Lehár Festival de Bad Ischl (salle des Congrès et du Théâtre) :
Wiener Blut (Sang viennois) Johann Strauss Le Lehár Festival, situé dans la ravissante station thermale de Bad Ischl distante de quelques dizaines de kilomètres de Salzbourg, propose depuis plus de 60 ans du début juillet à la fin août trois spectacles d’opérette (pratiquement tous les soirs et parfois en matinée et soirée) où les spectateurs se pressent pour nombre d’entre eux en costume traditionnel national autrichien. Le surintendant Thomas Enzinger, directeur du Festival depuis 2017, accueille chaque fois son public, présentant la saison, l’ouvrage considéré et surtout la Frau Luna à l’affiche cet été qui vient de recevoir le prix de l’opérette décerné par la chaîne Classique BR Klassik. Son discours terminé on le retrouve en coulisses en qualité de metteur en scène. Thomas Enzinger jouit d’une solide réputation non seulement pour l’opérette, la comédie musicale et l’opéra mais également pour le théâtre. Pour Wiener Blut il propose une transposition parfois difficile à suivre pour un public non germanophone (très rare dans la salle !). Par exemple, nous avons mis un peu de temps à comprendre pourquoi deux représentations d’autruche voisinaient sur scène avec les portraits de Monsieur et Madame Strauss jusqu’à ce que, par hasard, la traduction du mot « strauss » nous donne la clé de l’énigme… L’action est, pour la circonstance, transposée. Nous ne sommes plus au congrès de Vienne mais avec Sigmund Freud qui soigne notre Johann Strauss directement descendu en costume doré de son monument du Stadpark à Vienne. Pauvre Strauss qui ne verra pas la création de l’ouvrage arrangé après sa mort par Adolf Muller à partir de ses compositions antérieures dont la célèbre valse éponyme ! L’intrigue est des plus farfelues avec rebondissements et chassés-croisés à la façon d’une comédie de boulevard. Finalement les couples qui semblaient chercher l’aventure ailleurs, sous des identités différentes, et en prenant soin de s’éviter, se voient à nouveau réunis. Happy end…! Pour traduire cette « folie théâtrale », le congrès de Vienne devient un congrès de psychanalystes avec des cerveaux qui flottent dans les airs ! Mais qu’importe, tout est minuté, millimétré et mené à un rythme échevelé. Comme pour les autres spectacles auxquels nous avons assisté la règle d’or est que chacun doit savoir chanter, danser, jouer la comédie et inutile de vous étonner si les danseurs chantent et les chœurs et les solistes dansent aussi rompus aux chorégraphies de Evamaria Mayer que l’excellent Ballet du Festival. Imagination brillante et inventivité délirante se succédent dans les ensembles inversant souvent les genres hommes-femmes ou lors du galop trépidant rythmé par les danseurs assis sur des chaises. La scénographie de Toto et les costumes de Sven Bindseil sont un écrin de luxe pour cette « folle journée ». Le couple vedette formé par le ténor Thomas Blondelle (Comte Zedlau) et de la soprano Sieglinde Feldhofer (Gabriele) envoûtent l’auditoire par leur charme, leur élégance et leur performance stylistique vocale. Josef Forstner compose un beau-père (Kagler) hors pair et Reinwald Kranner (Josef) impressionne par ses multiples talents de comédien-chanteur-danseur comme la pétillante Marie-Luise Schottleitner (Peppi). Gerd Vogel (Prince von Ypsheim-Gindelbach) et Martina Fender (Franzi) complètent avec brio cette distribution vocale éclatante. Nabeel Fareed (Johann Strauss) et Matthias Schuppli (Sigmund Freud) arrivent à imposer leurs personnages fictifs mais devenus pour autant omniprésents. László Gyükér imprime cette exquise et festive atmosphère viennoise au Franz Lehár-Orchester et aux chœurs du Festival, faisant valser les musiques et les cœurs pour le plus grand plaisir du public. Extrait : https://youtu.be/nrPzDfmZcT8 16 août 2022
Wiener Frauen (Femmes viennoises) Franz Lehár Ces Femmes viennoises proposées à Bad Ischl constituent chronologiquement la première opérette de Lehár, citoyen d’honneur de la ville où il mourut. Le Festival d’Opérette en porte d’ailleurs le nom et la très belle villa du compositeur constitue un lieu de visite incontournable chargé d’émotions. Cette version semi-scénique permet de voir les musiciens en fond de scène et quelques meubles nous simulent les salons et autres lieux où se déroule l’action, encore une fois faite de nombreux rebondissements. La mise en scène d’Angela Schweiger est efficace et relève le défi de l’exiguïté des lieux en utilisant un pont sur l’orchestre (partiellement recouvert) qui permet aux spectateurs de côtoyer les artistes et de participer ainsi à la fête. La distribution est en partie celle de Wiener Blut et pour la soirée à laquelle nous assistions notons que ces artistes s’étaient produits dans la même représentation en matinée…Exploit à saluer lorsque l’on entend cette partition faite de nombreux airs, duos et ensembles vocaux alors que, paradoxalement dans cette opérette, il y a très peu de scènes parlées. Claire, la fiancée de Philip Rosner est la talentueuse Sieglinde Feldhofer, à ce point époustouflante