Gaetano Donizetti compositeur prolifique de 71 opéras fut un temps fêté par Paris. C’est ainsi qu’en seulement 18 mois il y proposa en août 1839 Lucie de Lammermoor (Théâtre de la Renaissance), la version française de Lucia di Lammermoor dans la traduction d’Alphonse Royer et Gustave Vaëz, Les Martyrs en avril 1840 (Opéra de Paris), La Favorite en décembre 1840 (Opéra de Paris) et La Fille du régiment en février1840 (Opéra Comique de Paris).
Cet ouvrage en deux actes du compositeur bergamasque sur un livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et Jean-François Bayard, demeuré au répertoire par son patriotisme affiché fêta en 1914 dans le théâtre de sa création la 1000e représentation. Comme l’écrivait La France musicale : « Cet opéra-comique est remarquable surtout par la simplicité des mélodies, par la fécondité des idées et par les effets du chant ».
Jacques Offenbach s’en inspirera pour La Fille du tambour-major créée au théâtre des Folies-Dramatiques, le 13 décembre 1879, l’ultime opus que le compositeur put voir de son vivant avant la création de son opéra posthume Les Contes d’Hoffmann représenté deux ans plus tard.
Le thème de l’œuvre est très proche de La Fille du régiment de Gaetano Donizetti. Le personnage de Stella rappelant en effet celui de Marie et les chants militaires tenant une place importante dans la partition.
La nouvelle production de cette Fille du Régiment affichée par l’Opéra de Monte-Carlo a été confiée à Jean-Louis Grinda. On connaît les affinités de ce dernier pour le cinéma, qu’il avait particulièrement mis en valeur dans une comédie musicale entièrement consacrée au 7e art : Chantons sous la pluie (au Théâtre Royal de Wallonie de Liège en 1999 avant une longue tournée en France). Sur la scène monégasque pour Le Turc en Italie de Rossini, il avait également dressé un écran avec une projection de films muets où l’on voyait notamment pendant l’ouverture le ventripotent Don Geronio s’offusquer des restrictions culinaires de son épouse lui servant avec un plaisir non dissimulé trois petits pois en guise de dîner. Tout était filmé en noir et blanc avec une verve comique visuelle très efficace.
Là encore et pendant l’ouverture, un film muet sert de prologue à l’histoire qui va se dérouler sous nos yeux avec des images d’époque montrant des personnages posant pour un photographe. Un soldat et une marquise se rencontrent et éprouvent une attirance réciproque. Ils ont un enfant mais la marquise revêt peu après une robe de deuil car le soldat disparaît. La petite fille devient rapidement la mascotte d’un régiment de soldats et on la voit gamine, tenant entre ses bras une peluche à diverses époques jusqu’à son adolescence. Le film dans le cadre de scène se termine et très astucieusement les images plates se transforment, laissant place à de vrais personnages, des villageois dans un bourg du Tyrol tremblant de terreur à l’annonce de la venue imminente des troupes françaises.
Avec sa science coutumière de la scène, Jean-Louis Grinda nous offre immédiatement des images particulièrement vivantes teintées d’un humour habituel qu’il maîtrise à la perfection. Le tableau change avec côté jardin une cuisine où s’affaire la vivandière Marie tandis qu’en fond de scène, on découvre la caserne de soldats. Jean-Louis Grinda imprime une allure chorégraphique qui sera constante jusqu’à la fin de l’ouvrage. Sa connaissance accomplie du répertoire lyrique léger, de l’opérette comme de la comédie musicale1 , est ici parfaitement perceptible et appréciable pour l’animation des masses toujours en mouvement. C’est ainsi que lorsque Tonio chante son air « Ah mes amis…Pour mon âme ») une chorégraphie amusante des soldats s’instaure derrière lui. Également très drôle le ballet au dernier acte entre les servantes et les tyroliens musclés à souhait, à la fois gardes du corps mais aussi assignés au déménagement du piano du salon huppé.
