Joyce DiDonato, Michael Spyres et John Nelson nous ont ravis dans la « Nuit d’ivresses » autour de Berlioz et Wagner, avec l’Orchestre philharmonique de Strasbourg
Après Les Troyens en 2017, La Damnation de Faust en 2019, puis Roméo et Juliette en 2022, Joyce DiDonato, Michael Spyres et John Nelson, toujours fidèles à l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg sont revenus vendredi dernier faire vibrer à nouveau la Salle Érasme du Palais de la Musique et des Congrès pour le plus grand bonheur des mélomanes strasbourgeois (et autres).
En première partie, c’est le chef d’orchestre Ludovic Morlot qui dirige « la Chasse Royale et Orage », extrait des Troyens de Berlioz. On est d’emblée séduit par la douceur infinie du cor solo, la fougue des cordes, l’excellence des cuivres bien sûr le raffinement de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg dont on savoure l’ampleur et la beauté des nuances.
Après cette éblouissante « Chasse Royale et Orage », Michael Spyres débute ici son voyage wagnérien (puisqu’il reviendra en mars pour interpréter Lohengrin, une prise de rôle que l’on a hâte de découvrir). Ce soir, ce sont les Wesendonck Lieder qu’il a choisi de chanter. Cette série de lieder fut donnée pour la première fois le 30 juillet 1862 sous le titre Fünf Gedichte für eine Frauenstimme.
Plusieurs ténors ont osé les aborder (Andreas Schager, Jonas Kaufmann) et c’est au tour de Michael Spyres d’essayer, avec un résultat étonnant. Certes, il ne possède pas l’épaisseur du timbre barytonnant de Kaufmann, mais Spyres dispose d’un bel échantillon de nuances. L’orchestre dans le premier Lied se révèle un peu épais, voire poussif, mais gagne en délicatesse et en couleur par la suite. Quelle infinie délicatesse des pianissimi dans « Im Treibhaus » avec des trémolos frémissants. On ne peut que savourer la rondeur de l’émission, la subtilité et l’élégance d’un chant raffiné, intimiste, ses aigus radieux, ses mezza-voce duveteux, en harmonie totale avec un orchestre « aérien », aux coloris chambristes. Le dernier Lied « Traüme » est de toute beauté, le phrasé est délicat, d’une grande poésie, laissant deviner le futur opéra de Wagner Tristan et Yseult ». Cette interprétation attise notre impatience et notre curiosité de découvrir dans 6 semaines son interprétation de Lohengrin. Il nous a confié lors de la séance de dédicace que sa voix serait prête pour cette grande prise de rôle.
Après la pause, Michael Spyres revient pour une « Nuit d’ivresse et d’extase infinie » chantée avec Joyce DiDonato, qui réveille avec bonheur le souvenir des mémorables Troyens de 2017. A peine arrivés sur scène, les deux chanteurs et le chef John Nelson s’étreignent et reçoivent du public une chaleureuse ovation. La complicité entre Spyres et DiDonato est toujours bien réelle. Si au début de l’air, les aigus Joyce DiDonato semblent être légèrement durs, ils gagnent rapidement en rondeur et en brillance. Après ce beau duo, la mezzo-soprano, vêtue d’une robe moulante aux teintes violettes et parme interprète « Cléopâtre » qu’elle avait chanté l’été dernier à la Côte Saint-André dans le cadre du Festival Berlioz, avec l’Orchestre Les Siècles dirigé par son chef François-Xavier Roth. L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg est grandiose dès les premières mesures de la flamboyante introduction et Joyce DiDonato est immédiatement habitée par son personnage, son visage se ferme, exprime la douleur. Tout est parfaitement réglé et expressif : son bras tendu quand elle saisit le serpent, le frisson au moment de la morsure, une Reine d’Égypte tiraillée entre son orgueil blessé, sa passion amoureuse, sa honte, son désespoir dans « Dieux du Nil, vous m’avez trahie ». En Cléopâtre, Joyce DiDonato manie les contrastes : des délicieux glissandi en cascades aux graves particulièrement assurés, elle révèle aussi une douceur infinie dans le final « Dieux du Ciel » qui est absolument bouleversant, à peine murmuré.
Les mêmes qualités de précision, de poésie et de musicalité se manifestent dans la « Grande fête chez Capulet » de Roméo et Juliette ». Si le geste de John Nelson n’est plus aussi précis, le maestro, dirige assis, mais imprime à la phalange strasbourgeoise la tension nécessaire pour sublimer la musique de Berlioz, mettant à l’honneur tous les pupitres : la chatoyance des cuivres, les belles nuances et le lyrisme des cordes, le délicieux haut-bois, le parfait ensemble des violoncelles.
Le concert, triomphal en tout point de vue, est accueilli avec enthousiasme par un public ravi rappelant sans fin John Nelson afin de lui témoigner son amour et sa reconnaissance qui, malgré sa fatigue après tant d’émotions, remercie la main sur le cœur, le public debout.
Une soirée grandiose et magistrale !!!
Marie-Thérèse Werling
26 Janvier 2014