Il y a déjà un certain nombre d’années, l’Opéra de Monte-Carlo avait représenté en version scénique ce qu’il est convenu d’appeler la trilogie des Tudor de Donizetti, à savoir : « Anna Bolena » (1830), « Maria Stuarda » (1835) et « Roberto Devereux » (1838). Le compositeur bergamasque est revenu à la mode, la plupart de ses œuvres significatives étant mises à l’affiche des théâtres internationaux et, pour ne prendre que « Maria Stuarda », l’œuvre a été représentée successivement en janvier 2016 à l’Opéra d’Avignon avec Patrizia Cioffi et Karine Deshayes et en octobre 2016 à l’Opéra de Marseille avec Annick Massis et Silvia Tro Santafe. En ce mois de décembre c’était donc au tour de l’Auditorium Rainier III de Monaco de recevoir l’œuvre qui illustre l’opposition véhémente des deux reines (celle d’Ecosse et celle d’Angleterre) qui n’existe en fait que dans l’esprit de l’auteur dramatique Schiller et dans celui du librettiste Giuseppe Bardari, mais qui n’est en aucun cas un fait historique.
A part cette empoignade royale bien connue des amateurs d’art lyrique, d’aucuns considère cet opéra comme statique, laissant la part belle à l’expression vocale qui est l’essence même des œuvres de la période belcantiste. Toutefois, des metteurs en scène inspirés peuvent néanmoins habilement théâtraliser les péripéties du livret et nous en avions eu la brillante démonstration lors de la retransmission au cinéma de la représentation du Metropolitan Opera de New York qui réunissait Joyce DiDonato et Elza Van Den Heever. La direction d’acteurs prodigieuse de David Mc Vicar mettait en relief le tempérament exceptionnel de deux cantatrices brûlant d’un véritable feu intérieur. On n’oubliera pas de sitôt la scène de la confession où l’héroïne, vieillie et frappée de la maladie de Parkinson, avoue ses forfaits d’une voix tragique dans laquelle passe des accents rauques qui rappellent indubitablement l’engagement dramatique d’une Marias Callas. A noter, en la circonstance, que les tessitures des deux reines sont inversées par rapport à ce que l’on entend habituellement, Maria Stuarda étant confiée à une mezzo-soprano et Elisabetta à une grande soprano lyrique (ce qui est parfois aussi le cas pour « Norma »).
Pour ce qui concerne la version monégasque, c’est à Annick Massis que revient la charge (comme d’ailleurs à l’Opéra de Marseille) de défendre le rôle-titre. Quelques coupures ont été opérées sur certaines parties « vocalisantes ». Nous gardons le souvenir de l’exceptionnelle prestation que la soprano nous avait livrée dans sa Mathilde de « Guillaume Tell » en Principauté, à l’Opéra Garnier, en 2015 La version concertante a naturellement l’inconvénient d’annihiler tout ce que le théâtre peut permettre dans le jeu dramatique. C’est bien là que réside le travers essentiel. Annick Massis donne une belle leçon de chant, irréprochable sur le plan technique. Se situant dans le sillage des sopranos « angéliques » comme Montserrat Caballé et Katia Riciarelli, elle s’attache aux « beaux sons » clairs et diaphanes où alternent aigus aisés et mezza-voce subtiles. Mais le personnage reste en retrait, impavide et quelque peu univoque dans l’angélisme. On regrette de ne pas voir toutes les facettes de cette reine qui n’est en aucun cas une icône figée. Elle doit exprimer successivement la nostalgie, l’exaltation, l’angoisse, la colère, la révolte, l’amour, l’abattement, etc. et nous n’avons pas vu exactement toutes les couleurs et les contrastes que supposent ces divers sentiments. Par ailleurs, n’oublions pas que Maria Stuarda porte le poids et les stigmates de crimes de sang qu’elle a commis. Reste qu’il faut s’incliner devant la prestation d’Annick Massis, même si on eut aimé que la couleur du médium et la chaleur des graves viennent donner quelques contrastes à cette interprétation royale.
Au contraire, Laura Polverelli s’applique, en un tempérament chaleureux, à exprimer l’autorité et la véhémence que l’on attend d’Elisabetta chez laquelle alternent doute, autoritarisme et désir de vengeance. Si la voix est d’une belle couleur avec des attaques franches, il n’en reste pas moins que cette excellente Dorabella de « Cosi Fan Tutte » et cette parfaite Charlotte de « Werther » est parfois dépassée dans les grands écarts de tessiture exigés pour Elisabetta où l’on attend l’amplitude et les triomphants aigus d’une chanteuse de type Shirley Verett ou, comme on le disait plus haut, la prestation d’une grande soprano-lyrico-dramatique.
La bonne surprise est venue de Francesco Demuro que nous avions déjà entendu dans « La Traviata » à l’Opéra de Paris aux côtés de Diana Damrau. Le rôle d’Alfredo Germont n’est pas suffisamment significatif pour mettre en valeur toutes les possibilités de la voix de ténor. Ici, en revanche, dans le rôle de Leicester, il nous est apparu particulièrement brillant, facile d’émission, arrogant dans l’articulation, clair de timbre avec ce qu’il faut dans une voix ouverte pour être séduisant, avec parfois ce quelque chose de José Carreras qui électrise.
Fabio Maria Capitanucci, déjà apprécié à l’Opéra de Marseille dans « Le Pirate » et « Lucia di Lammermoor », est un solide Cecil, tandis que la basse coréenne In-Sung Sim fait valoir en Talbot un art du chant parfaitement consommé. Le chœur, sous la direction de Stefano Visconti, a été en tous points parfaits, soucieux de nuances dans ses interventions tandis que l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, égal à lui-même dans l’excellence, était dirigé avec beaucoup d’allant par Antonino Fogliani.
Christian Jarniat
14 décembre 2016