Pendant tout ce spectacle, une distribution de chanteurs-comédiens jouent particulièrement le jeu dans cet ouvrage qui se veut sur le plan musical et vocal un opéra belcantiste au plein sens du terme avec des passages extrêmement brillants et ornés comme l’air de Tonio déjà cité mais en outre, celui de Marie « Salut à la France… ». L’aspect demeure celui d’un opéra-comique (qui parfois donne l’apparence d’une opérette avec des textes parlés).
Il y faut donc des comédiens rompus à ce type d’exercice et on en a la démonstration avec Jean-François Lapointe (Sulpice) qui depuis des décennies sait dans sa carrière faire alterner, avec autant de charisme que d’élégance, des rôles d’opérette comme La Veuve Joyeuse avec ceux d’opéra comme par exemple, son exceptionnel Hamlet d’Ambroise Thomas.
L’aisance dans le texte est ici évidente mais il en va de même pour Regula Mühlemann qui, outre un physique particulièrement avenant et correspondant à l’image que l’on peut se faire de Marie, l’interprète avec autant de charme que de vivacité. Pour une chanteuse étrangère, son français est absolument parfait mais on apprécie également les qualités indéniables de musicienne de cette soprano suisse car le legato de son chant est en tous points admirable (avec à la fin de l’acte 1 un « Il faut partir » merveilleusement phrasé). On a certes, entendu des cantatrices pourvues d’un instrument plus ample dans ce rôle, mais celui-ci le nécessite-t-il vraiment dans la mesure où dans ce Donizetti si spécifique la voix doit demeurer légère (pensons aux exemples de Mady Mesplé, Nathalie Dessay ou encore de Sabine Devieilhe). Certes ce rôle a été chanté à la scène comme au disque par Joan Sutherland, mais est-ce vraiment indispensable dans pareil emploi ?
Cet opéra-comique est particulièrement renommé pour l’air de Tonio : « Ah ! mes amis, quel jour de fête ! », surnommé « l’Everest de l’art lyrique », puisqu’il ne comporte pas moins de neuf contre-ut, qui se succèdent à un rythme rapproché. (Parmi les grands interprètes, on compte les ténors Alfredo Kraus, Luciano Pavarotti et Juan Diego Flórez). Javier Camarena fait encore ici valoir toutes les qualités de son timbre et son engagement. Peut-être une légère fatigue (du fait qu’il avait été souffrant pendant les répétitions) se faisait sentir en ce soir de troisième représentation alors qu’il avait triomphalement bissé cet air célèbre lors de la précédente.
Les autres rôles sont excellemment tenus, en particulier Marie Gautrot dans la Marquise de Berkenfield et Rodolphe Briand en Hortensius. Une mention spéciale pour la « croquignolesque » Duchesse de Crakentorp de Jean-François Vinciguerra, complice de longue date de Jean-Louis Grinda.
Le chœur a apporté une part notable à cette représentation tant par la voix que par le jeu et Ion Marin (chef d’envergure internationale pouvant se prévaloir d’une riche discographie) a conduit avec dynamisme et bonheur toute cette joyeuse troupe. Une mention toute particulière au remarquable premier violon super soliste David Lefèvre de l’Orchestre Philharmonique pour sa chatoyante prestation en solo pendant le prélude qui précède l’acte 2.
Christian Jarniat
28 mars 2024
1Outre Chantons sous la pluie déjà citée, on oubliera ni Titanic, ni Sugar (Certains l’aiment chaud) représentés à l’Opéra de Wallonie de Liège ainsi qu’en tournée.
Direction musicale : Ion Marin
Mise en scène : Jean-Louis Grinda
Décors : Rudy Sabounghi
Costumes : Jorge Jara
Lumières : Laurent Castaingt
Vidéos : Gabriel Grinda
Distribution
Marie : Regula Mühlemann
Tonio : Javier Camarena (24, 26, 28 mars)
Tonio : Julien Dran (30 mars)
Sulpice : Jean-François Lapointe
La Marquise de Berkenfield : Marie Gautrot
Hortensius : Rodolphe Briand
La Duchesse de Crakentorp : Jean-François Vinciguerra
Un Notaire : Benoît Gunalons
Un Caporal : Paolo Marchini
Un Paysan : Nicolo La Farciola
Premier violon solo supersoliste : David Lefèvre
Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo