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Noël avec la Cendrillon de Christopher Wheeldon par le Ballet d’État de Bavière

Noël avec la Cendrillon de Christopher Wheeldon par le Ballet d’État de Bavière

lundi 25 décembre 2023

Crédit photographique © Nicholas Mackay

Il y a deux ans le Bayerisches Staatsballett avait présenté au Théâtre national de Munich la première allemande du ballet Cendrillon (Cinderella) de Christopher Wheeldon. Depuis, le succès remporté ne s’est jamais démenti et en ce jour de Noël le ballet bavarois a organisé une matinée pour les familles, la 27ème représentation de ce fabuleux spectacle. C’est la période des cadeaux et un bon nombre de parents ont tenu à offrir ce spectacle d’exception à leurs enfants. Le somptueux promenoir bleu et or et les grands escaliers où les spectateurs déambulent d’ordinaire avec la lenteur débonnaire qui sied à ces lieux prestigieux se sont à nouveau animés des rires et des jeux d’enfants que leurs parents avaient paré de leurs plus beaux atours pour les emmener voir, sans doute pour beaucoup d’entre eux, leur premier ballet. On croisait d’ailleurs quelques fillettes en robes de fée blanc et or à qui ne manquaient que des chaussons dorés. Et la pédagogie n’est pas en reste puisque le Staatsballett organise avant la représentation une présentation du spectacle spécialement concoctée pour les plus petits (conseillé à partir de 8 ans).

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© Nicholas Mackay

Un peu d’histoire

Suite au succès du ballet Roméo et Juliette de Serge Prokofiev, le théâtre Mariinsky de Leningrad lui avait passé commande d’une musique pour Cendrillon. Le compositeur se mit à l’ouvrage en 1941 mais ne termina sa partition qu’en 1944. La progression de sa musique de ballet suit de près le conte de Perrault. La première eut lieu le 21 novembre 1945 au théâtre Bolchoï avant d’être interprété au théâtre Mariinsky de Leningrad. Prokofiev dédia son ballet à Tchaïkovsky et le présenta “comme un ballet classique avec des variations, des adagios, pas de deux, etc.” Il définit “Cendrillon non seulement comme un personnage de conte de fées mais également comme une personne en chair et en os qui ressent et vit parmi nous” et annonça exprimer par sa musique ” ‘amour poétique de Cendrillon et du Prince, la naissance et l’éclosion de cet amour, les obstacles dressés sur son chemin et, finalement, l’accomplissement d’un rêve.”  

Le ballet connut ensuite un grand succès et de nombreuses chorégraphies furent créées sur la musique de Prokofiev. Celle de Christopher Wheeldon, coproduite par le Ballet de San Francisco et le Dutch national Ballet, fut créée en 2012 en Californie et aux Pays-Bas. Elle est rentrée en novembre 2021 au répertoire du Bayerisches Staatsballet, qui avait déjà produit Alice’s adventure in Wonderland du même chorégraphe en 2017.

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© Nicholas Mackay

Le travail de Christopher Wheeldon correspond à l’esprit que Prokofiev a voulu exprimer dans sa musique. Sa chorégraphie rend fort bien l’atmosphère poétique de l’œuvre en proposant un ballet à la magie féerique et joyeuse, un ballet souvent marqué au coin de l’humour dans lequel les décors et les costumes de Julian Crouch jouent un rôle essentiel, presque aussi important que la danse. Si Prokofiev avait travaillé sur la base du seul conte de Perrault, Wheeldon et son librettiste Craig Lucas ont voulu remodeler le scénario en empruntant également des éléments narratifs à la version des frères Grimm et surtout en donnant leur propre version de l’histoire. Le ballet commence au moment de la mort de la mère de Cendrillon, un décès certes déchirant mais accompagné d’une Assomption aérienne de la défunte qui ne laissera pas sa petite fille à l’abandon : près de sa tombe s’élève bientôt un arbre dont le houppier magnifique va au cours du ballet s’illuminer des couleurs variées des saisons. L’animation de l’arbre est l’œuvre du marionnettiste Basil Twist, qui a également conçu le carrosse. Des abords de la tombe surgiront quatre puissants génies aux visages dorés qui protégeront la croissance de la petite fille et qui l’accompagneront tout au long de ses épreuves. Aussi voit-on Cendrillon interprétée par une ballerine enfant puis dans les scènes suivantes par une jeune danseuse. Il en va de même pour le rôle du prince Guillaume que l’on voit d’abord en gamin jouant de l’épée de bois avec un petit compagnon de jeu, son ami Benjamin, avant de les retrouver en jeunes adultes.

La Cendrillon de Wheeldon n’est pas aussi malheureuse que dans les contes : elle n’est pas la toute-soumise et peut être provocante, on la voit jeter par terre les fleurs que sa belle-mère veut lui offrir après que le père de Cendrillon se soit remarié. Les deux filles de la marâtre se crêpent volontiers le chignon quand elles ne persécutent pas Cendrillon, mais la plus jeune, Clémentine, celle qui porte de grandes lunettes, n’a pas la méchanceté de l’aînée et protège à diverses reprises la jeune fille lorsque sa sœur se montre par trop virulente. Il n’y a pas de fée marraine, ce rôle est dévolu aux quatre génies et à l’arbre qui à un moment ouvre son écorce pour accueillir en son sein la jeune Cendrillon qui en ressortira métamorphosée en une admirable princesse. Comme dans la Cenerentola de Rossini, le prince Guillaume et son ami intervertissent leurs rôles et leurs habits pour aller remettre les invitations au bal et comme dans l’opéra la rencontre donne lieu au coup de foudre amoureux. 

