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Opéra de Nice-Concert de l’orchestre philharmonique de Nice : Lara/Bartok/Mahler. Entre mort et transfiguration…

Opéra de Nice-Concert de l’orchestre philharmonique de Nice : Lara/Bartok/Mahler. Entre mort et transfiguration…

vendredi 6 décembre 2019
Anne Calloni – György G. Ráth  / Photo Dominique Jaussein

On reconnaît souvent la vitalité d’un orchestre au fait de savoir mêler dans une même programmation œuvres contemporaines et grands chefs-d’œuvre du répertoire.
C’était, de fait, le cas lors du concert des 6 et 7 décembre de l’orchestre Philharmonique de Nice où le programme proposé avait pour dénominateur commun de conduire les auditeurs dans les tréfonds les plus inconnus d’eux-mêmes, entre silence, mort et élan vital.

A l’affiche, trois œuvres composées chacune dans une période artistique et sociale radicalement différente : la Quatrième Symphonie de Gustav Mahler, entre 1899 et 1900, en pleine époque Art Nouveau (sécessionniste, dirait-on à Vienne…), le Concerto n°3 pour piano et orchestre de Béla Bartók, durant l’été1945, alors que Bartók est en exil aux États-Unis et que le second conflit mondial s’achève, la pièce pour orchestre « Cuando caiga el silencio » (« Quand tombe le silence ») d’Ana Lara, en 2019, en une période où les compositeurs de musique contemporaine continuent leurs recherches sur de nouveaux concepts acoustiques.

« Quand tombe le silence», œuvre dédiée au chef d’orchestre Pierre-André Valade qui l’a dirigée le 8 Mars 2019 à Londres avec le BBC Symphony Orchestra, impose d’emblée un environnement sonore mettant en valeur percussions et appels de cuivres et sachant, à l’occasion, faire exploser l’orchestre tout en accordant aux pupitres des cordes et à la harpe un rôle non négligeable. La compositrice Ana Lara, personnalité éminente de la musique contemporaine au Mexique, parvient, dans un univers atonal, à explorer la couleur et les dynamiques de l’orchestre pour créer un événement dramatique. Le son trouvé par le Philharmonique de Nice et son directeur musical György G. Ráth conduit le spectateur à saisir cette musique expérimentale « en temps réel » et à appréhender pleinement le silence qui retombe dans l’assistance au terme d’une partition qui, une dizaine de minutes durant, nous aura fait voyager au centre de nous-mêmes. Présente dans la salle, la compositrice, vivement applaudie, adresse avec beaucoup de chaleur ses saluts au public, à l’issue de l’exécution.

Composée par un Bartók ruiné et malade qui, sentant la mort s’approcher, a conscience d’écrire là probablement sa dernière œuvre, le Concerto n°3 pour piano et orchestre est finalement achevé par le compositeur hongrois Tibor Serly qui en orchestre les 17 dernières mesures. Il sera crée en 1946 par l’orchestre de Philadelphie dirigé par Eugene Ormandy, avec Gyorgy Sandor au piano, musicien ami et élève de Bartok. C’est justement avec son créateur que Jean-Efflam Bavouzet a eu la chance de travailler la partition : écrit en 3 mouvements (allegretto, adagio religioso et allegro vivace), le Concerto n°3 est tout entier dominé par un hommage à la vie qui, justement, est en train de s’éloigner. Dès le 1er mouvement, dont l’exposition du thème n’est pas sans évoquer l’écriture d’un Rachmaninov (on pense au Concerto n°3…) tout comme le souffle d’outre-atlantique du Concerto en fa de Gershwin, on sait que Jean-Efflam Bavouzet prendra les choses en mains, y compris du point de vue orchestral (le pianiste, on le sait, a régulièrement l’habitude de diriger depuis le clavier) : la technique du concertiste, dans cet allegro de type sonate, mêle à la fois virtuosité et retenue dans des séries d’accélérations et de ralentis qui dialoguent avec la phalange orchestrale et entraînent l’auditeur dans une course très énergique contre la montre.
C’est le temps ensuite du mouvement lent, Adagio religioso écrit sous forme de lied, qui semble, dans sa première partie, rendre un hommage appuyé à un choral de Bach qui aurait été influencé par les écarts d’un jazz de la West Coast (mais est-ce si étonnant ?) : les cordes du Philharmonique de Nice se font ici particulièrement ductiles et l’ensemble donne une sensation de nostalgie déchirante. L’allegro vivace nous ramène à la musique folklorique de la Hongrie natale de Bartók (mais sans que Gershwin ne soit oublié pour autant…) et à des rythmes de danse où Jean-Efflam Bavouzet fait assaut de virtuosité et d’une énergie communicative à l’orchestre. L’élan vital de Bartók trouve dans ce dernier mouvement toute sa raison… d’Être et le public ne s’y trompe pas, faisant un triomphe au pianiste.

