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Tannhauser à l’opéra de Monte-Carlo

Tannhauser à l’opéra de Monte-Carlo

samedi 25 février 2017
Au premier plan José Cura – Photo Alain Hamel

La dernière représentation de Tannhäuser à l’Opéra de Monte-Carlo remontant à janvier 1932, la reprise de cette œuvre de Wagner constituait, pour l’univers lyrique, un événement, d’autant que la version retenue n’était ni celle initiale créée à Dresde le 19 octobre 1845, ni celles ultérieurement modifiées de 1867 (Munich) et 1875 (Vienne), mais celle que Richard Wagner avait proposée à l’Opéra de Paris en 1861 en langue française et dont on sait qu’elle provoqua l’un des plus célèbres scandales de l’histoire de l’opéra. Cette version n’avait plus été reprise depuis sa création. Le mérite en revient à Jean-Louis Grinda, directeur de l’Opéra de Monte-Carlo, qui s’attache, depuis nombre d’années, à présenter, outre de grands ouvrages du répertoire, des raretés dont on lui sait gré.

La « découverte » de ce rare Tannhäuser en français permet d’établir, pour l’amateur avisé, d’excitantes comparaisons. La prosodie et la langue elle-même font irrésistiblement penser à certains ouvrages de Meyerbeer et d’Halévy. Et le rôle de Tannhäuser (surtout lorsqu’il est interprété, en la circonstance, par José Cura, qui s’est maintes fois confronté au rôle de Samson) évoque, par instants, ne serait-ce que par la déclamation, certains passages qui semblent annonciateurs de l’œuvre de Saint-Saëns. La scénographie de Laurent Castaingt (à qui on a également confié les lumières) consiste en un plateau surélevé en arc de cercle entouré d’un cyclorama incurvé. Les projections cinématographiques dues à Gabriel Grinda sont omniprésentes.

Dans l’acte 1 du Venusberg elles font alterner des paysages auxquels rêve Tannhäuser, avec des délires psychédéliques où les tâches de couleurs se succèdent à grande vitesse, traduction des visons de l’esprit enfiévré du héros qui se perd dans les effusions érotiques avec Vénus (entourée de ses quatre « filles-clones ») mais aussi dans les volutes de la drogue d’un étrange et fascinant paradis artificiel. Au deuxième tableau de cet acte, le climat apaisant de frondaisons et de sous-bois participe au retour de Tannhäuser sur la « terre ferme ». L’acte 2 se déroule au château de la Wartbourg et tout particulièrement dans la grande salle des tournois poétiques en forme de nef de cathédrale où doit se dérouler le concours de chant. Enfin l’acte 3 voit se succéder deux tableaux : celui d’un chemin neigeux avec le duo entre Elisabeth et Wolfram et celui d’une plaine hivernale pour le retour de Rome du héros et la séquence finale. Jean-Louis Grinda, prenant en compte la spécificité de la version française de l’ouvrage, y inscrit une mise en scène lisible, cohérente, théâtrale et non dépourvue d’originalité dans certaines options.

Sur le plan musical l’un des premiers points de satisfaction de cette représentation est incontestablement la direction d’orchestre de Nathalie Stutzmann. La contralto est connue pour ses prestations vocales mais aussi pour ses qualités de musicienne et elle se produit souvent à la tête de son ensemble de chambre Orfeo. Elle a à son actif nombre de directions de grandes formations non seulement en France mais encore au Japon, en Allemagne, aux Etats-Unis ou en Amérique du Sud. On l’attendait, évidemment avec curiosité, pour un opéra de « grande dimension », en l’occurrence une œuvre du maître de Bayreuth. Avec simplicité, sourire et efficacité elle a su maîtriser la magnifique phalange de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo en lui donnant éclat et rutilance, faisant chatoyer les cordes et mettant magnifiquement en valeur l’harmonie, tout en veillant au parfait équilibre entre la fosse et le plateau. Les longs et chaleureux applaudissements que n’a pas manqué de lui prodiguer le public en disent long sur cette superbe prestation.

Pour l’avoir, entre autres, apprécié dans un électrisant Hamlet à l’ouverture de la saison lyrique de l’Opéra de Marseille, on imaginait sans peine quel exceptionnel Wolfram pourrait être Jean-François Lapointe. Le baryton québécois donne à nouveau ici une leçon de chant exemplaire ; tout y est : la beauté du timbre, la noblesse d’expression, le legato, l’articulation. En un mot comme en cent : un artiste précieux. En Tannhäuser, José Cura recueille des opinions divergentes. Certains le trouvent inadéquat dans cet emploi mais ce sont, pour la plupart, ceux qui se posent des questions sur la version française en préférant l’original allemand. Il est certain qu’autant de « latinité » dans pareil rôle peut éventuellement troubler en comparaison de la prestation de certains chanteurs au style allemand. Pour notre part, nous avons aimé l’interprétation de cet artiste charismatique, au demeurant bon musicien puisque lui aussi – à l’instar de Nathalie Stutzmann – a dirigé des orchestres réputés et il ne nous déplaît pas de retrouver en lui les élans fiévreux d’un Otello ou encore les accents péremptoires d’un Samson. Par ailleurs, José Cura sait, lorsqu’il le faut, maîtriser les éclats d’enthousiasme ou de révolte quand il s’agit d’utiliser le murmure ou la mezza-voce lorsque son Tannhäuser se fait fragile ou dubitatif. Son récit du retour de Rome au dernier acte est incontestablement émouvant. Remarquable est aussi le Landgrave auquel la basse Steven Humes confère toute l’autorité qui sied.

Côté femmes, on admire la beauté d’Aude Extremo ainsi que l’ampleur d’une voix qui passe sans problème les déchainements de l’orchestre. Ses aigus fixes, un peu à l’allemande, et donc sans le vibrato auquel on est habitués chez les consœurs italiennes peut parfois surprendre sans pour autant choquer. De même, la soprano néerlandaise, qui a brillé à l’étranger dans Tosca, Norma, Salomé ou Manon Lescaut, est parfaitement à l’aise dans le rôle d’Elisabeth. Là encore nous avons pu entendre des reproches concernant son manque de rayonnement interprétatif mais, pour notre part, nous avons adhéré à la conception de ce rôle où l’icône, quasi-religieuse, s’efface devant la femme amoureuse. Les rôles des chevaliers de la Wartbourg sont efficacement tenus par William Joyner, Roger Joakim, Gilles Van der Linden et Chul-Jun Kim. Et il faut citer le pâtre lumineux et bien chantant d’Anaïs Constans. Bonne prestation des chœurs sous la direction de Stefano Visconti et chorégraphie pertinente et sensuelle d’Eugénie Andrin pour les quatre filles qui entourent Vénus.

Christian Jarniat
25 février 2017

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