Tous les Niçois ou touristes connaissent sur la Promenade des Anglais cette petite villa du début du XXe siècle riche en décrochements, balustres et colonnades, surmontée d’un fronton orné, qui, par sa présence, semble faire de la résistance au milieu des immeubles modernes. Elle s’appelle pompeusement le « Palais de l’Agriculture » en référence à sa destination première. Lorsqu’il y a quelques années il fut question de la démolir, les Niçois se sont mobilisés pour la conserver. Elle a été restaurée et, ayant abandonné l’agri- a gardé la culture.
C’est ainsi que nous y avons entendu un concert de piano consacré à des musiques de film*. Le pianiste était Bruno Membrey, connu par ailleurs pour sa carrière de chef d’orchestre. Au dessus du piano apparaissaient sur un écran les images fixes des films concernés.
Tous les tubes y sont joyeusement passés : James Bond, Un Homme et une femme, Love story, la Boom, le Professionnel, la Liste de Schindler, un Eté 42, les Parapluies de Cherbourg, les Demoiselles de Rochefort, Borsalino, le Grand blond avec une chaussure noire, West Side Story, Rabbi Jacob, etc. J’en oublie ? Ah oui, Le Gendarme de Saint Tropez : la, la-la, la, la, la, la, la, la-la, la, la (Rythme : noire, croche, double croche, croche… etc) ! Ah, le public était heureux ! Il fredonnait les thèmes, frappait dans ses mains, se retenait de se lever pour danser. C’est bien de rendre le public heureux ! C’est ce que faisait Bruno Membrey, ce maître es-bonheur. Rendre le public heureux ? Il y a des intellos qui en ont honte. Ils n’auraient pas eu leur place au Palais de l’Agriculture !
Et tandis que le pianiste déroulait ses partitions, dont certaines étaient d’une grande virtuosité, des images surgissaient sur l’écran de nos souvenirs : Sean Connery, Delon, Belmondo, Sophie Marceau, Depardieu, Catherine Deneuve apparus dans l’éclat de leur jeunesse. On était loin des cloaques dans lesquels une actualité nauséabonde a précipité l’image de certains d’entre eux ! On revoyait dans nos souvenirs Trintignant embrassant Anouk Aimée (« Chabadabada », merci au Niçois Francis Lai!), Antony Quinn dansant le sirtaki, Mireille Darc dénudant son dos devant la chaussure noire de Pierre Richard, Louis de Funès défilant, le buste bombé, sur le port de Saint Tropez, Jean-Paul Belmondo pointant un colt terrifiant, Audrey Tautou poursuivant le destin d’Amélie Poulain.
Ce récital était aussi une plongée dans nos souvenirs. Car à chacun de ces films étaient attachés des moments de notre vie, des bouts de notre jeunesse, des souvenirs de rencontres, de bonheur ou de peine. Suivant les circonstances dans lesquelles on l’a vu, tel film évoque pour l’un un souvenir de joie, pour l’autre de tristesse. Nostalgie, quand tu nous tiens… Ce soir-là, Bruno Membrey nous a pris par la main et nous a entraînés dans notre propre passé. En cela, il nous a fait du bien. C’est cela le propre des artistes : faire du bien à ceux qui les écoutent. Que Bruno Membrey en soit félicité et remercié.
Dans le petit Palais de l’Agriculture qui fait acte de résistance au milieu de la Promenade des Anglais à Nice, il s’est passé, l’autre soir quelque chose qui était plus qu’un simple concert de musiques de films…
André PEYREGNE
20 Janvier 2024
*Organisé par l’Association Vu Pas VU
Présentation et conception visuelle : Nicolas Scholtès
