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Carmen à l’Opéra de Marseille

Carmen à l’Opéra de Marseille

samedi 18 février 2023
Carmen à l’Opéra de Marseille. Quintette acte 2 ©Christian Dresse

L’amateur passionné d’art lyrique se pose occasionnellement des questions – sans doute « existentielles » – au sujet de l’attrait du public pour les œuvres du «  répertoire ». On peine parfois à susciter son intérêt pour des titres tels que Giovanna d’Arco ou Elisabetta Regina d’Inghilterra (pourtant de compositeurs aussi célèbres que Verdi et Rossini et merveilleusement distribués dans la citée phocéenne). On s’étonne par ailleurs que, même pour les fêtes de fin d’année, l’engouement ne soit plus véritablement celui d’antan pour une opérette aussi emblématique que L’Auberge du Cheval Blanc. Or voici que pour Carmen les cinq représentations à l’affiche de l’Opéra de Marseille font salle comble avec d’interminables listes d’attente. Preuve, s’il en était besoin, que le roman de Prosper Mérimée, mis en musique par Georges Bizet continue à attirer les foules, ici comme dans le monde entier, et l’on ne peut que s’en réjouir puisqu’il s’agit d’un indéniable chef-d’œuvre largement admiré par les plus grands compositeurs.

Tout au plus peut-on s’interroger sur la nature de ce public qui comprend sans aucun doute une part non négligeable de profanes (et c’est tant mieux si l’attrait de l’oeuvre suscite des vocations !). En guise de sourire, citons l’anecdote qui nous a été rapportée d’une dame, faisant à la sortie de la représentation, la réflexion suivante à son mari ou compagnon : « Je ne savais pas que la fin était aussi triste !… Carmen n’aurait jamais dû suivre l’artiste. Elle aurait suivi le gendarme, elle aurait été tranquille avec une bonne retraite… » (à méditer ! )
 
Pour passer aux choses plus sérieuses, il convient tout d’abord de louer la mise en scène de Jean-Louis Grinda entouré de ses « complices » habituels, Rudy Sabounghi pour les décors mais aussi pour les costumes en collaboration avec Françoise Raybaud Pace, Laurent Castaingt pour les lumières et Gabriel Grinda pour la vidéo (poignant parallèle au duo final de la lutte sans merci entre Don José et Carmen et la projection synchrone du combat entre le torero et le taureau) (1). 
Loin des représentations traditionnelles qui tombent souvent dans les travers de « l’espagnolade », il s’agit ici d’une version beaucoup plus épurée dans laquelle le destin comme l’amour tragique sont pertinemment mis en exergue. Pour ce faire, la scénographie est constituée en fond de plateau d’un monumental mur de briques à la base duquel s’ouvrent de grandes portes coulissantes comme celles d’un hangar. De part et d’autre deux immenses panneaux semi-circulaires pivotent pour constituer la silhouette stylisée d’une arène soit ouverte, soit fermée au fil des actes. Certains costumes, notamment ceux de la foule, sont inspirés de peintures de Goya (les femmes aux ombrelles sont caractéristiques de cet artiste). Tout en haut du mur est inscrit la date de 1875 ( celle de la création de Carmen).
 
La mise en scène qui nous est proposée débute par un flash-back : Don José vient de poignarder Carmen. Il est conduit par un soldat devant le panneau noir extérieur de l’arène assimilable à une cellule de prison au fond de laquelle il va revivre les épisodes de cette brûlante histoire d’amour qui l’a conduit de la déchéance jusqu’au meurtre. Le thème de l’inéluctable destin, si bien traduit dans l’œuvre de Bizet, est illustré dans l’ouverture comme dans les entractes musicaux successifs par une danseuse (Irène Rodriguez Olvera), qui rythme par un zapateo obsédant la progression du cheminement de la passion vers la mort. Les claquements des  chaussures sur le sol de cette figure de danse traditionnelle andalouse en contrepoint de la musique (et dans l’ultime séquence avec l’appui de castagnettes), nous conduit inexorablement vers l’issue fatale. Chorégraphie accomplie signée Eugénie Andrin.

En tête de distribution Héloïse Mas dessine une Carmen attachante sans histrionisme ni effets appuyés ou vulgaires. On a déjà eu l’occasion d’apprécier ses qualités interprétatives sur cette même scène dans Barbe-Bleue d’Offenbach en 2019 et toujours du même compositeur dans sa Périchole sur la scène du Théâtre de l’Odéon successivement en 2020 et en  janvier de cette année(2). Elle met à profit ses qualités de comédienne accomplie (assorties d’un physique en parfait adéquation avec le personnage) pour rendre crédible l’image de cette femme jeune et libre qui ne recule devant rien et qui défie sans faillir le sort. La voix est d’une homogénéité parfaite, la ligne de chant impeccable, le timbre offrant une belle palette de couleurs. La chanteuse ne recourt à aucun moment à des effets gratuits ou à un grossissement inopportun de ses moyens. Elle obtient légitimement aux saluts de longs applaudissements. Pour la générale comme pour la première représentation, le rôle de Don José a été confié à Jean-François Borras appelé à suppléer Amadi Lagha souffrant. Ce dernier rétabli, pouvait donc assurer la deuxième représentation. On peut admirer chez le ténor franco-tunisien une diction et une articulation parfaites de notre langue (et en conséquence, aucune obligation pour le spectateur de recourir au surtitrage). Par ailleurs, la voix est puissante et c’est bien celle qui convient en l’occurrence. Néanmoins, par endroits, on décèle des incertitudes de tonalité et corrélativement une absence de couleur que l’on peut regretter, eu égard à l’implication dramatique requise pour le rôle. Alexandra Marcellier parée de ses succès dans Madame Buttterfly à l’Opéra de Saint-Etienne et à celui de Monte-Carlo aborde Micaëla avec une voix plus large que celle que l’on a coutume d’entendre (3). Jean-François Lapointe – qui fut sur cette scène un inoubliable Hamlet en 2016 – incarne un Escamillo fougueux et vaillant et l’on retrouve le phrasé châtié et le legato racé du baryton québécois. Mais on touche du doigt, une fois de plus, les évidentes difficultés de pareil rôle à cause des écarts de tessiture qu’il exige entre le registre aigu et le registre grave pierre d’achoppement des « barytons clairs », le rôle d’Escamillo paraissant davantage convenir à une voix de basse chantante. Le reste de la distribution est confié à des artistes pour la plupart connus du public marseillais comme Gilen Goicoechea (Zuniga), Charlotte Despaux (Frasquita), Marie Kalinine (Mercédès), Jean-Gabriel Saint-Martin (Moralès), Olivier Grand (Le Dancaïre), Marc Larcher (Le Remendado), Frank T’Hézan (Lilas Pastia).
L’Orchestre de l’Opéra de Marseille, le Chœur et la Maîtrise des Bouches du Rhône tous remarquables bénéficiaient de la direction chaleureuse du chef Victorien Vanoosten.

Christian Jarniat
18 février 2023

(1) L’Opéra de Monte-Carlo avait accueilli cette production en novembre 2020 au Grimaldi Forum de Monaco pendant la période de la pandémie du Covid. Elle avait été représentée l’année précédente au Capitole de Toulouse.
(2) Héloïse Mas avait déjà abordé le rôle de Carmen en septembre 2018 à l’Opéra de Genève.
(3) Alexandra Marcellier nommée dans la catégorie « Révélations artiste lyrique » des Victoires de la Musique Classique 2023 interprétera Alice Ford le mois prochain dans la production de Falstaff de Verdi à l’Opéra de Nice.

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