Le dernier volet de la trilogie en hommage au centenaire de la disparition de Giacomo Puccini ne proposait pas aux spectateurs un opéra en version intégrale (comme ce fut le cas, les jours précédents, pour La Bohème et Tosca ) mais un gala lyrique consacré aux airs et duos célèbres de l’œuvre du maître italien.
Un bonheur que de voir Marco Armiliato – maestro ô combien efficace et pénétré de cette musique ! – s’emparer pour la troisième fois, en seulement 5 jours, de la baguette pour diriger avec brio, ferveur et lyrisme l’excellente formation que constitue l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo !
Un Jonas Kaufmann, riche d’une carrière de 30 années, et attendu avec un très grand intérêt
C’est peu de dire que le public attendait avec impatience l’un des ténors les plus adulés de la planète, en l’occurrence Jonas Kaufmann, bien qu’il soit venu en Principauté en novembre 2023 mais pour un concert privé en hommage à Caruso à l’occasion de la fête nationale monégasque.
On pourrait ici faire un parallèle avec ce que nous écrivions dans notre chronique sur Tosca, dans le cadre de ce même festival consacré à Puccini, à propos de Roberto Alagna. Le ténor allemand a déjà derrière lui une carrière de trois décennies dans la mesure où il a débuté au cours des années 1994-1995. Intéressant d’ailleurs de constater qu’il a chanté au tout début des rôles lyriques que l’on pourrait qualifier de « légers » ou du moins figurant dans le répertoire mozartien : Don Ottavio dans Don Giovanni, Tamino dans La Flûte enchantée, Ferrando dans Cosi fan tutte ou encore Belmonte dans L’Enlèvement au sérail. Quinze années plus tard, sa prestation de Werther de Massenet, unanimement saluée par la critique et le public, marqua notablement la saison 2009-2010 de l’Opéra de Paris. Nous l’avions entendu à cette occasion dans une interprétation que l’on peut qualifier à juste titre d’ « historique ». Depuis, son répertoire a encore évolué pour aborder les emplois principaux du répertoire lyrico-spinto des opéras italiens ainsi que ceux de Heldentenor de l’œuvre de Wagner.
Ces dernières années Jonas Kaufmann, victime de problèmes de santé, a du annuler certaines prestations d’opéras et de concerts, ce qui pouvait faire douter certains spectateurs de son état actuel de forme.
Or, ce gala lyrique consacré à Puccini, apporte un indiscutable démenti à toutes les supputations qui pouvaient être formulées à cet égard, car son très brillant récital vient aisément démontrer qu’il peut, aujourd’hui encore, franchir tous les obstacles d’airs et duos pourtant réputés difficiles.
Valeria Sepe une soprano en parfaite osmose avec Jonas Kaufmann
A ses côtés on retrouve la cantatrice italienne Valeria Sepe que nous avions particulièrement appréciée aux Arènes de Vérone en août 2021 dans Pagliacci de Leoncavallo (avec pour partenaire Roberto Alagna et sous la baguette de Marco Armiliato) et à propos de laquelle nous avions écrit dans nos colonnes : « La Nedda de Valeria Sepe dont les atouts de comédienne et de chanteuse ont illuminé la soirée ». Cette brillante chanteuse qui s’est perfectionnée auprès de Raina Kabaivanska s’est illustrée dans nombre de théâtres ou festivals prestigieux comme Rome, Parme, Florence, Vérone, Naples, Turin, Torre del Lago etc. ainsi qu’à l’international : Barcelone, Sidney, Tokyo , Munich, Athènes, Hong Kong etc. Une parfaite harmonie sur le plan interprétatif et vocal unit le couple formé par le ténor munichois et la soprano napolitaine pour un prodigieux moment de musique et de chant au sommet.
A nouveau dans ce festival Puccini, une « version scénique » où l’interprétation théâtrale prend toute sa dimension
Comme pour Tosca, relatée précédemment dans nos colonnes, là encore et nonobstant la version de concert à laquelle on aurait pu s’attendre, il n’en est nullement question dans la mesure où de nombreuses projections en fond de scène – au demeurant de très grande qualité – viennent se substituer avec bonheur à des décors et que les deux artistes à savoir Jonas Kaufmann comme Valeria Sepe ne se trouvent pas contraints, comme dans les versions de concert traditionnelles, de river leur regard sur les partitions. En la circonstance pas de pupitres : les deux protagonistes peuvent donc librement, s’adonner au théâtre et il ne s’en privent point car on assiste véritablement à des airs et duos qui, dans leur exécution, n’ont rien à envier à une prestation scénique.
Tosca
En effet dans la première partie de ce gala consacrée à Tosca, diverses projections viennent évoquer les lieux et phases de l’action comme la chapelle de l’église Sant’ Andrea della Valle de Rome ainsi qu’un bouquet de cierges en gros plan pour la prière de Tosca « Vissi d’arte ».
