ce que l’on pourrait rêver pour le héros imaginé par librettistes. Chantant dans un français pourtant correct, le ténor milanais, qui poursuit une carrière internationale d’envergure, a subi un certain nombre de critiques de la part des spectateurs soit sur son accent, soit sur son jeu, soit encore sur ses efforts pour émettre les notes aiguës, ce qui ne nous paraît pas entièrement justifié, du moins lors de la représentation à laquelle nous avons assisté. Sa tentative d’attaquer un contre-ut forte pour le laisser s’éteindre sur un pianissimo dans son air “Salut demeure chaste et pure” est un défi évidemment risqué que seul un Giuseppe Di Stefano avait réussi à relever à la perfection dans sa légendaire prestation, en 1948, en tout début de sa carrière au Metropolitan Opera de New York. Nathalie Manfrino, actuellement enceinte, n’a pu se produire et a été remplacée par Chloé Chaume qui n’en est d’ailleurs pas à sa première Marguerite. La voix est jolie, la ligne de chant bien soutenue, la diction correcte et la comédienne impliquée. Elle devra toutefois, en ce début de carrière très prometteur, être vigilante à ne pas se laisser griser par la recherche d’une ampleur dans les notes aiguës, ce qui paraît, du moins dans ce rôle, par moments inutile. Armando Noguera dispose de l’ardeur nécessaire pour délivrer un Valentin crédible investi en une convaincante scène de la mort où son haut registre s’épanouit avec une indéniable aisance. La faconde de Jeanne-Marie Levy lui permet de dessiner une Dame Marthe truculente, tandis que Philippe Ermelier fait montre d’un métier affirmé – comme à son habitude – dans les quelques phrases de Wagner. Bien que physiquement crédible et s’attachant à phraser correctement, le Siebel de Camille Tresmontant n’est pas toujours convaincant. Antoine Normand se glisse avec aisance dans les habits du Faust vieux, ayant le mérite d’assurer le personnage contemplateur de son passé tout au long de l’ouvrage. Fort belle prestation du chœur en parfait unisson avec l’orchestre.
Christian Jarniat
24 mai 2019