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COMMENT RÉSISTER AUX CATASTROPHES DE L’HISTOIRE

COMMENT RÉSISTER AUX CATASTROPHES DE L’HISTOIRE

mardi 2 avril 2024

(c) Monika Rittershaus

Conclusion des berlinoises Journées de fête de Pâques [Festtage zu Ostern] 2024, voulues par Daniel Barenboïm. Lancées en 1996, elles se sont achevées sur « Le Crépuscule des Dieux » dirigé par Philippe Jordan et mis en scène par Dmitri Tcherniakov. Le lien entre Richard Wagner et l’actuelle capitale allemande existe depuis … cent quatre-vingts ans.

Ce 1er avril 2024, un public international a fait fête à une distribution dont les piliers auront été l’inusable Andreas Schager en Siegfried, la belle Anja Kampe en Brünnhilde et l’expérimentée Violeta Urmana, campant une Waltraute au comportement très moderne. On aura également goûté la Gutrune de Mandy Fredrich, l’Alberich de Johannes Martin Kränzle, le Gunther de Roman Trekel et le Hagen de Stephen Milling, même si ce dernier n’a pas l’aura scénique, comme la projection vocale impressionnante, du Finlandais Mika Kares. Celui-ci est actuellement à l’Opéra Bastille où il incarne Fiesco dans « Simone Boccanegra » de Verdi. Personne n’a donc le don d’ubiquité. Ces artistes, les chœurs et l’orchestre de l’Opéra d’État allemand de Berlin ont donné de leur mieux sous la baguette de Philippe Jordan. Sa direction s’avère claire et limpide. Elle fluidifie le catalogue des humeurs allemandes les plus sombres, connu sous le nom de « Crépuscule des Dieux ». Elle le libère d’un pathos pouvant s’avérer excessif, autant qu’un peu nuisible à la compréhension d’une partition attestant de l’extraordinaire capacité de renouvellement montrée par Richard Wagner. Sous ce rapport, elle se trouve en étroite articulation avec la mise en scène de Dmitri Tcherniakov.

Les fidèles d’Arte connaissent la vision de la Tétralogie donnée par l’homme de théâtre russe. Elle est magistrale. En ce qui concerne son volet final, il aura permis de retrouver des images saisissantes : l’apparition d’une Erda muette ; la présence de Siegfried parmi un club de sportifs ; les mouvements des Nornes, ici trois vieilles dames d’aujourd’hui, percluses de rhumatismes. Les entrées et les déplacements de ces personnages se produisent en vertu d’une simplicité évidente, impressionnante. Ici, rien ne procède de la condamnation pour trouble à l’ordre public dont – en 1979 – les autorités de la République Démocratique Allemande (RDA) frappèrent une nouvelle production du « Ring » confiée à Ruth Berghaus. La dame de fer de la mise en scène d’opéra ne réalisa alors que « L’Or du Rhin ». Il disparut de l’affiche de l’Opéra d’État allemand de Berlin au bout de deux représentations. Le travail avait été jugé des plus impertinents. Il ne convenait pas à la mentalité petite-bourgeoise de la RDA.

La sûreté dont s’est de nouveau déroulé – ce printemps 2024 – le cycle complet procède de l’aspect quasiment industriel des productions germaniques. Alors qu’une telle entreprise relève, parmi divers pays, d’un travail pharaonique, on rencontre en l’espèce la cinquième Tétralogie entière présentée à l’Opéra d’État allemand depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. On en donna la première durant la saison 1956-1957. La seconde se vit limitée à son prologue – comme on l’a vu – en 1979. Au printemps 1996, Daniel Barenboïm et Harry Kupfer triomphèrent dans la troisième. L’Allemagne était alors réunifiée depuis six ans. La quatrième fut montrée en 2013. On y apprécia l’inventivité du metteur en scène belge Guy Cassiers. La cinquième et dernière production – confiée à Dmitri Tcherniakov – apparut en 2022. Reprise en 2023 et cette année, elle est toujours privée de Daniel Barenboïm. Les soucis de santé du maestro sont la cause de cette absence. De pareils scores s’inscrivent au livre d’or d’une tradition ancienne. Voici cent quatre-vingts ans que ” Le Vaisseau fantôme ” marqua le début des spectacles wagnériens berlinois. Le compositeur se trouvait au pupitre. On était en 1844.

Comme Daniel Barenboïm a renoncé, début janvier 2023, à son mandat de directeur musical de la fameuse institution de l’avenue Unter den Linden, son successeur y sera – à partir de septembre prochain – Christian Thielemann. Les Journées de fête de Pâques approcheront, en 2025, de leur trentième anniversaire. Qu’en fera Thielemann ? Y attester a-t-il de la continuité, une particularité germanique ? Certainement. En tout cas, elles ne relèveront pas de la fin lamentable de Wotan et des siens. La Tétralogie résiste à toutes les catastrophes de l’histoire germanique. Les Nornes ont prédit certaine chute à l’automne 1918 à l’Opéra d’État allemand de Berlin, tandis que des groupes armés tiraient sur sa façade. On vivait alors la fin du régime de Guillaume II. Au printemps 1945, la marche funèbre du « Crépuscule des Dieux » fut le dernier morceau diffusé par la Radio du 3ème Reich. Depuis, la Tétralogie a toujours été un phénix.

Dr. Philippe Olivier

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