Nichée dans une vallée de l’Aveyron au cœur de la forêt, dans un cadre naturel et patrimonial exceptionnel, entre châteaux, églises romanes et oratoires, l’ancienne abbaye cistercienne de Sylvanès est chaque été l’écrin privilégié d’un festival de musiques sacrées et musiques du monde.
Placée sous la houlette avertie et bienveillante de Michel Wolkowitsky, son fondateur (voir notre rubrique Interviews), le festival propose cette année, entre autres concerts où les chants du culte marial méditerranéen et les chants sacrés et profanes des traditions monothéistes vont côtoyer les invocations et prières dans l’Opéra (un récital le samedi 10 août avec la soprano Bénédicte Roussenq à l’église du Sacré-Cœur à Millau) sans oublier les grands airs et duos du répertoire lyrique (concert du dimanche 18 août avec, parmi les solistes, Cécilia Arbel et Emmanuelle Zoldan), un grand concert de musique sacrée italienne.
Mettant à l’honneur Rossini, à travers des extraits de son illustre « Stabat Mater » et de sa non moins fameuse « Petite Messe Solennelle », le programme remet sur les pupitres, en seconde partie, la rare « Messa di Gloria » de Puccini, œuvre de jeunesse du compositeur toscan.
Placé sous la direction musicale de Bernard Tétu, l’un des pionniers en France de la formation des chefs de chœur professionnels et fondateur, en 1979, des Chœurs et Solistes de Lyon avec lesquels il a donné plus de 2000 concerts, ce programme, au contenu particulièrement gratifiant pour le chœur et les solistes, nous a tout d’abord permis de découvrir une ré-orchestration pour piano et grand orgue du « Stabat Mater » et de la « Messa di Gloria ». Spécialement conçue pour ce concert par Maxime Buatier (piano) et Margot Boitard (orgue), la réduction d’orchestre ainsi élaborée permet aux deux solistes de faire entendre, dans une optique quelque peu différente des versions de concert habituelles, les plus belles pages de ces deux œuvres et ce travail de collaboration étroite mérite d’être salué. Particulièrement investi dans ses attaques et pouvant être, à l’occasion, d’une aide précieuse aux solistes et au chœur, mettant surtout en évidence l’authentique dimension lyrique et sacrée des œuvres, Maxime Buatier, pianiste accompagnateur des classes de danse au Conservatoire de Béziers et habitué des ateliers de chant choral à Sylvanès, nous a fait forte impression.
Pouvant s’appuyer sur de tels musiciens et sur la direction bienveillante d’un chef de l’envergure de Bernard Tétu, sachant allier la sobriété du geste à la profondeur du message musical délivré (sans oublier la dimension pédagogique auprès du public lorsqu’il met en évidence, dans l’”Agnus Dei” de «La Petite Messe», l’hommage rendu par le “cygne de Pesaro” à la musique de Bach), l’atelier choral composé exclusivement de choristes amateurs, venus travailler pendant une semaine les partitions mises au programme, donne le meilleur de lui-même et donne un bel aboutissement au projet. Sans doute quelques membres masculins supplémentaires auraient-ils été les bienvenus…mais l’ensemble reste convaincant.
Le quatuor vocal, composé de professionnels à part entière, est d’un calibre superlatif. On sait que Rossini écrivit son « Stabat » en 1841 et sa « Petite Messe » en 1864, à une époque où, depuis bien longtemps, il ne composait plus pour la scène. Il n’empêche, c’est bien à un quatuor lyrique d’exception (le couple soprano-ténor, à la scène comme à la ville, Giulia Grisi et Mario, la mezzo Emma Albertazzi et le baryton Antonio Tamburini, créateur de « Don Pasquale » et d’« I Puritani ») que le génial compositeur confie la création de l’œuvre à Paris en 1842, dans la fameuse salle Ventadour du théâtre des Italiens ! Dans l’ “Agnus Dei” de la « Petite Messe », où elle est mieux mis en évidence par la sélection d’extraits choisis, la mezzo Gaëlle Mallada, habituée de l’esthétique vocale rossinienne (elle a été « Cenerentola » à l’Opéra de Limoges) fait entendre une voix égale sur tout l’ambitus et des graves particulièrement sonores et bien timbrés qui montrent que ce “péché de vieillesse” demeure toujours apparenté à l’écriture des illustres rôles de contralto que sont Tancredi, Arsace ou Isabella…
Sans doute plus éloigné de son répertoire habituel, Frédéric Caton, habitué des grandes scènes lyriques et que l’on retrouvait ici avec plaisir, nous a paru plus à son affaire dans les interventions solistes de la « Messa di Gloria », même s’il donne au fameux “Pro peccatis” du « Stabat » toute la noblesse du phrasé et la puissance vocale adéquate.
C’est également dans l’œuvre rutilante de Puccini, composée juste avant que le futur compositeur de « La Bohême » et de « Tosca » n’entre au conservatoire de Milan (1880) et dont certains passages se retrouveront dans « Edgar » et dans le madrigal de « Manon Lescaut », que le ténor Pierre-Antoine Chaumien se montre le plus convaincant, grâce à une voix à la projection bien assurée et à l’aigu sonore.
Parmi les “hits” du « Stabat Mater » figure également en place de choix l’ “Inflammatus et accensus” , écrit pour soprano et chœur et qui donne ici à l’orgue une attaque éclatante. Annoncée souffrante (elle chantait quelques jours auparavant, et avec grand succès, l’oratorio de Gounod « Gallia » sur l’île d’Oléron où les températures ne sont pas toujours clémentes…) la soprano lyrique Anne Calloni s’impose par la fierté du port et la puissance de l’expression, rappelant ainsi à l’auditeur que dans ce passage il est question de combat pour éviter les flammes éternelles ! Se jetant dans la bataille avec toute l’énergie et l’urgence dramatique dont il faut ici donner la preuve, magnifiquement soutenue par l’orgue et le chœur particulièrement en situation, Anne Calloni délivre une performance technique de belle facture dont il faut mentionner la vocalise si périlleuse mais jamais savonnée (s’envolant jusqu’au contre-ut) et dont le do grave final en impose, tout simplement.
Pour rendre parfait le bonheur de spectateurs déjà comblés, Bernard Tétu dirige public, chœur et solistes dans le “Va Pensiero” de « Nabucco ». Un régal.
Hervé Casini
Dimanche 21 juillet 2019