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​Rencontre avec Ludovic Tézier à l’occasion de Thaïs à l’Opéra de Monte-Carlo

​Rencontre avec Ludovic Tézier à l’occasion de Thaïs à l’Opéra de Monte-Carlo

mercredi 10 février 2021
 © Elie Ruderman

En peu de mots : comment s'est produit le "déclic" qui vous a conduit à embrasser la carrière de chanteur lyrique ?
Il n’y pas eu à proprement parler de « déclic » pour devenir chanteur lyrique, car si le choc artistique qu’a été Parsifal à l’Opéra de Marseille, lors de mon adolescence, a fait de moi un aficionado de notre forme d’art bien aimée, cela ne m’a pas décidé à devenir moi-même chanteur ! Je ne pouvais me projeter dans ce qui me semblait si inaccessible alors. C’est difficile à comprendre peut-être mais, aujourd’hui encore, lorsque je ne suis pas monté en scène depuis longtemps, le doute quant à la capacité de chanter de tels monuments vocaux peut me reprendre, alors pensez donc à 13 ou 14 ans ! J’étais déjà très heureux de pouvoir « écouter » !
La chose s’est donc déroulée pour moi sans « déclic », de manière coulée douce et magique ; un enchantement en quelque sorte.

Chez Massenet vous avez été notamment Werther et Albert. Qu'éprouvez-vous à chanter les œuvres de ce compositeur parmi votre large répertoire ? Et pouvez-vous nous dire votre ressenti sur l'opéra Thaïs et bien évidemment sur le rôle d'Athanaël, tant d'un point de vue théâtral que vocal.
Massenet c’est aussi mon enfance. À la maison Thill, Massard et d’Arkor étaient dans l’air très régulièrement ; ils m’ont donné le goût d’une certaine perfection de l’expression vocale, une perfection que Massenet exige, car le moindre relâchement affaiblit cette musique sublime et fragile. Ces partitions, qui semblent toutes de nuances et de souplesse, dont on se plaît à imaginer qu’elles s’écoulent comme l’eau d’une rivière harmonieuse, requièrent, pour atteindre ce naturel fascinant, une discipline stylistique et vocale sans concession à quelque facilité que ce soit. J’aime cette exigence lumineuse et ce goût de l’épure. Athanaël en est, pour le baryton, un exemple parfait, et ce côté absolutiste confère à ce moine illuminé sa carrure de prophète implacable, jusqu’à la révélation d’une humanité qui le débordera. La mise en scène de Jean-Louis Grinda aura servi merveilleusement cette vision du personnage, en rendant son évolution plus logique, infiniment plus profonde qu’à l’accoutumée. 

Vous êtes considéré comme un éminent interprète de Verdi. Où vont vos préférences parmi les opéras de ce géant de l'opéra italien ?
Mes préférences dans le répertoire verdien n’existent pas vraiment ; je suis entier et, quand j’aime, j’aime en entier, inconditionnellement ! Verdi est si incommensurable, que préférer tel de ses opéras à un autre serait déjà lui poser des limites à son œuvre. Je ne peux pas. On me dira que Don Carlo est supérieur aux Lombards ? Oui, jusqu’au moment où vous serez dans la salle pour écouter cet opus de jeunesse et, partant, le temps de la représentation, vous ne regretterez pas Don Carlo

D'une carrière déjà particulièrement riche, si vous ne deviez conserver que 3 souvenirs marquants pour vous, quels seraient-ils et pourquoi ?
La réponse serait proche de la précédente. Je vis au présent, pas dans le passé de ma carrière. Ce que j’ai vécu jusqu’à présent est, jusque dans ses ombres, parfait. C’est l’histoire d’une vie et, bien plus que la carrière, j’aime la vie par ce qu’elle a, à l’image de Verdi, d’insondable, d’incommensurable disais-je. Je ne peux pas extraire 3 ou 4 moments d’une carrière qui m’aura donné tant de joie, car ce sont des centaines de moments que je devrais alors citer. Parmi ces moments, toutefois, les plus merveilleux sont ceux liés à des rencontres que mon métier m’aura permises ; certaines sont devenues des amitiés immenses, d’autres des chocs artistiques et humains qui m’auront transformé, enfin, en scène, j’ai rencontré l’amour avec mon épouse Cassandre. 