dans les oeuvres programmées qu’elle s’est vu remettre le prix de « Chanteur de l’année » par les amis du Festival. Une artiste à suivre que l’on a hâte de revoir non seulement l’année prochaine in loco mais également sur les scènes d’opéras qu’elle fréquente également. Son fiancé Philip est le charismatique Thomas Blondelle, autre vedette du Festival, dont on salue l’élégance, le style et la beauté du timbre, autre artiste qui n’hésite pas à chanter de l’opérette en alternance avec Parsifal ou le rôle principal dans Le Chercheur de trésors de Franz Schreker, dont la création en France aura lieu cet automne à l’Opéra du Rhin. On retrouve également Gerd Vogel (Willibald Brandl) accordeur de piano et ex-fiancé de Claire qui vient perturber de son souvenir cette dernière. Circonstance aggravante lorsqu’on apprend qu’il est déjà marié mais qu’il fait en outre la cour à Fini, Lini et Tini, (sous les traits respectifs de Marie-Luise Schottleitner, Elisabeth Zeiler et Klára Vincze) les trois filles du professeur de musique bohémien Johann Nepomuk Nechledil. Josef Forstner, dans ce rôle, est acclamé à chacune de ses apparitions par le public : rien d’étonnant pour ce chanteur honoré du titre de “Kammersänger” pour l’ensemble de sa brillante carrière et ici sorte de monsieur Loyal trépidant qui imprime à l’ensemble des protagonistes – sur des chorégraphies de Evamaria Mayer – un rythme débridé à l’instar des événements auxquels nous assistons. Il convient de citer également Magdalena Hallste (Jeanette, femme de ménage de Rosner) qui finira par séduire le volage Willibald Brandl. Toute cette équipe qui semble se divertir autant que le public dans la salle est orchestrée, conduite, vivifiée par la direction de Marius Burkert et l’orchestre du Festival qui n’hésite pas à donner plusieurs bis au final réclamés par un public encore une fois enthousiasmé par ces talentueux artistes. Extrait :https://www.youtube.com/watch?v=nDGmGsxwe1s 18 août 2022
Frau Luna ( Madame la Lune) Paul Lincke Frau Luna est l’une des opérettes à succès de Paul Lincke à tel point que son air « Das macht die Berliner Luft » est devenu l’hymne officieux de Berlin. Considéré comme le père de l’opérette berlinoise en Allemagne, Lincke est au même plan que Johann Strauss en Autriche et que Jacques Offenbach en France. C’est donc un autre volet de l’opérette qu’il nous est permis de découvrir lors de cette soirée. Pour son public le surintendant Thomas Enzinger a néanmoins fait réviser la pièce par le jeune compositeur et chef d’orchestre Christoph Huber qui dirige lui-même l’orchestre Franz Lehár de Bad Ischl en lui imprimant des rythmes jazzy entraînants et y impulsant une atmosphère tirant davantage vers la comédie musicale que l’opérette traditionnelle. Cela est d’ailleurs souligné par les contrastes des décors et costumes De Toto et Sven Bindseil, passant rapidement du modeste appartement mansardé de Berlin où vit le jeune mécanicien Fritz Steppke (Kaj-Louis Lucke) qui part avec ses amis Lämmermeier (Nicolas Huart) et Pannecke (Niklas-Sven Kerck) pour arriver dans le monde de la Lune où il rencontre Frau Luna (Patricia Nessy) déclenchant ainsi la jalousie du Prince (Ramesh Nair). Theophil (Michael Zabanoff), responsable des levers et couchers de lune, et Mme Pusebach (Susanna Hirschler), la logeuse de Fritz et également tante de sa fiancée Marie (Lena Poppe), se retrouvent réunis par le plus grand des hasards et tous ces terriens créent ainsi une grande confusion et des quiproquos chez les habitants de la lune comme cela se produira entre Theophil et Stella (Anna Overbeck) femme de chambre de Frau Luna. Finalement toutes les ambiguïtés amoureuses se résolvent : le Prince épousera Frau Luna et le jeune mécanicien retrouvera sa fiancée Marie restée à Berlin. La mise en scène et la chorégraphie de Ramesh Nair qui tient également le rôle du Prince Sternschnuppe enchaînent les grandes scènes de danse virevoltantes, les numéros de claquettes trépidants et les moments d’humour comme de romantisme. Patricia Nessy en Frau Luna fait penser à ces meneuses de revue brûlant les planches par son abattage, portant avec élégance un long manteau de plumes accompagnée dans ses duos par Ramesh Nair dont on ne sait quel talent de ses multiples facettes louer en premier … Le chœur et la compagnie de danse du Lehár Festival nous ont à nouveau enchantés, comme tous les solistes qui, une fois de plus, endossent indifféremment tous les habits de comédiens, chanteurs, danseurs. Le public semblait ne plus vouloir quitter ce monde fantastique rêvant de surcroît à cet astre lunaire qui fascine l’homme depuis toujours : « sur la lune, il doit y avoir du blanc, de l’argent, de l’or et des paillettes”, a déclaré Ramesh Nair. C’est vrai, nous l’avons constaté !… Extrait : https://youtu.be/BAkDeinEZ7Q 17 août 2022
Marie-Catherine Pellegrin Guigues
En 2023, le Lehár Festival Bad Ischl proposera Madame Pompadour de Leo Fall, Der Vogelhändler (Le Marchand d’oiseaux) de Carl Zeller et Schön ist die Welt (Le Monde est beau) de Franz Lehár.
Renseignements : https://www.leharfestival.at/
