DU LEVER DU JOUR AU CHANT SEREIN DE LA NATURE ET DE L’HUMANITE HEUREUSE… : Retour sur le superbe concert Nielsen/Sibelius/Rachmaninov de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
Avec pour climax central de la soirée le Concerto pour violon en ré mineur de Sibelius, l’un des plus joués du répertoire, par le jeune violoniste ukrainien Valeriy Sokolov, c’est cependant la prestation particulièrement inspirée de la phalange monégasque dans la Symphonie n°2 de Rachmaninov sous la baguette du norvégien Eivind Gullberg Jensen qui emporte l’enthousiasme du public… et le nôtre !
S’il n’est pas toujours évident de trouver le fil conducteur d’un programme de concert symphonique, il n’est sans doute pas trop hasardeux d’avancer que c’est cette même nature « pleine de grâce, reine du temps et de l’espace » que chante Werther, qui était au centre des œuvres présentées ce dimanche 21 janvier par l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo.
Au commencement était…le lever du jour
Inspirée au compositeur danois Carl Nielsen par un séjour avec son épouse sur les bords de la mer Egée, Hélios entraîne vigoureusement l’auditeur vers un climat impressionniste fait davantage de vaillance que de méditation. Si ce sont les cors qui ouvrent la polyphonie – plutôt timidement, il faut l’avouer -, de poétiques phrases au hautbois et à la flûte s’élèvent progressivement au-dessus du frémissement des contrebasses et violoncelles, d’abord, puis de l’ensemble des bois avant de céder la place – l’espace ! – à de vigoureuses sonneries de cuivres dont l’inspiration serait peut-être à aller chercher du côté de Siegfried (Nielsen était a priori sensible au monde des légendes germaniques…). Dans sa dernière partie, l’ouverture évoque le coucher de soleil, comme pour nous suggérer que, même le temps bien bref d’un concert, il y aura un soir, après un matin…
Valeriy Sokolov, plus dionysiaque qu’apollinien
Si la présence du chef norvégien Eivind Gullberg Jensen fait déjà montre dans cette œuvre, assez brève (12 mn environ), d’un bel engagement, ce dernier ne passera pas au second plan dans l’œuvre suivante au programme et ce malgré la solide personnalité – y compris physique – du soliste. On sait pourtant que la cadence située, ici, dès le début de l’œuvre, permet au concertiste, dès l’allegro moderato initial, de très vite prendre de l’altitude et d’évoluer sur des cîmes où s’enchaînent fiévreusement les motifs successifs. Dans ce passage obligé des concertistes internationaux, Valeriy Sokolov retient davantage l’attention par un jeu plus sanguin que cérébral. Ramassé et trapu sur son instrument, le concertiste, dès le premier mouvement, fait assaut d’une technicité sans faille mais sans exhibitionnisme exagéré – une gageure dans ce concerto ! – et n’oublie jamais de faire chanter avec poésie son instrument, en particulier dans ce 1er mouvement, aux fulgurances successives. De son côté, l’orchestre ne cède en rien la place et sait manifester, toujours dans le même mouvement, par de tempétueux développements des cordes – entrecoupés par le joli dialogue des deux flûtes et des deux clarinettes – une présence réelle mais sans effets inutiles. Si le véritable lied que constitue, pour le concertiste, le deuxième mouvement est empreint à la fois de lyrisme et de retenue, c’est dans la pugnacité de l’allegro ma non tanto final que nous apprécions davantage le jeu de Sokolov. Véritable feu d’artifice pour le concertiste qui, malgré un tempo d’enfer, n’en escamote jamais les sonorités moirées, nous retrouvons dans ce final chauffé à blanc la belle intensité – presque plus slave que nordique ! – de la phalange monégasque.
La poésie éthérée et contemplative de la Deuxième Symphonie de Rachmaninov
Quel bonheur de « voir » le plaisir palpable des musiciens de l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo « partager » cette œuvre, l’une des plus paradigmatiques de l’esprit humaniste et de l’appétit de (re)vivre de son compositeur ! Dans son exil de Dresde – le 1er hélas d’une longue série ! – Rachmaninov se replie sur ses fondamentaux : l’amour conjugal, la paternité, la lecture, les arts… et prend le large dans les dimensions de sa composition (près d’une heure de musique avec, en particulier, un 1er mouvement gigantesque de quelques 25 mn !).
Retrouvant, dans ce 1er mouvement, des sonorités « à la Sibelius », la direction engagée d’Eivind Gullberg Jensen1 permet aux cordes, particulièrement somptueuses ici, de renouer avec la poésie des grands espaces, non dépourvus de la présence de l’Homme avec ses doutes et ses inquiétudes, et de favoriser un émouvant dialogue entre le premier violon inspiré et au lyrisme à fleur de peau de David Lefèvre, le cor anglais de Mathilde Rampelberg puis les pupitres de flûtes et le cor solo. La quête jubilatoire du bonheur, si prégnante dans le deuxième mouvement Allegro molto au scherzo si dansant, est véritablement communicative parmi les musiciens de l’orchestre et cela fait plaisir à voir !
Comme souvent chez Rachmaninov, la mélancolie n’est jamais très éloignée du bonheur le plus simple et la cantilène sinueuse énoncée par la clarinette de Marie B. Barrière-Bilote nous en donne, pendant le 3ème mouvement Adagio, un bel aperçu, repris ensuite par le cor anglais, le violon solo, le cor, le hautbois et la flûte. C’est de toute beauté. Enfin, un nouveau rythme de danse – latine cette fois-ci – vient prendre place dans le dernier mouvement allegro vivace, irisé d’envolées lyriques qui nous emportent, avec les musiciens tous ici à la manœuvre, vers un « ailleurs » infini dont le compositeur russe a lui seul le secret !
On n’est pas sorti indemne de cette soirée…même plusieurs heures après, en écrivant ces lignes !
Hervé CASINI
21 janvier 2024
1Dirigeant sans partition
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
direction : Eivind Gullberg Jensen
Violon : Valeriy Sokolov
Carl Nielsen, Helios, ouverture, op. 17
Jean Sibelius, Concerto pour violon en ré mineur, op. 47
Sergei Rachmaninov, Symphonie n°2 en mi mineur, op. 27