Quel est le rôle qu'on ne vous a pas encore demandé et que vous aimeriez interpréter ?
Aucun, et tous ceux qui restent devant moi ; autant dire que je ne réaliserai pas tout en une vie ! Aucun, car jusqu’au prochain « début », je suis un artiste que ses rôles actuels comblent et nourrissent… Il y a toutefois des horizons qui m’attirent comme le répertoire allemand, et surtout Wagnérien, mais aussi l’opéra russe que je n’ai pas touché depuis trop longtemps !

Nonobstant la pandémie, qui prive le proche avenir d'une évidente visibilité, quels sont vos projets tant sur le plan scénique, discographique ou vidéographique.
La pandémie annule le calendrier mois après mois, ce qui me laisse un espoir – lorsque je regarde un peu au-delà de ce jeu de massacre ! – que lors d’une reprise solide, les choses puissent enfin suivre le cours qui était prévu !! J’attends mes débuts à Vienne dans le rôle d’Amfortas le mois prochain, mais ce malheureux roi, déjà blessé, risque de mourir d’un coup d’épée de Damoclès ! La production qui devait suivre, un Trovatore au MET, a été de longue date annulée, et j’espère que la Tosca programmée à Paris en juin pourra se donner. Mon été devrait être aussi chargé, et c’est tant mieux, avec le festival de Munich puis de Salzbourg et de nouveau Scarpia ! Pour la suite, l’évolution est plus qu’incertaine… La discographie quant à elle se conjugue au présent, avec la sortie de mon premier album chez Sony, dédié à Verdi, dont la réalisation aura demandé beaucoup d’énergie et d’opiniâtreté ; le projet était ambitieux, car artistique quant à la volonté de s’approcher d’une certaine vérité scénique et sonore, tout cela en quatre jours d’enregistrement de prises longues ! Un défi ! Mais Verdi est un défi permanent.*

Que pensez-vous des actuelles retransmissions d’œuvres lyriques en « streaming » ?
Je ne pense que du bien des retransmissions en ligne (j’évite l’anglicisme horrible) car elles permettent aujourd’hui à notre public de continuer, bon an mal an, à vivre sa passion. Nous sommes des transmetteurs d’émotion, et l’émotion, tout au moins une partie, peut passer par l’écran. Je regrette seulement que ce système n’aide pas vraiment les artistes à gagner leur vie par d’éventuels droits reversés, somme toute moralement logiques, lors des nombreuses diffusions dont ils sont parties prenantes. On me dira que je prêche vénalement pour mon compte en banque ! Mais il n’y a pas que les grands rôles dont l’image hante les petits écrans lors de ces diffusions, et je connais malheureusement nombre de collègues, employés dans des dits « petits rôles », qu’un système plus équitable aiderait assez justement, en l’occurrence pendant la période terrible que nous traversons ! Par ailleurs, je revendique la création d’une AOC « live » en ce qui concerne nos métiers de scène, pour que ce qualificatif soit réservé au spectacle vu depuis la salle. Une diffusion peut être du direct, et formidable par ailleurs, mais « live », non. Le « live » c’est la vie, et la vie c’est dans les salles !

Si l'on vous proposait de réaliser un de vos rêves quel serait-il ?
Pour ce qui est de mes rêves, il y quelques mois je vous aurais répondu : mettre en scène Don Juan, Rigoletto, Traviata ou Tosca ! Mais j’échangerais volontiers ce rêve merveilleux, contre le fait que tous ceux du spectacle, dans le monde entier, retrouvent instantanément leur travail, leurs moyens de subsistance et d’expression, leur place dans la société qui, trop habituée sans doute à leur présence, n’a pas encore totalement réalisé à quel point ceux-là manquent à nos vies bien peu riantes.

Propos recueillis par Christian Jarniat

* Sortie le 5 février du CD « Verdi » chez Sony Classical
Ludovic Tézier sort son premier album solo qu’il dédie à l’œuvre de Giuseppe Verdi, et pour lequel il est accompagné par l’Orchestre du Teatro Comunale de Bologne dirigé par Frédéric Chaslin.

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