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Théâtre National de Nice : Une journée particulière d’Ettore Scola magnifiée par un couple d’acteurs en état de grâce

Théâtre National de Nice : Une journée particulière d’Ettore Scola magnifiée par un couple d’acteurs en état de grâce

jeudi 11 janvier 2024

Simon Gosselin

À Rome, le 6 mai 1938 Hitler rencontre Mussolini : deux dictateurs aux tempéraments différents mais unis par le fascisme. On perçoit au lointain le bruissement de la foule, les musiques et les chants (entre autres l’hymne « Giovinezza » par le célèbre ténor Beniamino Gigli).

Cette journée particulière l’est à plusieurs titres. En effet, en ce jour de liesse, deux êtres cloîtrés dans leur solitude affective vont aussi se croiser de manière totalement imprévue au sein de leur immeuble déserté par les habitants lesquels se pressent à la cérémonie de l’entrevue entre le Duce et le Führer.

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Roschdy Zem et Laetitia Casta ©Simon Gosselin

Dans un décor (Bruno de Lavenère) réduit à celui d’une étroite cuisine Antonietta, une mère de famille de 6 enfants, se livre à des travaux ménagers auxquels elle est assignée chaque jour (tandis que son mari absent, machiste et facho, partage son temps entre les réunions du parti et ses ébats avec des prostituées ou ses maîtresses). Ce décor va rapidement se déployer sous plusieurs angles, donnant ainsi à la pièce une allure cinématographique d’autant que des images vidéos projetées serviront, en contrepoint, de rappel de l’euphorie extérieure. On peut ainsi pénétrer chez le voisin Gabriele chroniqueur de la radio nationale dont il a été exclu pour ses opinions politiques et son homosexualité et menacé, à brève échéance, de déportation. Il parle au téléphone avec son amant. Les deux hommes sont éloignés pour des raisons politiques et l’on comprend que Gabriele se trouve dans une période de désarroi profond qui le pousse à mettre fin à ses jours. C’est ainsi qu’il retourne contre lui un revolver, et se trouvera sauvé, in extremis, par l’intrusion soudaine d’Antonietta dont le mainate s’est échappé de sa cage et qu’elle vient essayer de récupérer chez son proche voisin.

Huguette Hatem et Giglila Fantoni reprennent avec scrupule le scénario de Ruggero Maccari pour le célèbre film (1977) d’Ettore Scola qui réussissait à magnifier deux monstres sacrés du cinéma avec une extrême habileté dans des rôles à contre-emploi : Sophia Loren et Marcello Mastroianni.

Lilo Baur, metteuse en scène de nombre de productions à la Comédie-Française, s’attache avec soin et avec pudeur à nous faire partager cette rencontre fortuite dont seul le hasard a le secret. Antonietta et Gabriele n’ont, à priori, que peu de choses à partager sauf leur profond mal-être qui va infléchir leur destin. Au fur et à mesure de cette journée, sur fond de retransmission radiodiffusée de la parade militaire, la profonde solitude affective que chacun éprouve sera ponctuée de scènes d’humour tendre venant quelquefois entrecouper, comme une sorte de respiration, les séquences beaucoup plus émotives, comme par exemple, le moment où Gabriele entraîne Antonietta en lui apprenant des pas de rumba. Seule l’intervention de la concierge viendra troubler leur duo pour mettre en garde Antonietta sur la mauvaise fréquentation qu’elle pourrait entretenir avec son voisin de palier.

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Laetitia Casta et Roschdy Zem©Simon Gosselin

Et puis, il y ce sommet de l’œuvre qui se déroule sur la terrasse. Un moment d’intense émotion qui exige des comédiens portés par la grâce. Antonietta y étend le linge et les deux protagonistes instituent un dialogue équivoque avec une sorte de jeu de cache-cache amoureux entre les draps tendus. On comprend l’attrait d’Antonietta pour Gabriele qui, à mots couverts, essaie de lui dire qui il est, mais ils ne parviennent pas à se rencontrer dans cet échange dans une scène où la tension va être portée à son paroxysme par l’aveu, in fine, de Gabriele de son homosexualité, et l’effondrement corrélatif d’Antonietta de tous ses espoirs. S’ensuit une dispute où chacun exprime de façon désordonnée sa violence, son incompréhension, son amertume, ses brisures, son désespoir, qui se conclura par une étreinte charnelle unique à la suite de laquelle chacun retournera à sa solitude.

Mais Antonietta sait désormais « qu’elle existe elle aussi ». Le retour du mari revenant plein de morgue et de satisfaction après la cérémonie fasciste vient naturellement trancher violemment avec ce qui précède, rappelant brutalement le retour de la réalité quotidienne. D’autant que l’on entend le bruit joyeux des enfants innocents qui ne peuvent imaginer le sens de la fête à laquelle leur père les a conduits.

À l’issue de cette journée particulière, chacun va de nouveau se retrouver emprisonné : la police vient arrêter Gabriele tandis qu’Antonietta, une fois la famille revenue, est brutalement sommée d’assouvir les désirs de son époux auquel elle répond par la négative. Elle ouvre le livre que Gabriele lui a donné en cadeau et se met à déchiffrer la première page (elle, la femme inculte, mais pour autant désormais attirée par autre chose et quelque part délivrée, pour l’instant du consternant quotidien).

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Laetitia Casta et Roschdy Zem ©Simon Gosselin

Et pour servir cette œuvre poignante qui ne peut que tirer les larmes des yeux des spectateurs les plus endurcis il faut un couple hors pair. Laetitia Casta illumine d’un bout à l’autre l’œuvre de Scola par sa présence, la crédibilité qu’elle confère à Antonietta, la sensibilité et la beauté intérieure qui se dégage de cette femme bouleversante prisonnière de sa soumission et néanmoins en quête d’un inaccessible amour. Il n’était pas imaginable de douter de tout ce qu’elle pourrait lui apporter après avoir admiré l’extraordinaire performance de son incarnation d’Arletty dans le téléfilm d’Arnaud Selignac (2015). Roschdy Zem sobre et sincère s’avère tout aussi convaincant en Gabriele.

Christian Jarniat

11 janvier 2024

Traduction : Huguette Hatem

Adaptation : Giglila Fantoni, Ruggero Maccari

Mise en scène : Lilo Baur

Scénographie : Bruno de Lavenère 

Costumes : Agnès Falque

Lumière : Laurent Castaingt 

Vidéo : Étienne Guiol 

Musique : Mich Ochowiak

Distribution :

Antonietta : Laetitia Casta

Gabriele : Roschdy Zem

Umberto : Joan Bellviure

La concierge : Sandra Choquet

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