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Célimène et Le Cardinal au Théâtre de L’Impertinent à Nice

Célimène et Le Cardinal au Théâtre de L’Impertinent à Nice

jeudi 12 mai 2022
Didier Veschi et Frédérique Grégoire / Photo Christian Chizat

En juin 1666 sur la scène du Palais Royal, Molière fait représenter une de ses œuvres les plus emblématiques : Le Misanthrope ou l’Atrabilaire amoureux. Le héros de cette pièce, Alceste, éprouve pour ceux qui l’entourent – et de manière plus générale pour le genre humain – une aversion profonde. A ses yeux il n’est entouré que d’hypocrites et de manipulateurs. Il dit à chacun son fait et sans ambages. Or, le monde du 17ème siècle (comme celui d’aujourd’hui d’ailleurs) est fondé sur des compromis qui sont pour Alceste insupportables. En livrant avec dégoût ce qu’il pense à chacun il multiplie les inimitiés tout en suscitant nombre d’incidents qui finissent par faire dégénérer toutes ses relations. Ses proches sont naturellement vexés par ses propos et sa vie se transforme en une longue série de différends et querelles. Ne trouve grâce à ses yeux qu’une jeune femme, Célimène, pour laquelle il éprouve de l’inclination. Mais celle-ci, aussi coquette qu’impertinente, est convoitée par nombre d’hommes qu’Alceste ne saurait supporter parce qu’ils sont, pour lui, vaniteux et sans esprit. Célimène, bien qu’attirée par Alceste, continue néanmoins à manifester de la complaisance envers ceux qui la courtisent. Alceste, indisposé par cette duplicité, finit par mettre Célimène à l’épreuve en la sommant de cesser de jouer avec le cœur de ses prétendants ( et avec le sien). Seul avec elle, il lui propose de l’épouser à condition qu’elle quitte avec lui la société des hommes qu’il ne supporte plus. Mais Célimène ne peut se résoudre à abandonner la vie mondaine dans laquelle elle se complaît. Écœuré, Alceste décide en conséquence, de se retirer du monde.

Plus de trois cents ans plus tard, Jacques Rampal réalisateur de bandes dessinées et d’albums humoristiques – notamment Ces animaux qui nous gouvernent (vendu à plus de 400 000 exemplaires)- mais aussi auteur dramatique et comédien, se lance dans un pari aussi audacieux que risqué et tout autant démesuré : proposer une suite au Misanthrope. De surcroît, pour ne pas se laisser aller à la facilité, il prend le parti de l’écrire comme son prédécesseur : en alexandrins !… Perplexité du milieu littéraire et doutes du monde du théâtre. Et pourtant, le 14 janvier 1992, Célimène et Le Cardinal est à l’affiche du Théâtre de la Porte Saint Martin avec deux sociétaires de la Comédie-Française Ludmila Mikaël (couronnée pour ce rôle par un Molière) et Gérard Desarthe (auquel succède ultérieurement Didier Sandre). La mise en scène a été confiée à Bernard Murat, l’un des plus prolifiques spécialistes du genre dans les théâtres parisiens. Trois ans plus tard Danielle Lebrun et Jean-Claude Drouot s’illustrent dans la mise en scène de l’auteur. La pièce revient à l’affiche en 2006 avec Claude Jade et Patrick Préjean (adaptation cinématographique à l’appui) et  depuis lors n’a jamais cessé depuis sa création d’être jouée non seulement à Paris comme en Province mais encore à l’étranger notamment aux États-Unis et aux Indes.
 
