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Un flamboyant Bal Masqué de Verdi pour la Sainte Eulalie au Liceu de Barcelone

Un flamboyant Bal Masqué de Verdi pour la Sainte Eulalie au Liceu de Barcelone

samedi 10 février 2024

© A. Bofill

Alors que travestissements, réjouissances et atmosphère festive sont de rigueur pour la Sainte Eulalie, patronne de Barcelone, le Liceu se joint à la fête en programmant Un bal masqué. Pour ce chef d’œuvre de la maturité de Verdi, un double casting international se relaie afin d’assurer les représentations chaque soir. Entre faux semblants et illusions, le compositeur italien fait valser les masques et tomber les apparences face à un public visiblement conquis.

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Daniela Barcellona , David Oller , Freddie de Tommaso , Sara Blanch et Artur Ruciński © A. Bofill

Une mise en scène ou tragédie et comédie s’entremêlent

On retrouve dans Un bal masqué  tous les ingrédients qui concourent à un drame, la trahison, les soupçons, les amours interdites et la mort. La proposition scénique donnée au Liceu souligne chacun de ces aspects. Pour cette production commandée à l’origine par le festival de Parme en 2021 à Graham Vick, décédé quelques mois avant la première,Jacopo Spirei, son assistant de l’époque, nous  offre une version achevée d’après les notes laissées par son prédécesseur.

Un décor unique accompagne les spectateurs tout au long de la soirée. Le public peut contempler un immense mausolée noir surplombé d’un ange. Cet élément de décor, installé sur un plateau tournant, se déplace durant tout le spectacle. Sur l’arrière de la scène convexe, Le chœur disposé en hémicycle se fait commentateur de l’intrigue depuis la partie haute de l’arrière scène. Au tout premier plan, un voilage noir délimite l’espace :  Il servira tour à tour à marquer les changements de scène ou permettra à Amélia de se dissimuler. Les éléments de décors soulignent la dramaturgie de l’œuvre et mettent en évidence l’aspect inéluctable du destin sombre réservé aux protagonistes.

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© A. Bofill

L’œuvre de Verdi écrite pour dénoncer la frivolité, l’éclat et l’exubérance de la cour ainsi que le sarcasme de ses caudataires avait subi en son temps les foudres de la censure. Cette critique acerbe constitue une matière transposable qui n’est pas ancré dans un contexte historique identifié. Richard Hudson saisit ici l’opportunité de prendre ses distances avec cet environnement. Les costumes qu’il propose puisent dans différentes temporalités pour dépeindre une atmosphère décadentiste. Corsets, hauts de formes, costumes militaires, perles et nuisettes en satin s’entremêlent dans une totale fluidité des genres. A l’image d’Oscar qui tout au long de la soirée alternera entre son identité masculine et féminine, un groupe de danseurs figurants sans cesse en mouvement porte et commente l’action, souvent de façon très caustique.

Au travers d’un jeu d’acteurs particulièrement soigné, Jacopo Spirei fait aussi ressortir la brûlante dimension humaine de l’ouvrage. Le contraste entre la légèreté des airs donnés à entendre et le drame qui se joue sous nos yeux décuple notre sensation d’effroi ressenti face à la destinée des personnages. Le succès fulgurant de cette œuvre tient selon Piotr Kaminski « à la virtuosité avec laquelle Verdi intègre le vocabulaire de l’opéra-bouffe à une histoire tragique, en y mélangeant en outre d’évidentes influences françaises puisées dans l’opéra-comique ou le grand opéra». Dans cette mise en scène, les danseurs portent le caractère comique de l’ouvrage.

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Anna Pirozzi et Freddie De Tommaso© A. Bofill

Un feu d’artifice vocal

Qu’ils soient de jeunes talents montants de l’art lyrique ou des habitués de la scène catalane, les artistes réunis brillent par leur engagement théâtral et une direction d’acteurs extrêmement précise.

La soprano italienne Anna Pirozzi revêt le costume d’Amélia. Quelques jours seulement après des débuts remarqués à l’Opéra de Paris dans le rôle d’Adriana Lecouvreur, elle impressionne par sa performance. L’artiste semble maîtriser tant la caractérisation du personnage que toutes les subtilités d’un chant porté par une voix à la longueur de souffle infini. Elle développe un phrasé aux accents et aux couleurs d’une richesse incroyable. Son Amélia restera marquée par des moments d’abandon inouïs. L’artiste touche ici à la vérité de l’interprétation et ne peut que bouleverser le public.

A ses côtés, le ténor Italo-anglais Freddie Di Tomasso endosse l’emploi de Ricardo. Son timbre d’or et son chant splendide emporte le public dès son air d’entrée, tandis que sa voix particulièrement large envahit le théâtre. Le jeune prodige force l’admiration, tant par son agilité dans ses déclarations enflammées, que dans la retenue qu’impose son air d’adieu aux modulations superbes. Il s’inscrit de fait dans la lignée des interprètes italiens emblématiques du rôle. La force irrémédiable de l’amour atteint le paroxysme de son expression dans le duo entre Amelia et Ricardo, condamnés à rester des amants en puissance. Dans cette folle extase de la relation fantasmée, les deux artistes excellent et nous offrent probablement le climax de la soirée par leur incarnation teintée de douleur et de déchirement déjà prémonitoire du malheur et de la mort. A eux seuls, ils justifient un long voyage pour assister à cet événement.

