Nous avons évoqué dans un précédent article la fermeture du Théâtre National de Nice, en vue de sa démolition en indiquant que les représentations prévues au programme se dérouleraient en des lieux divers et notamment, pour le mois de janvier, à l’Opéra de Nice. En ce mercredi 12 janvier la première expérience avait lieu avec le Tartuffe de Molière dans la production du Théâtre de La Criée de Marseille (novembre 2021) qui fait actuellement l’objet, après Paris, d’une tournée en France.
Tartuffe et les affres de la censure
Tartuffe est l’œuvre de Molière qui aura, sans doute, entraîné les plus grandes controverses à l’époque de sa création. En 1664 Molière est au faîte de la gloire, le Roi l’honore de son admiration et, alors que d’opulentes festivités sont organisées à Versailles en 1664, l’auteur décide de proposer sa nouvelle comédie : Tartuffe. Le soir du 12 mai la Cour et son monarque auraient apprécié l’œuvre, et pourtant, dés le lendemain, la fronde des dévots, obtient la censure immédiate de la pièce avec l’appui de Louis XIV, chef de l’église catholique, empêtré par ailleurs dans la montée de mouvements séditieux où le jansénisme fait craindre la menace d’un schisme. Il faudra attendre le 5 février 1669, soit près de cinq ans après sa création, pour que cette comédie soit à nouveau jouée avec néanmoins le texte « édulcoré » par la rigueur de la censure (à cet égard, il est intéressant de découvrir, pour célébrer le 400ème anniversaire de la naissance de Molière, la nouvelle production proposée par la Comédie Française avec le texte écrit avant censure pour la représentation de 1664 lequel vient d’être republiée par Georges Forestier pour cette occasion).
Une production inspirée par « Théorème » de Pasolini
La production signée Macha Makeïeff (mise en scène, décors costumes) porte pour titre :Tartuffe et pour sous-titre : Théorème faisant ainsi référence à Pier Paolo Pasolini, le sulfureux cinéaste italien dont le film narre l’histoire d’une sorte « d’ange venu d’ailleurs » qui s’installe dans une famille et dont l’emprise et les relations troubles avec chacun des protagonistes, finissent par transformer profondément les personnages de cette cellule familiale laissant chacun de ses membres profondément désemparés après son départ.
Ici, Tartuffe agit davantage comme un prédateur semblable au gourou d’une secte, poursuivant un but précis : celui de soumettre à sa domination absolue le chef de famille (Orgon) afin de pouvoir impunément séduire sa femme et sa fille et, in fine, s’emparer de tous ses biens. Via une donation subtilement extorquée, il captera son héritage. Le (faux) dévot est un voyou. Macha Makeïeff a d’ailleurs indiqué dans une interview que tous les ingrédients de cette pièce, constituaient « le scénario d’un roman noir ».
Tartuffe chez les « sixties »
Macha Makeïeff nous propose dans son décor, une transposition dans les années 1950-1960. Les couleurs du vaste salon sont volontairement criardes et l’on peut apercevoir au travers d’un rideau transparent la large terrasse où, pendant une sorte de prélude musical, sur des accents quelque peu « psychédéliques », des couples s’adonnent à la danse. Le ton est donc donné, d’une ambiance volontairement contemporaine.
Malgré l’opposition de la famille, mais aussi eu égard à sa lassitude à multiplier les arguments contre Tartuffe, Orgon continue dans son aveuglement, et en dépit des preuves accumulées, à demeurer sous le joug du mystificateur. Tout cela est entouré d’une partition musicale particulièrement prenante (musique signée Luis Fernando Perez), qui parcourt la gamme des sons acoustiques graves et profonds jusqu’à l’accompagnement solennel et angoissant de l’orgue dans les dernières scènes où Tartuffe parait triompher dans sa toute-puissance.
Xavier Gallais en tête de distribution
La distribution réunie qui a déjà joué Tartuffe, non seulement dans un grand nombre de représentations au Théâtre de La Criée à Marseille, mais aussi en tournée est composée d’acteurs de mérite. Xavier Gallais qui interprétait en 2001, à l’âge de 25 ans, le rôle de Cyrano de Bergerac au Théâtre National de Nice, dans la mise en scène de Jacques Weber – et qui depuis lors, poursuit une brillante carrière au théâtre comme au cinéma – entièrement vêtu de noir avec cheveux très longs et silhouette mince et acérée, incarne ce faux dévot, mystérieux, cynique, au regard perçant, tel un Méphisto de Faust, qui serait frère jumeau de Basile du Barbier de Seville mâtiné de Nosferatu de Murnau. à l’instar des corbeaux empaillés qui constitueront les symboles inquiétants d’une cérémonie initiatique de type « messe noire », à laquelle participe Orgon entouré des acolytes de Tartuffe sur la terrasse de l’appartement.
Vincent Winterhalter dessine un Orgon, sobre et expressif, et Jeanne-Marie Lévy, habituée de la scène lyrique, démontre qu’elle est une Madame Pernelle sachant projeter sa voix. Hélène Bressiant est parfaitement convaincante dans le rôle d’Elmire comme Irina Solano dans celui de Dorine (qui n’est plus ici « suivante » mais amie de la famille). En revanche, bien que l’ensemble des protagonistes soient habilement caractérisés tels qu’imaginés par la metteuse en scène, il n’en demeure pas moins (la vaste salle de l’Opéra en est-elle la cause ?) que certains interprètes ont du mal à se faire entendre et semblent parfois jouer comme s’ils étaient sur un plateau de cinéma (il est vrai que le sens de la projection vocale parait avoir perdu de son sens au fil des années… et que les spectateurs ont du mal a saisir l’intégralité des dialogues du fait de dictions parfois approximatives).
Christian JARNIAT
Le 12 janvier 2022
