La représentation de ce dimanche 18 juin a été précédée d’une intervention des artistes de l’orchestre et des chœurs protestant contre une réduction de la voilure la saison prochaine. Le public les a chaleureusement applaudis. Il est à craindre que Saint-Etienne ne soit pas un cas unique.
La présente production, déjà donnée à Nice, est du type transpositif, l’éternelle question étant celle de la pertinence des choix. Ici Daniel Benoin a opté pour la période particulière des Années Folles. La folle, vaine et meurtrière ambition qui est au centre de Macbeth, trouve un écho dans quelques irrésistibles ascensions de quelques rois du pétrole ou de l’acier totalement fondées sur des méthodes de truands. Le qualificatif de « tueur » dans cet univers prend l’allure d’un compliment. La période est riche en ce domaine. Les rappels, par projection, des combats de la Grande Guerre posent la sanglante conquête du pouvoir par Macbeth dans leur continuité en faisant un émule des dictateurs qu’elle a engendrés. Reste la question des sorcières et des apparitions, si importantes pour Verdi. Leur univers trouve un écho dans le monde sombre et quelque peu infernal de l’industrie métallurgique, ses coulées en fusion, ses parois suiffeuses et ses cohortes de damnées de la terre. La scénographie rend compte de ces deux pôles entre lesquels évolue le protagoniste. Une cour rectangulaire toute de briques sales et de fenêtres sinistres ouvrant sur une perspective sombre et rougeoyante de fonderie s’y oppose au lumineux salon des Macbeth, en pur style Art Déco avec ses parois vertes et sa frise de chardons (Écosse oblige !). La présence simultanée de la vaste table nécessaire au banquet et du lit conjugal peut surprendre mais il est toujours loisible de considérer leur valeur symbolique de lieux où les choses se consomment.
L’intérêt dramatique de Macbeth est tout dans la complexité et l’ambiguïté des rapports entre Macbeth et son épouse. Il serait très réducteur de les ramener à la faiblesse d’un homme face à l’influence démoniaque d’une épouse manipulatrice. La Lady Macbeth de Catherine Hunold n’a rien d’une froide calculatrice, elle apparaît même au début plutôt comme une bourgeoise dépensière qui fait un caprice en titillant un époux pusillanime. Ses « Che tardi? » (« Qu’attends-tu ? ») sont plus interrogatifs et minaudant qu’impératifs. C’est dans un second temps qu’elle s’emballe. Cela en fait un personnage inconséquent pris au piège de son inconséquence et conduit à une fuite en avant sans autre issue que la folie face à l’impossibilité de défaire ce qui a été fait. Elle ne perd jamais son caractère humain même dans la fébrilité du crime. Cette interprétation rend justice à Verdi chez qui (hormis peut-être le Grand Inquisiteur de Don Carlos) il n’y a pas d’être foncièrement méchant.
Les projections qui ouvrent la représentation font de Macbeth un jeune vétéran porteur d’un traumatisme de guerre qui explique un comportement déréglé face à la violence, une sorte d’égarement permanent, fait de gestes impulsifs et de bouffées délirantes rendues assez efficacement par les effets de projections. Cela lui confère également une vraie profondeur humaine. Valdis Jansons, loin de tout cabotinage, incarne un Macbeth ayant perdu ses repères et parfois comme vidé de sa substance. Paradoxalement dans cette œuvre où n’apparaît jamais le mot « amour », le couple Macbeth apparaît ici comme uni pas seulement par les méfaits, explication trop courte et sans grand intérêt, mais plutôt par ses faiblesses et un véritable attachement qui n’ose dire son nom.
Tous les autres personnages, dans cette atmosphère, apparaissent comme écrasés par une violence qui ne connaît pas d’échappatoire évidente, que ce soit le solide Banco de Giovanni Battista Parodi porteur d’un désespoir lucide ou le jeune Macduff de Samy Camps brisé puis débordant de rage vengeresse.
Macbeth requiert une solide distribution dominée par le rôle vocalement écrasant de Lady Macbeth. Catherine Hunold possède la puissance requise dans les aigus qu’elle émet avec une sûreté et un mordant impressionnants. Très à l’aise dans les vocalises, elle leur donne tout leur poids dramatique. La cabalette « Voi tutti sorgete… » est enlevée brillamment. Face à l’écriture terriblement tendue de de « La luce langue… » elle négocie très habilement les difficultés par une intériorisation de l’expression qui convient à la dramaturgie. Quant à la scène de la folie, elle perd peut-être de son impact par quelques éclats qui tirent au vérisme.
Valdis Jansons est le baryton Verdi idéal, avec un timbre ni trop clair, ni trop sombre, homogène sur toute la tessiture. L’articulation est parfaite et l’intelligence du texte omniprésente. L’équilibre est remarquable entre beau chant et jeu dramatique. Chacune de ses interventions est un modèle. La symbiose avec l’orchestre est parfois totale. La confrontation avec sa partenaire est très convaincante.
Il faudrait s’attarder sur les autres chanteurs, on en retiendra la voix très verdienne elle aussi de Giovanni Battista Parodi dans sa très humaine interprétation de l’air de Banco et celle plus fruitée de Samy Camps très engagé dans celui de Macduff.
Les chœurs de Saint-Etienne n’ont pas dérogé à leur qualité toujours de très bon niveau avec là aussi l’engagement fort. « Patria oppressa », a été suivi d’un éloquent silence du public.
Enfin il faut saluer la performance de l’orchestre et avant tout de son chef. Giuseppe Grazioli conserve d’un bout à l’autre une unité d’interprétation qui rend justice à la grande vertu verdienne de fondre la logique de numéros dans une unique coulée mélodramatique. On est en présence de bien autre chose que de l’accompagnement. L’écriture de la partition, à la fois d’une évidence immédiate et d’une finesse discrète et subtile dans l’orchestration, donne sous sa baguette un rendu délectable. La respiration dramatique a des bouffées orchestrales d’un coloris d’une grande efficacité. La gestion du tempo et de l’articulation dans le brindisi sont d’un doigté bluffant. De tout cela naît une belle symbiose entre plateau et fosse.
Le public a fait l’accueil mérité à cette représentation.
Gérard Loubinoux
18 juin 2023