En bis, nous embarquons pour L’île Joyeuse de Debussy, un compositeur particulièrement apprécié de Bartók, comme le précise au public un Jean-Efflam Bavouzet visiblement heureux de se produire à l’Opéra de Nice !

C’est la Quatrième Symphonie de Mahler qui venait clôturer ce programme au fil conducteur passionnant : d’une durée d’environ 50 mn, la Quatrième Symphonie est l’une des œuvres du musicien tchèque les plus marquées par une apparente insouciance et une légèreté dans le discours musical venant en quelque sorte rompre avec la première partie de la production symphonique du compositeur : à la création, d’ailleurs, l’œuvre désarçonne un public munichois qui espérait une nouvelle Symphonie Résurrection  et qui se retrouve face à un opus de facture classique (4 mouvements) avec, cependant, la grande originalité d’un final en forme de lied pour soprano.

Lors de la soirée du 6 décembre, le premier mouvement, aux contours néo-classiques gracieux et débordant d’une spontanéité que n’aurait pas démentie la plume d’un Richard Strauss (on pense en particulier, à son écoute, au poème symphonique Till l’Espiègle qui lui est antérieur…), tarde à se mettre au rendez-vous de ce pointillisme si difficile à trouver- dans toute cette œuvre d’une façon générale- entre raffinement et badinage humoristique. Pourtant, la modestie des effectifs souhaités ici par Mahler (absence de trombones) permet de goûter les divers pupitres niçois (flûtes, cors, alti, trompette, grelots…) sans pour autant, hélas pour nous, que l’aisance ni le lyrisme ne transparaissent dans un mouvement finalement exécuté de façon trop… sage ! Dès l’entrée du premier violon, accordé volontairement un ton plus haut sur sa première phrase du deuxième mouvement afin de donner une sonorité légèrement stridente (Mahler veut peut-être voir ici l’image d’une danse de la Mort), les choses changent et l’on est vite transporté dans un univers bucolique où l’on est à l’écoute des moindres cycles de la Nature : on sait que le musicien composait son œuvre au milieu d’un paysage de montagnes, de forêts et de lacs…Finesse et étrangeté des timbres passent à l’orchestre et le public peut largement ici savourer !
Dès l’introduction du sublime mouvement lent (Mahler a décidément le « secret » de l’Adagio dans sa production symphonique !), le maestro György G. Ráth  trouve son terrain de prédilection (la reprise du concert, le 7 décembre, sera peut-être, ici, encore plus bouleversante…) : les atmosphères qui s’y succèdent nous donnent parfaitement à entendre recueillement quasi-religieux, pizzicati éthérés, tempo de valse, élévation plaintive du hautbois, explosion bouillonnante de l’orchestre. C’est superbe et cela annonce l’ambiance céleste du dernier mouvement. On sait que le texte du lied final est extrait du célèbre « Wunderhorn » (« Le Cor merveilleux »), ce recueil de chants populaires médiévaux qui influencera tant Mahler comme tout le Romantisme allemand… C’est depuis l’autre Monde que la voix d’un enfant nous parle et est relayée par l’organe de la soprano qui va pouvoir faire alterner tendresse bucolique et accents festifs, avec, au passage, quelques vocalises. Dans cette partie finale si exigeante pour la soliste qui doit chanter mais surtout « dire » le texte, on a plaisir à entendre Anne Calloni.
Sans partition et dans un allemand parfait, la jeune soprano lyrique (précisons, s’il en était besoin, que l’on aurait tord de confier cette partie à un soprano seulement « gazouillant » !) est, dès son entrée sur le troisième mouvement, « dans » la musique de Mahler et « s’élève » avec l’orchestre. Le médium et le grave, jamais poitrinés, semblent avoir encore trouvé davantage d’assise et l’intelligence de l’interprétation, faite de discrétion et de lumière, est à saluer. C’est à l’orchestre qu’il revient magnifiquement de faire s’éloigner, en pointillés, les visions de cette Nature…céleste, jusqu’au silence de la baguette du maestro Ráth qui retombe lentement.

Hervé Casini 
 
6 et 7 décembre 2019.

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