« La victime de la manipulation mentale ignore qu’elle est une victime. Les murs de sa prison lui sont invisibles et elle se croit libre ». Ainsi s’exprime l’un des plus célèbres romanciers britanniques Aldous Huxley auteur du roman Le meilleur des mondes.
Deux artistes se sont associés pour explorer l’emprise et plus spécialement celle des sectes : d’une part Xavier Maurel écrivain, scénariste et metteur en scène d’une vingtaine de spectacles, enseignant d’art dramatique, adjoint à la direction du Conservatoire national supérieur d’Art dramatique et auteur de plusieurs films pour la télévision et le cinéma et d’autre part Laurent Petitgirard, compositeur1, chef d’orchestre et secrétaire de l’Académie des Beaux Arts. Deux hommes pétris de culture pour traiter un sujet qui glace le sang : celui d’une secte isolée sur une île déserte loin du monde où un gourou « charismatique » par la contrainte psychologique et la manipulation mentale parvient à tout obtenir de ses adeptes jusqu’à les convaincre que « ce qui vit trop longtemps deviendra pourriture » et que « la vie véritable est la mort, sublime destin pour lequel il convient d’emprunter le chemin de la transparence ».
Dans un langage volontairement lancinant et répétitif destiné à laver le cerveau des disciples asservis, l’emprise ne se relâche jamais jusqu’à l’issue extrême, inéluctable. De la mer à la mort.
Armando Noguera que nous avons souvent apprécié dans le répertoire d’opérette (tellement formateur parce qu’il faut y être excellent comédien !) : Danilo de La Veuve joyeuse en 2012 à l’Opéra d’Avignon, Raoul de Gardefeu de La Vie parisienne en 2015 à l’Opéra de Marseille, Gabriel von Eisenstein de La Chauve-souris en 2017 aux Folies d’O de Montpellier, incarne ici de manière stupéfiante (acteur-chanteur fascinant) ce Gourou prédateur sans concession et extrémiste. Il est vrai que depuis lors des rôles beaucoup plus sombres sont venus conférer la couleur dramatique qui convient à ce « prêtre» de secte : Eugène Onéguine à l’Opéra de Paris, Guillaume Tell à Melbourne ou encore Simon Boccanegra à l’Opéra de Dijon en attendant Hamlet à l’Opéra de Massy. Ce Guru là est celui qui ne peut être que le vecteur d’une irrépressible conviction : « Je suis la force supérieure » et « Nous sommes ici pour trouver la vérité… accepter l’acte ultime et quitter une vie pour une autre, immortelle et sublime ».
Face à lui il y a Marie, la seule en révolte, l’unique qui ne chante pas mais tranche sur toutes les autres voix parce qu’elle parle haut et fort avec la violence du courage, avec la conviction de l’absolu : « Il se trompe sur tout, il est le mal, la ruine et la destruction » . Même violentée elle ira au bout de son inflexible résolution. Cette rebelle solitaire est incarnée avec ardeur par Sonia Petrovna2 danseuse et comédienne à qui Luchino Visconti confia dans le film Ludwig le rôle de Sophie de Wittelsbach, duchesse de Bavière (sœur d’Elisabeth impératrice d’Autriche) qui faillit épouser le roi Louis II de Bavière frappé d’aliénation mentale.(Décidément !…)
Cette première coproduction du Théâtre National de Nice et de l’Opéra de Nice à La Cuisine (lieu où est actuellement installé le Théâtre National de Nice), sous la forme d’une version semi-scénique avec l’Orchestre Philharmonique sur le plateau et à l’avant scène une plage entourée de quelques buissons permet de donner à ce spectacle une allure cinématographique avec un écran en haut de scène. S’y succèdent les ressacs de l’océan et les protagonistes exprimant respectivement la soumission aveugle de leur destin , la désespérance de leur sort ou la conviction de leur pouvoir.
Muriel Mayette Holz imprime sa direction d’acteurs magistrale aux protagonistes (à souligner l’attendrissante Iris d’Anaïs Constant et l’émouvante Marthe de Marie-Ange Todorovitch) comme aux choristes.
Christian Jarniat
20 février 2024
1 Parmi la production de Laurent Petitgirard :une vingtaine d’œuvres symphoniques et autant de musiques de films, une quinzaine d’œuvres de musiques de chambre et deux opéras.
2 Sonia Petrovna est l’épouse du compositeur Laurent Petitgirard
Direction musicale : Laurent Petigirard
Mise en scène : Muriel Mayette-Holtz
Décors et costumes : Rudy Sabounghi
Réalisation vidéo : Julien Soulier
Distribution :
Guru : Armando Noguera
Marie : Sonia Petrovna
Iris : Anaïs Constans
Victor : Frédéric Diquero
Carelli : Nika Guliashvili
Marthe : Marie-Ange Todorovitch
Six adeptes : Rachel Duckett ; Noelia Ibañez ; Aviva Manenti ;Raphael Jardin ;
Eduard Ferenczi Gurban ; Trystan Daguerre
Chœur de l’Opéra de Nice
Orchestre Philharmonique de Nice