Dans Le Misanthrope, Célimène avait vingt ans et passait son temps à séduire les hommes sans véritablement avoir de sentiments sincères pour quiconque. Elle était conduite par le désir de plaire, par la coquetterie et défendait, avant l’heure, la liberté féminine. Face à elle Alceste était un homme en souffrance qui n’acceptait les conseils de quiconque, sa misanthropie le mettant dans une situation psychologique inextricable et ne lui permettant aucune issue dans la possibilité d’éprouver du bonheur faute d’accepter le moindre compromis. On a quitté Alceste voulant se retirer du monde, on le retrouve dans la pièce de Jacques Rampal devenu puissant prélat. Quant à Célimène, après une vie de coquette, elle a fini par épouser un bourgeois et est devenue mère de quatre enfants… Tout le sel de la pièce de Jacques Rampal est de mettre en présence les deux protagonistes de l’œuvre de Molière pour les confronter au regard de ce qu’ils sont devenus.
Célimène a, en apparence, trahi la coquette qu’elle était en menant une vie rangée. Quant à Alceste, paré de la pourpre de Cardinal, il a rejoint un monde qu’il exécrait jadis : celui de la Cour ou la compromission est pourtant érigée en statut. Ont-ils vraiment changé à ce point ? Que dissimule exactement cette entrevue entre deux personnages qui se sont aimés jadis, mais qui ne pouvaient s’unir eu égard à leur trop grande différence de la perception de la vie. Et qu’ont-ils à se dire alors que vingt ans se sont écoulés ? Le charme d’antan peut il encore renaître entre eux ?…
Cet improbable face à face est le prétexte à une étincelante joute oratoire où vont se succéder sous-entendus malicieux, fougue rebelle, incantations, menaces, et aveux à demi-mots. Car Célimène n’a rien perdu de son impertinence et n’a toujours pas sa langue dans la poche. Sa coquetterie est en permanence sous jacente et elle va jusqu’à confier à Alceste que, bien que mariée, elle n’a pas moins pratiqué des « écarts » dans sa relation avec son époux à telle enseigne que l’un de ses enfants ressemble à s’y méprendre à l’un de leurs amis communs. Alceste a beau se draper dans son orgueil d’ecclésiastique de haute volée et faire tonner les préceptes abrupts d’homme d’église convoquant même les flammes de l’enfer, Célimène ne s’en émeut pas pour autant. Et lorsque Alceste exige d’elle une confession en bonne et due forme, elle s’y livre avec une impertinence qui n’est pas loin de la jubilation. 
Car Célimène interroge Alceste sur le but exact de sa visite et celui-ci est bien en peine de lui révéler ses véritables intentions. Après un long duel où chacun parvient à se défaire de l’emprise de son adversaire et à la question de savoir quand ils se reverront, le Cardinal finit par avouer que ce sera sans doute pour le lendemain, ce qui en dit long sur les véritables sentiments qu’il ne veut avouer. Finalement libertinage et adultère sortent vainqueurs de ce combat. Tout ceci est exprimé non seulement par le truchement d’une fort belle langue admirablement maîtrisée et de continuels traits d’esprit mais encore avec l’élégance et la musique si particulière des alexandrins et avec le sens aigu d’un théâtre qui a de véritables résonances d’aujourd’hui et, en sus, de ce qui se fait de mieux en pareille matière.

L’intérêt de la représentation niçoise au Théâtre de l’Impertinent réside notamment dans le fait que les deux protagonistes ont, voici quelques mois, joué Le Misanthrope qu’ils vont à nouveau interpréter sous peu*. Ils sont donc parfaitement imprégnés des climats combinés et complémentaires des œuvres de Molière et de Jacques Rampal et savent avec beaucoup d’esprit autant que de justesse, donner un relief particulier aux multiples facettes de ce couple en apparence improbable.

Frédérique Grégoire défend la ligne d’une femme joyeuse et épanouie qui ne s’en laisse pas conter et qui n’entend pas davantage se trouver déstabilisée dans ce duel. Et par ailleurs sa Célimène est aussi attachante qu’émouvante car, au fond, elle n’a jamais cessé d’éprouver de l’amour pour cet Alceste qui portait en lui tant d’émotion. 
Quant à ce misanthrope devenu homme d’église, il a toute la puissance et la subtilité de Didier Veschi qui prétend détenir toutes les vérités en se retranchant derrière celles préconisées par l’église, mais qui en réalité finit par se laisser emparer par le démon de midi lorsqu’il consulte, à l’insu de Célimène, un recueil de dessins où celle-ci apparaît dans le plus simple appareil. 
Célimène et Le Cardinal est un mets particulièrement succulent car chaque réplique fait mouche autant qu’elle séduit avec en prime un bonus lorsqu’on connaît parfaitement Le Misanthrope dans la mesure où tous les personnages y sont, en clin d’œil, évoqués, non sans humour, par Célimène et Alceste pour la joie du spectateur. La pièce est encore programmée pour quatre représentations.
Si vous voulez partager le plaisir du rire avec celui de l’intelligence, de la verve et de la finesse, courez-y car vous passerez le plus délicieux des moments !
Christian JARNIAT
Le 12 mai 2022

*Le Misanthrope de Molière
Par Le petit théâtre des Affranchis

Samedi 4 juin à 21 heures
Salle du Centre culturel de Cagnes sur Mer

Tarifs : 6 € et 9 € – Monnaie Renoir acceptée

Billetterie Maison des Associations (04 92 02 57 40),
7 av. de l’Hôtel de Ville et sur place uniquement le soir-même (à partir de 19h)
Spectacle organisé par la Direction des Affaires Culturelles : 04 93 22 19 25

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