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Armida opéra de Montpellier

Armida opéra de Montpellier

mardi 28 février 2017
Enea Scala et Karine Deshayes – Photo Marc Ginot

Dans le monde de l’art lyrique actuel, il n’est pas si fréquent de saluer sans réserve la performance d’une actrice-chanteuse française de premier plan. Ne gâchons donc pas trop notre plaisir et évitons, autant que faire se peut, d’insister sur une mise en scène trop souvent inepte qui, dans certains théâtres de l’hexagone, aurait pu donner lieu à l’une de ces broncas dont le genre Opéra a le secret !…
Dont acte. La production scénique de Marianne Clément, crée à Anvers en 2015 (et ayant même fait l’objet d’une sortie en DVD !), est reprise ici par Jean-Michel Criqui. Elle part d’un postulat intéressant visant à sortir le mythe d’Armide et de Renauld (Rinaldo dans l’opéra italien) d’un contexte de « choc des civilisations » à l’époque des croisades. Certes « La Jérusalem délivrée du Tasse », dont l’ouvrage s’inspire, est évidemment un peu plus complexe et si la mise en scène s’attache à présenter l’oeuvre dans un langage scénique plus abstrait, elle ne ne parvient pas, selon nous, à donner corps à son ambition. Il en résulte un méli-mélo d’époques, de costumes, d’accessoires qui est loin d’épurer la thématique- celle « De l’Amour », comme l’aurait écrit ce fou de Rossini qu’était Stendhal ! La production donne à « voir » au public comment progressivement l’action est de moins en moins présente pour laisser seulement la place à la « cristallisation » amoureuse, à ce seul « empire de l’amour » (que chante l’héroïne au deuxième acte) qui fait tout oublier (même la patrie !) et qui fait commettre l’irréparable (le meurtre stupide). Mais le spectateur se perd entre monde médiéval (armures et épées à l’appui) et monde du football (en tant que pourvoyeur de nouveaux « champions ») sur fond de décor kitsch tout droit sorti d’une vision de Pierre et Gilles… Rossini, surtout pour le bicentenaire de la création de son opéra-seria au San Carlo de Naples, méritait mieux !
Mais c’est compter sans une partition d’exception qui peut encore résister à toutes les attaques. D’une ouverture qui fait la part belle à un solo de cor – à froid ! – jusqu’à une scène finale à la puissance rythmique hors du commun (on y entend
déjà un romantisme italien plus tardif…) on ne dénombre plus les mises en valeur d’instruments, les crescendo et tous ces « rossinismes » où la vocalité des interprètes est dans tous ses états, les obligeant souvent à accélérer la vitesse et à atteindre l’extrême ! Avec à sa tête le jeune chef, particulièrement prometteur, Michele Gamba – assistant un temps d’Antonio Pappano et Daniel Barenboim – les choeurs et l’orchestre de l’Opéra national Montpellier Occitanie font preuve, après une ouverture pas toujours assurée pour les cors, d’un bel effort de virtuosité : les ensembles, en particulier, sont bien en place et provoquent l’enthousiasme.
Réussir à monter Armida, c’est avant tout, on le sait, disposer d’un plateau vocal d’exception. Ici, pas moins de 6 ténors (dont certains sont, dès les premières représentations, confiés aux mêmes interprètes…) vont s’affronter et faire face à une seule voix féminine. Valérie Chevalier, la dynamique directrice générale de l’Opéra de Montpellier, a particulièrement bien soigné sa distribution, y compris dans les seconds rôles. Malgré la brièveté de ses interventions, on a ainsi pu apprécier la voix solide de Daniel Grice, distribué dans les deux seules voix de basse de l’ouvrage, Idraote et Astarotte. Si, en Gernando, Edoardo Milletti ne parvient pas toujours à démontrer son adéquation avec ce type de répertoire et manque souvent d’assurance dans la vocalise, il offre en revanche un portrait plus convaincant d’Ubaldo, l’un des deux chevaliers chargés, au dernier acte, de ramener Rinaldo dans le camp croisé. Habitué depuis de nombreuses années des plus grandes scènes lyriques internationales, Dario Schmunck aborde à bras le corps le rôle difficile de Goffredo (ainsi que la partie de Carlo, le second chevalier missionné…), lui conférant une présence scénique bienvenue jointe à la vaillance de l’accent et à un style adéquat.
Quant à Enea Scala, son Rinaldo est confondant de virtuosité dans la colorature et dans les ornementations, semblant se jouer des difficultés innombrables de la partition, tant dans la partie grave qu’aigu d’un rôle conçu, dès sa création, pour une authentique voix de « baryténor » : sa prestation n’appelle que des éloges.
Mais, au-delà de ces numéros d’affrontement entre voix de ténor, c’est évidemment la performance du rôle-titre que le rossinien attend avec impatience ! Dans cet ouvrage, davantage encore que dans tous ceux composés par le « cygne de Pesaro » pour sa maîtresse -et future épouse- Isabella Colbran, tout semble participer de cette « tessiture meurtrière » relevée souvent par l’analyse musicologique ! Ce défi, nécessitant puissance, agilité, legato et…folie (!) Karine Deshayes, mezzo à l’aigu brillant, le fait sien et, avec cette intelligence de l’art du chant qu’on lui connaissait déjà dans le même type de répertoire, se jette dans la bataille pour en ressortir triomphante : non seulement dans son air le plus célèbre, « D’Amor al dolce impero », mais également dans les trois duos d’amour avec Rinaldo qui constituent le « climax » de chaque acte et, enfin, dans l’hallucinante scène finale qui voit Armida, vengeresse, s’envoler à travers les flammes ! C’est dans ce dernier moment que l’interprète rejoint la chanteuse et, poussant son art dans ses ultimes retranchements, délivre à un public médusé et conquis une authentique scène tragique qui nous accompagne encore plusieurs semaines après la fin de la représentation. Il est donc urgent de remonter pour elle – mais avec un
tout autre propos scénique ! – ce qui est, sans nul doute, l’un des ouvrages les plus excitants de Rossini.

Hervé Casini
28 février 2017

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