La production d’Ariodante de Georges Friedrich Haendel récemment représentée à l’opéra de Mont-Carlo fut créée à Salzbourg en 2017. Le livret qui conte les aventures amoureuses du chevalier Ariodante à la cour du roi d’Ecosse au moyen âge s’inspire d’un ouvrage publié par le poète Ludovisco Ariosto en 1516
« Orlando furioso ».
A l’origine le rôle d’Ariodante fut écrit pour un castrat, et en 1735 lors de la création de l’ouvrage, l’emploi de Polinesso, celui par lequel le malheur arrive, incarné à Monaco par Christophe Dumaux, était tenu par Madame Maria Caterina Negri.
Bien que particulièrement inspiré et riche de couleurs, l’ouvrage connut à sa création un échec relatif, il ne comportait en effet ni sortilège, ni événement surnaturel et affichait clairement son inspiration de la tragédie lyrique française avec notamment un ballet à la fin de chaque acte. En s’emparant du sujet Christof Loy affiche d’emblée ses intentions, les questionnements sur l’identité sexuelle et l’intemporalité seront les chevaux de bataille du Chevalier Ariodante et de ses compagnons d’aventures… Nous voilà donc entraînés dans le royaume de l’ambiguïté et des clairs obscurs, les costumes optant tantôt pour le costume cravate cintré et branché, tantôt pour les perruques poudrées et les armures rutilantes… Du côté des protagonistes le souffle de l’évolution vers la sexualité unique est en marche… Le chevalier Ariodante, campé par Cécilia Bartoli, arbore un très viril système pileux dont il va progressivement s’affranchir pour redevenir une femme au dernier acte. Dans le même tempo, son amoureuse Ginevra, incarnée par Kathryn Lewek se masculinise dans sa vêture et ses attitudes… Dans cet extraordinaire théâtre de contrastes et d’équivoques, le questionnement de Christof Loy interpelle crûment le monde de l’opéra sur la relation sexe/voix d’opéra qui fut longtemps illustrée par les destins souvent tragiques des castrats. Aucune ambiguïté en revanche quant à la qualité du plateau qui, hormis Peter Kalman (le roi) était déjà dans sa totalité présent à Salzbourg lors de la création de cette production. Le public est littéralement pétrifié lorsque Cécilia Bartoli entame « Scherza infida » ou encore sous le charme pour « Doppo notte atra e funesta » , l’un des airs les plus jubilatoires écrits par Haendel que l’inénarrable Cécilia conclut en tirant vigoureusement sur un (vrai) cigare et en projetant de très efficaces ronds de fumée vers la salle….
Sa promise n’est pas en reste, Kathryn Lewek parant Ginevra de couleurs scintillantes et arborant des aigus aussi stratosphériques que précis. La soprano américaine se révèle scéniquement bouleversante dans la scène des hallucinations érotiques qui parachève le final du deuxième acte. Sandrine Piau est une Dalinda dont la finesse d’expression trouve à la salle Gamier un environnement idéal, elle donne une réplique empreinte de sensibilité et de consistance à Christophe Dumaux dont l’autorité, l’arrogance et l’habileté vocales habillent à la perfection l’odieux personnage de Polinesso. Peter Kalman enfin confère au roi d’Ecosse la majesté et la puissance que l’on est en droit d’attendre pour un tel rôle. Comme toujours en principauté les seconds rôles et les chœurs s’avèrent irréprochables. Dans la fosse Gianluca Capuano, qui vient d’être nommé chef principal des « Musiciens du Prince » délivre un discours d’une fluidité aboutie émaillé de silences à couper au couteau !!! Au final, le très conservateur public monégasque a réservé un accueil triomphal amplement mérité à cette production et salué Cécilia Bartoli d’une standing ovation !!! On en redemande….
Yves Courmes
8 mars 2019