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RICARDA MERBETH : L’ENDURANCE ET LA MODERNITÉ

RICARDA MERBETH : L’ENDURANCE ET LA MODERNITÉ

vendredi 5 avril 2024

Ricarda Merbeth – (c) Mirko Jörg Keller

Après trois représentations avec une mise en scène de l’Autrichien Philipp M. Krenn au Festival de Baden-Baden en mars dernier, Kirill Petrenko et l’Orchestre philharmonique de Berlin enchantent le public de la capitale allemande grâce à une exécution en concert de l’ « Elektra » de Richard Strauss. On y apprécie notamment Ricarda Merbeth, remplaçant Nina Stemme dans le rôle-titre. L’auditoire y vit une liesse considérable.

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Surnommé « la vieille belle dame jalouse », l’Orchestre philharmonique de Berlin (OPB) aura – au cours de sa glorieuse histoire – donné seulement trois fois en version de concert le tellurique opéra en un acte écrit par Richard Strauss en 1908. Il eut, pour ce faire, besoin seulement de neuf mois. Claudio Abbado et l’OPB le présentèrent à l’automne 1994, puis au printemps 1996. Vingt-huit ans plus tard, Kirill Petrenko s’empare de l’œuvre et en donne – tant à Baden-Baden qu’à Berlin – une lecture d’une modernité étincelante. Amoureux à la fois du détail et de la grande forme, il conduit l’ouvrage comme s’il dirigeait du Berg, parfois du Debussy ou du Bartók. Il rend ainsi hommage à la partition la plus moderne de Richard Strauss. Dans cette perspective, Petrenko allège la section des contrebasses. Au lieu d’être huit, elles sont six. En résulte, dès lors, une transparence accrue de la polyphonie et des mélanges de timbres. Ainsi, le début du monologue de l’insomniaque Clytemnestre permet enfin de bien percevoir la juxtaposition du célesta et des deux parties de harpe.

« Elektra » selon Petrenko représente près de deux heures de modernité. Elle ne se situe pas au cœur de la tradition germanique la plus affirmée, celle où excella – en 2015 dans la même salle de la Philharmonie de Berlin – un Marek Janowski. Petrenko montre aussi que Strauss a une valeur patrimoniale collective. Ses ouvrages lyriques ne sont pas, par voie de conséquence, la propriété exclusive de Christian Thielemann. Petrenko est un homme d’aujourd’hui. Il diffère de son confrère allemand, trop préoccupé du passé et cherchant à se présenter comme le successeur théorique du Dr. Wilhelm Furtwängler. Avec Petrenko, les personnages d’ « Elektra » ne ressemblent pas à des statues. On le note avec l’étonnant Égisthe du ténor Wolfgang Ablinger-Sperrhake et avec la dimension fort humaine d’Oreste, chanté de manière bouleversante par le baryton Johan Reuter. De son côté, Chrysotemis a – par contraste – une dimension un rien ordinaire. Elle se trouve accentué par la diction allemande assez peu soignée d’Elza van den Heever.

De même que Waltraud Meier était, durant le concert Janowski de 2015, une Clytemnestre d’une modernité complète, Michaela Schuster trace un magnifique portrait psychologique du personnage. Sa perversité est fort insidieuse. Elle se trouve aux antipodes de la tradition des années 1960, à l’heure où Regina Resnik et Martha Mödl incarnaient une école d’interprétation issue d’artistes ayant travaillé sous l’autorité de Richard Strauss lui-même. Avec Schuster, on a l’impression de vivre un conflit familial à la fois éternel et d’aujourd’hui. Autrement dit, les travaux de Freud paraissent aussi frais que s’ils venaient d’être publiés. On se vautre dans une approche actuelle des complexes, névroses et autres singularités de la psychologie humaine. L’allemand pompeux d’Hugo von Hofmannsthal se libère de son côté ampoulé et marmoréen.

Pour des raisons de santé, Nina Stemme n’a pas pu incarner le personnage central de l’opus 58 de Strauss. Elle a été remplacée, dans l’urgence, par Ricarda Merbeth dont les brillants états de service sont connus. L’endurance de cette soprano dramatique suscite l’admiration, autant que sa culture de la belle intonation, son sens d’une diction raffinée et les éclairages qu’elle apporte à l’héroïne. Moins couleur bronze que Deborah Polaski et un peu plus consistante en densité que Catherine Foster, elle fait florès. L’artiste évite aussi les comparaisons inopportunes avec l’immense interprète qu’était Birgit Nilsson. Rendons grâce à Kirill Petrenko d’avoir choisi la remplaçante de Nina Stemme en Ricarda Merbeth. Son style vocal et musical est digne de l’avant-garde incarnée – l’année de la composition d’ « Elektra » – par « Le Livre des jardins suspendus » d’Arnold Schönberg. Ici encore, l’audace esthétique s’impose. Elle se trouve renforcée par l’absence de mise en scène.

Dr. Philippe Olivier

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