Après l’air de Mario « Recondita armonia » et le duo avec Tosca, on ne peut être que rassuré sur l’état de forme du ténor : nul doute que nous allons entendre le Jonas Kaufmann des grands jours, ce qui ne tarde pas être confirmé par le lamento « E lucevan le stelle ». Tous les ingrédients se trouvent réunis : bien sûr la puissance, la couleur si chaude d’un timbre barytonnant ambré, les aigus virils parfaitement en place mais encore un art – qui n’appartient qu’à lui – de donner un sens dramatique et théâtral parfaitement en situation à chacune de ses phrases, sans compter la subtilité d’un phrasé malléable appuyé sur une technique souveraine du diminuendo quand il faut alléger la voix pour mettre en valeur les nuances du texte si caractéristique chez ce ténor .
Le duo entre Mario et Tosca nous offre la gamme des multiples sentiments qui vont des élans amoureux, à la moquerie sur la jalousie qui semble se dissimuler sous un jeu, en passant par l’attraction sensuelle, les clins-d’œil amusants, la complicité dans l’ardeur… bref, répétons-le : on se trouve vraiment au théâtre et non pas seulement au concert !
Il faut aussi souligner que Valeria Sepe donne au ténor une réplique éloquente au moyen d’une voix saine, claire et percutante doublée d’une longue tessiture munie d’une parfaite assise dans le grave et le médium et d’une belle luminosité dans les aigus avec elle aussi le même sens du théâtre et de l’interprétation que son illustre partenaire.
La Bohème
On les retrouve tous deux dans deux extraits de La Bohème d’une part, dans l’air de Mimi au premier acte admirablement phrasé, suivi du duo : « O soave fanciulla ». A la fin de celui-ci Jonas Kaufmann monte au contre-ut à l’unisson avec sa partenaire (bien que cette note ne soit pas écrite pour le ténor)
Madama Butterfly
Après l’entracte l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, sous la direction de l’orfèvre Marco Armiliato, s’adonne au sublime intermezzo de Madama Butterfly (avec une image d’époque du port de Nagasaki). Une mise en relief saisissante de tous les instruments de l’orchestre et en particulier ceux de la petite harmonie dont le talent des musiciens vient servir à merveille la partition luxuriante du compositeur (tout comme d’ailleurs antérieurement le prélude foisonnant du 3e acte de Tosca). Dans le long et extatique duo d’amour nocturne de l’acte 1 qui scelle l’union charnelle de l’officier américain et de la jeune geisha les deux artistes nous offrent encore une fascinante séquence de théâtre doublée de mille nuances enivrantes quant au chant.
Manon Lescaut
Autre intermezzo non moins célèbre confié aussi à l’orchestre : celui de Manon Lescaut aussi grandiose qu’enthousiasmant d’autant que suit l’incandescent duo « Tu, tu amore ? » entre Manon et Des Grieux porté à un sommet d’exaltation et de sensualité peu commun avec en fond de scène les toits de Paris.
Les bis : La Fanciulla del West , Turandot , Gianni Schicchi
Les deux artistes ont accordé plusieurs bis notamment l’air de Dick Johnson du dernier acte de La Fanciulla del West : « Ch’ella mi crede libero e lontano » avec en projection un saloon, puis deux airs extraits de Turandot (avec en fond de scène la cité interdite de Pékin) le pathétique « Signore ascolta» de Liù par Valeria Sepe, suivi du tendre « Non piangere Liù » par Jonas Kaufmann, l’incontournable « O mio Babino caro » extrait de Gianni Schicchi ( Valeria Sepe en délicieuse Lauretta et les toits de Florence en projection) pour finir sur le fameux « Nessun dorma » de Turandot glorieusement interprété par Jonas Kaufmann.
Ce marathon d’airs et de duos constitue incontestablement un véritable exploit puisque les deux protagonistes chantent évidemment plus longtemps qu’ils ne le feraient dans un opéra entier du fait de l’absence d’interventions d’autres partenaires et du chœur…
Une longue et fantastique standing ovation assortie d’acclamations enthousiastes
A l’issue de ce concert, tous les spectateurs de la salle des Princes du Grimaldi Forum se sont levés comme un seul homme, dans une fantastique standing ovation comme on en voit peu d’autant qu’elle a été particulièrement longue et assortie d’acclamations et des vivats. Une manière de finir en feu d’artifice, ce festival de très haut niveau consacré à l’un des plus illustres chantres de l’art lyrique : Giacomo Puccini.
Christian Jarniat
17 Novembre 2024
Direction musicale : Marco Armiliato
Ténor : Jonas Kaufmann
Soprano : Valeria Sepe
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo