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Opéra de Marseille Traviata….Toujours !

Opéra de Marseille Traviata….Toujours !

jeudi 15 février 2024

©Christian Dresse

Devant une salle archi-comble, la Violetta de la soprano aragonaise Ruth Iniesta bouleverse, tout comme nous captive les infinies nuances de la direction de la maestra Clelia Cafiero.

De l’ensemble de la production du maître de Busseto, La Traviata est, on le sait, l’opus le plus intimiste, centré avant tout autour de la psychologie sociale et vocale d’un seul personnage : celui de Violetta Valery, demi-mondaine, dévoyée (« traviata » donc…) qui, pour avoir voulu « racheter » une conduite « coupable », se heurte de plein fouet à l’étroitesse impitoyable de la société bourgeoise de son temps. Créé en 1853, l’ouvrage n’en est pas pour autant une composition naturaliste, ce qu’était en partie le roman de Dumas fils (1841) bien vite adapté pour la scène (1849) par l’auteur lui-même, dans une conception trahissant déjà l’original littéraire. Il revient donc aujourd’hui, au gré de l’inspiration et des moyens dont dispose un metteur en scène d’opéra, de faire la synthèse entre ce qu’avait originairement voulu montrer Dumas fils et ce que le génie de Verdi, doublé de l’intelligence efficace de Piave, en a gravé pour l’éternité : pari des plus complexes !

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©Christian Dresse

La troisième reprise de cette production marseillaise signée à l’origine par Renée Auphan – ancienne maîtresse des lieux – et, depuis lors, réalisée par Yves Coudray, s’inscrit dans une tradition de bon aloi où salons de Violetta et de Flora Bervoix, maison de campagne et chambre à coucher sont bien là où on les attend, sans pour autant nous en mettre plein les yeux par leur caractère ostentatoire et décadent ni leur misérabilisme final. C’est donc, une fois pour toutes, une mise en scène efficace où l’on s’en remet tout de même beaucoup à la vis dramatica propre à chaque interprète, ce qui permet à la Flora de Laurence Janot, au-delà d’une belle performance vocale, de nous faire entrevoir, l’espace d’une scène, le côté naturaliste du monde de ces maîtresses de luxe que l’on appelait alors les « grandes horizontales » : en la voyant évoluer sur le plateau – enfin totalement investi – on pense alors à la Nana d’Emile Zola et on ne boude pas son plaisir, d’autant plus qu’avec cette belle artiste les magnifiques costumes de Katia Duflot sont particulièrement bien portés !

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©Christian Dresse

Il y avait pourtant beaucoup à faire avec une artiste si identifiable à l’emploi et au calibre vocal de l’envergure de Ruth Iniesta, l’une des plus passionnantes interprètes du rôle-titre qu’il nous ait été donné d’entendre ces dernières années. Ayant intelligemment écouté les enseignements d’une Renata Scotto, à laquelle – y compris physiquement – elle nous fait irrésistiblement penser, la soprano espagnole délivre tout au long de l’ouvrage une performance vocale mêlant avec bonheur, dans un volume vocal adéquat – et ce pour les trois actes ! – un art consommé du legato verdien et des sfumature infinies. Sans pathos exagéré, sachant superbement projeter le texte de Piave, y compris dans les moments parlés tels que la déchirante lettre du III « Teneste la promessa », Ruth Iniesta n’oublie pas pour autant que l’ouvrage nécessite de façon indispensable pour sa titulaire de s’envoler sans faiblir vers les hauteurs exigées par le lyrisme d’un « Amami, Alfredo » – de toute beauté lors de cette dernière soirée – et vers la pyrotechnie du soprano d’agilità, réclamé à la fin du premier acte…avec évidemment, ici, un mi-bémol suraigu qui ne semble plus vouloir se terminer ! Décidément, l’école de chant espagnole actuelle nous réserve certaines des plus belles émotions lyriques du moment !
On est malheureusement quelques crans en dessous des exigences de l’ouvrage – en tout cas lors de la représentation à laquelle nous avons assisté – en ce qui concerne les performances vocales des deux interprètes masculins de ce trio fameux.

