Une Turandot strasbourgeoise et impériale, princesse cruelle, à l’époque de la Chine communiste !!!
Réaliser un opéra tel que Turandot dans une salle à taille réduite, avec une fosse étroite et exiguë, en plus dans la version compète du finale réalisé par le compositeur Franco Alfano, malgré les critiques d’Arturo Toscanini, relève de l’exploit et de la prouesse !!!
Il est vrai que Turandot n’a plus été programmé à Strasbourg, depuis 2001 dans la mise en scène de Renate Ackermann, qui n’a pas laissé un grand souvenir, comparée à la superbe et prodigieuse Turandot de 1976, signée Jean-Pierre Ponnelle et si brillamment dirigée par Alain Lombard, dont on en parle encore maintenant…
Cette prouesse, et on reste admiratif, a été réalisée par la metteuse en scène française Emmanuelle Bastet et par le scénographe anglais Tim Northam.
Emmanuelle Bastet transpose l’intrigue au 21e siècle, dans une Chine communiste, dominée par une dictature des médias, une sorte de « Télé-réalité ».
Le premier acte est illustré par des néons multicolores, écrans vidéo géants, une foule dense qui tourne, qui marche, très connectée, regardant en direct sur ses téléphones portables et tablettes, l’exécution du Prince de Perse, qui n’a pas su trouver les énigmes présentées par Turandot. Le mandarin est représenté par une sorte de présentateur-vedette avec un micro-oreillette.
Toute cette foule en mouvement, puissante et menaçante est encadrée par une police omniprésente, voire agressive, dotée de nombreuses caméras de surveillance.
Le second acte, est plus sobre et dépouillé, avec un décor unique, en forme de boîte blanche où l’on retrouve les trois ministres Ping, Pang et Pong, vêtus de stricts costumes noirs de fonctionnaires (avec cravates et chemises blanches), faisant une entrée sur scène très remarquée en trottinettes électriques, avec attachés-cases et ordinateurs portables.
La scène des énigmes est animée par une troupe d’enfants (on dirait des petits scouts), des choristes qui brandissent et agitent des petits drapeaux rouges (reste d’un communisme visiblement essoufflé)…
Le grand moment fort est, sans aucun doute, celui où la Princesse Turandot, cheveux d’un blond platine, en robe lamée argentée, chaussures à talon à la main, fend la foule (faisant penser à Anita Ekberg dans le film Boccace de Fellini) face à l’Empereur Altoum dont l’uniforme est généreusement garni de médailles et de décorations.
Le dernier acte est encore plus dépouillé que le précédent. On y trouve simplement un grand lit aux draps de satin dépliés où dort Turandot, tandis que Calaf chante son grand air « Nessun dorma ». Timur et Liu les rejoignent. Après le suicide de Liu, Calaf et Turandot se retrouvent seuls. Calaf lui arrache un baiser, avec violence, presque un demi viol, puis Turandot se lève, lui échappe et disparaît au fond de la scène, presque obscure.
Pas de happy-end pour cette nouvelle production de Turandot, qui visiblement a décidé de vivre sa vie de femme autrement. La metteuse en scène Emmanuelle Bastet a certainement voulu souligner dans cette fin la problématique actuelle du consentement en amour……
Dans cette mise en scène judicieuse, intelligente et sans vulgarité aucune, les lumières de François Thouret et la vidéo d’Eric Duranteau participent fortement à la dramaturgie.
Les satisfactions seront également musicales et vocales.
Dans le rôle-titre, la soprano norvégienne Elisabeth Teige est une interprète « hors normes ». Elle a été l’été dernier à Bayreuth une superbe Senta et Brunhilde. Elle impressionne par l’opulence de son timbre, l’éclat exceptionnel de son aigu, l’homogénéité de sa tessiture, la puissance sans faille de sa voix. En outre, son volume sonore est stupéfiant.
Face à une telle prestation, difficile de rivaliser et de s’imposer. Le pauvre Calaf interprété par le ténor mexicain Arturo Chacon-Cruz en a fait les frais. Pourtant son jeu de scène est bien engagé, il a un aigu facile et rayonnant, mais il peine sérieusement dans les médiums. Il a tout de même sauvé son « Nessun dorma » qui était correct et émouvant. Encore quelques années de perfectionnement et sa voix (verte encore) aura atteint la maturité pour un rôle aussi imposant que Calaf.
La mezzo-soprano Adriana Gonzalez campe une Liu très crédible vocalement et scéniquement. Elle est très convaincante par sa voix au timbre fruité qui irradie. Elle possède de beaux phrasés, des aigus filés et émouvants. D’ailleurs, elle a reçu un triomphe bien mérité au rideau.
Le reste de la distribution n’a pas à rougir. Quelle émotion de retrouver Raül Gimenez dans le rôle de l’Empereur Altoum. Même si le souffle s’est un peu raccourci, il garde toute son autorité et parvient à conférer un juste relief au rôle de l’Empereur.
Par contre, le Timur de la basse Mischa Schelomianski manque d’assise et surtout de profondeur de voix pour ce rôle.
Le trio des ministres Ping Pang et Pong est très satisfaisant, grâce à Alessio Arduini, baryton généreux et bien chantant, au ténor de caractère Gregory Bonfatti et au ténor français Eric Huchet, très en voix et parfaitement à l’aise sur scène. Le baryton russe Andrei Maksimov de l’Opéra Studio a fière allure dans le rôle du Mandarin.
Une mention spéciale aux Chœurs de l’Opéra National du Rhin, de l’opéra de Dijon, à la Maîtrise de l’OnR qui ont brillé par leur rigueur, leur travail choral de haut niveau, créant ainsi de beaux effets spatiaux dans le premier acte.
Rendons surtout grâce à la minutieuse direction du chef helveto-vénézuelien Domingo Hindoyan, un vrai chef de théâtre, à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, dont les effectifs débordaient dans les loges de côté de part et d’autre de la fosse. Econome de ses gestes, il dirige avec minutie les masses orchestrales importantes dans cette œuvre de Puccini, sachant équilibrer les forces avec la scène, ne couvrant jamais les voix des chanteurs. Il a su apporter une lecture radieuse et exceptionnelle dE Turandot, avec un Orchestre Philharmonique de Strasbourg à son meilleur niveau.
Pari réussi pour Emmanuelle Bastet et Domingo Hindoyan, qui ont créé ce soir à Strasbourg, un évènement rare et grandiose.
Marie-Thérèse Werling