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Arturo Chacón-Cruz et Saioa Hernández

Le second duo de protagonistes est porté dès le lendemain par Arturo Chacon-Cruz et Saioa Hernandez. Bien que les moyens vocaux du ténor mexicain ne soient pas toujours en adéquation avec l’esthétique attendue pour ce rôle, il livre néanmoins une prestation convaincante tant par la solidité de sa technique que par son enthousiasme débordant en s’emparant de la scène et en formant avec sa complice espagnole un tandem d’artistes dont l’engagement s’avère sans faille. A l’évidence deux chanteurs dont l’amour pour leur art force l’admiration ! En retrait sur le premier acte, la prima donna se révèle à mesure de l’avancée de l’ouvrage. Saioa Hernandez gratifie de surcroit l’auditoire d’un somptueux « Morro ma prima in grazia » au dernier acte. La cantatrice au timbre si spécifique offre des graves solides et sa projection dans l’aigu se révèle convaincante et ne manque pas d’évoquer les héroïnes guerrières de Verdi qu’elle a l’habitude d’interpréter.

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Sara Blanch © A. Bofill

Il incombe à Sarah Blanch de tenir pour les deux distributions le rôle d’Oscar suite au retrait de Jodie Devos. La soprano colorature met sa voix aussi agile que riche de timbre au service de ce personnage inspiré de la grande tradition à la française de l’opéra-comique. Le jeu de scène virevoltant, souvent aux intentions sensuelles marquées, reprend les codes de l’insouciance et la grâce d’un jeune adolescent. La débordante joie de vivre de Sarah Blanch est communicative ! Oscar, à la fois homme et femme, devient ici le personnage-clé dans ce jeu d’amour et de mort qui tourne à la farce tragique.

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Freddie de Tommaso, Artur Rucinski et Sara Blanch © A. Bofill

Artur Ruciński et Ernesto Petti alternent dans le rôle de Renato. Le premier développe un timbre à l’esthétique purement verdienne avec beaucoup de noblesse et d’élégance, alors que le second impressionne par la rage vengeresse qu’il manifeste alors qu’il se pense trahi. Une occasion d’apprécier pour la circonstance deux interprétations du mari jaloux mises en lumière pour cette production.

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Okka von der Damerau © A. Bofill

La sombre Ulrica de Daniela Barcellona convainc par l’ampleur et la qualité de ses moyens vocaux. Ce rôle bref, mais ô combien important permet de sceller le destin des protagonistes. Entre magie incantatoire et présence surnaturelle, elle symbolise une magicienne à la stature inquiétante. Son binôme Okka von der Damerau aborde le personnage avec plus de légèreté, bien que les couleurs développées dans sa voix soient tout aussi sombres. Sa prédiction de la mort de Ricardo, lue dans les lignes de sa main, demeure un avertissement prêché dans le désert par une femme libre qui fait confiance à sa destinée.

Notons encore David Oller et Valentino Lanchas, bien distribués en intrigants. Les conspirateurs apparaissent au premier acte comme lassés de la vie de la cour et non mus par une quelconque aspiration politique. Le tournant dramatique que constitue la fin du second acte permet à leur duo de prendre un nouvel essor au moment où tragédie et comédie se trouvent nouées. L’ironie des conjurés se mêle alors à la jovialité du chœur aux interventions toujours justes pour former une magnifique peinture musicale.

L’orchestre symphonique du Liceu placé sous la baguette de Riccardo Frizza se met au service du superbe plateau vocal. La direction du chef italien se fait précise et sûre mais sans réelles fulgurances. Ses choix de tempi surprennent parfois, notamment lors d’un final particulièrement lent. L’intensité et la richesse de la matière musicale composée par Verdi pourrait être servie avec plus de ferveur et de conviction encore. La force expressive des formules rythmiques associées à la séduction qu’exercent les mélodies sur l’auditoire permettent cependant de démontrer la vivacité de l’orchestre du Liceu.

Un bal masqué demeure une bouleversante histoire de passions humaines qui se resserrent inextricablement sur des personnages marqués par le destin. Cette vision inquiétante et trouble interroge sur la duplicité des hommes et sur la face cachée que tour à tour chacun abrite et révèle. Par cette juxtaposition parfaitement équilibrée entre les éléments tragiques et comiques, la mise en scène met en lumière le jeu des interprètes. Le plateau vocal réuni pour les deux représentations emporte l’adhésion d’un public nombreux venu se joindre à la fête.

Aurélie Mazenq

9 et 10 février 2024

Direction : Riccardo Frizza
Mise en scène Graham Vick, reprise par : Jacopo Spirei
Décors, Costumes :  Richard Hudson
Lumières :  Giuseppe di Iorio
Chorégraphie : Virginia Spallarossa
Chef de chœur : Pablo Assante

Distribution :  
Riccardo : Freddie De Tommaso (févr. 09, 11, 14, 17, 20)/ Arturo Chacón-Cruz (févr. 10, 12, 15, 18)
Renato : Artur Ruciński (févr. 09, 11, 14, 17, 20)/ Ernesto Petti (févr. 10, 12, 15, 18)
Amelia : Anna Pirozzi (févr. 09, 11, 14, 17, 20)/ Saioa Hernández (févr. 10, 12, 15, 18)
Ulrica : Daniela Barcellona (févr. 09, 11, 14, 17, 20)/ Okka von der Damerau (févr. 10, 12, 15, 18)
Oscar : Sara Blanch
Samuel : Valeriano Lanchas
Tom : Luis López Navarro
Silvano : David Oller

Orquesta Sinfónica del Gran Teatre del Liceu

 

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