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© Nicholas Mackay

La formation du carrosse est l’une des plus belles scènes du ballet : les quatre génies se transforment en chevaux, des parasols de verdure forment les quatre roues et ce carrosse féerique transporte vers le palais une Cendrillon à la robe dorée avec un long voile de traîne de la même couleur. Lors du bal, la danse maladroite des deux sœurs et leurs chamailleries les disqualifient aussitôt, la marâtre abuse du champagne et se livre à une danse chancelante qui se termine en vomissements. La plus jeune des sœurs voit cependant sa moindre méchanceté et son bon cœur récompensés, elle se trouve un compagnon en la personne de l’ami du prince. La scène de l’essayage du chausson perdu par Cendrillon se déroule sur un alignement de seize fauteuils cabriolets et de chaises Louis XVI joliment damassés de rouge, qui s’envoleront bientôt dans les airs pour former un arc aérien. Toute une série de personnages fantastiques aux masques de têtes d’oiseaux ou de châtaignes y prennent place pour disparaître bientôt et laisser place aux candidates au mariage, que leur pointure élimine les unes après les autres. La marâtre essaye bien de forcer l’essayage de son aînée en essayant de fixer le chausson sur le pied au moyen d’un vigoureux maillet. La dernière scène est celle d’un double mariage qui voit le prince Guillaume s’unir à Cendrillon après que Benjamin ait disparu en compagnie de Clémentine.

Cette excellente scénographie et les 400 costumes très réussis de la production sont dus au talent de Julian Crouch, assisté de Sebastian Dietrich pour les vidéos. Si le bleu domine pour l’habillage des ensembles, c’est en blanc et or que se déroule la scène finale. Les lumières de Jürgen Schock et de Natascha Werber participent de la même réussite.  Soulignons encore la multitude des lustres qui ajoutent à la magie de l’ensemble.

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© Nicholas Mackay

La chorégraphie de Christopher Wheeldon est essentiellement classique et typique du ballet narratif traditionnel, elle se surpasse dans l’inventivité des détails et l’audace de certaines voltiges qui font voler en éclat ce que le ballet traditionnel peut parfois avoir d’un peu rigide. Il faut de superbes danseurs et danseuses pour répondre aux exigences du chorégraphe. Et le ballet d’État de Bavière n’en manque pas : la jeune Américaine Madison Young, – elle a 23 ans, – portée cette année à la dignité suprême de danseuse étoile du Bayerisches Staatsballett, interprète Cendrillon avec une légèreté lumineuse et aérienne, qui semble défier les lois de la pesanteur, une souplesse, une délicatesse et une noblesse qui soulèvent l’émotion. Son compatriote Julian MacKay, qui a rejoint la troupe bavaroise depuis la saison 2022/2023 en tant que soliste principal, domine la scène par ses sauts prodigieux et une musculature impressionnante, dont les muscles glutéaux, qu’un collant blanc met parfaitement en relief, forment un arrondi du plus bel effet. Ce danseur fougueux et solaire sait aussi se montrer tendre et délicat avec sa partenaire. Madison Young et Julian MacKay forment une paire de danseurs extraordinaire, d’une précision gestuelle stupéfiante. La parfaite harmonie de leurs pas de deux laisse pantois.

Mais c’est toute la troupe dont il faut souligner l’excellence. Maria Chiara Bono excelle dans le contre-rôle de la marâtre Hortensia, sa danse de l’ivresse honteuse lors du bal de la cour est un travail d’orfèvre ; la Clémentine de Bianca Texeira est de la même venue, la danseuse parvient à exprimer l’ambiguïté de ce personnage dont le bon cœur l’emporte sur la méchanceté au contraire de sa sœur Edwina, fort bien dansée par Elvina Ibraimova, qui joue les petites pestes d’un bout à l’autre du ballet et cherche sans doute encore chaussure à son pied à l’heure qu’il est. Le portugais António Casalinho, qui a été promu premier soliste par Laurent Hilaire en janvier 2023, donne un superbe Benjamin, l’ami du prince. 

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© Nicholas Mackay

La féerie du ballet ne saurait exister sans celle de la musique. C’est à Gavin Sutherland, l’actuel directeur musical de l’English National Ballet, l’un des plus grands spécialistes de la direction de musiques de ballet, qu’est confiée la baguette et sa direction toujours attentive à la scène entraîne l’excellent orchestre bavarois vers des perfections sonores dans l’expression d’une des plus belles musiques pour ballet que le 20è siècle nous ait laissées, avec ses multiples variations et son côté parfois un peu sombre.

La matinée passe comme dans un rêve et le public enchanté par la qualité de la danse, la beauté des décors et l’extraordinaire variété des costumes ne se rend sans doute pas compte de la rapidité et de la précision du travail des habilleurs qui s’affairent en coulisse. 

Un spectacle qui ravit petits et grands.

Luc-Henri ROGER

25 décembre 2023

Prochaines représentations : le 29 décembre 2023 en matinée (matinée enfantine) et en soirée, et les 1er (avant-soirée enfantine) et 6 janvier 2024 (matinée enfantine). Le Théâtre national affiche complet ou quasi complet pour ces dates.

 

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