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©Christian Dresse

On connaît les qualités vocales évidentes de Julien Dran, un ténor qui permet à tout un répertoire français – contemporain de la production verdienne – de retrouver ses lettres de noblesse. De même, la vaillance d’un suraigu impeccable – uniquement exploité ici dans la cabalette du II – est à mettre au crédit de ce ténor qui accomplit aujourd’hui un fort beau parcours. Reste que dans Alfredo, on attend ce que le vocabulaire italien de l’art vocal appelle le slancio, une sorte d’élan dans la voix qui, même si Alfredo n’est ni Ernani ni Manrico, doit emporter la conviction en termes de vaillance et d’ardeur juvénile, de « Di quell’amor » au récitatif « Lunge da lei per me non v’ha diletto ! » en passant évidemment par le concertato final de l’acte II. De ce point de vue, le compte n’y était pas complètement en ce qui nous concerne.

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©Christian Dresse

Le cas de Jérôme Boutillier est plus étonnant car ce baryton a déjà fait ses preuves dans le chant verdien, en particulier in loco dans un Posa de Don Carlo vocalement fascinant. Force est cependant de constater que l’on n’est pas, avec ce Germont père, au même degré d’adéquation. Sur un strict aspect vocal, le volume et la projection sont adéquats, les deux airs attendus – « Pura siccome un’angelo » et « Di Provenza il mar » – sont correctement exécutés mais sont souvent avares de couleurs et justement de ces sfumature – nuances – qui font tout le prix du chant verdien. Un rôle qui demandera sans doute à cet attachant interprète d’être approfondi, dans de meilleures conditions.

Signalons, enfin, que l’ensemble des rôles secondaires, si indispensables dans un opéra sensé refléter un climat social, est correctement tenu et que les interventions du chœur – désormais placé sous la direction de Florent Mayet – n’appellent aucun reproche.

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©Christian Dresse

Terminons sur la direction orchestrale de Clelia Cafiero, l’une des baguettes les plus intéressantes de la nouvelle génération. Ayant parfaitement assimilé la spécificité de cet ouvrage à l’effectif orchestral bien moins abondant que dans d’autres opéras de Verdi, mettant en exergue le rôle déterminant, ici, des cordes et des bois dans toute la simplicité raffinée de leur orchestration, la maestra napolitaine poursuit l’objectif louable de mettre en évidence des lignes musicales limpides et les nombreux aspects diaphanes d’une partition où l’image d’un battement de cœur qui s’éteint lentement semble avoir prévalue. Avec cette direction ayant constamment le souci du détail dans le respect d’une construction d’ensemble, n’hésitant pas à prendre des initiatives originales – comme celle de faire jouer les pupitres des violons et des altos en pizzicati ! – pour créer des atmosphères, l’importance de garder le tempo juste, tant dans la fosse que sur le plateau, est capitale. Certains auront préféré une version avec plus d’effets et un pathos plus audible. En ce qui nous concerne, nous avons trouvé cette direction totalement en adéquation avec le chemin pavé de résignations que doit accomplir le personnage principal sur scène, nous délivrant ainsi une scène finale aux palpables nuances, emportant l’adhésion par la complicité étroite qui la lie à une Violetta « di prima forza », telle que Giuseppe Verdi la souhaitait.

Hervé Casini

15 février 2024

Direction musicale  Clelia Cafiero
Mise en scène  Renée Auphan réalisée par Yves Coudray
Décors  Christine Marest
Costumes  Katia Duflot
Lumières  Roberto Venturi
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille

Distribution

Violetta Valery Ruth Iniesta
Flora Bervoix Laurence Janot
Annina Svetlana Lifar
Alfredo Germont Julien Dran
Giorgio Germont Jérôme Boutillier
Gastone Carl Ghazarossian
Le baron Douphol Jean-Marie Delpas
Le docteur Grenvil
Yuri Kissin
Le commissionnaire Norbert Dol
Giuseppe Jean-Vital Petit
Le serviteur Thomasz Hajok

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