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La Huitième symphonie de Gustav Mahler aux Chorégies d’Orange

La Huitième symphonie de Gustav Mahler aux Chorégies d’Orange

lundi 29 juillet 2019
Photo Ph. Gromelle

La Huitième symphonie de Gustav Mahler aux Chorégies d’Orange ou le temps suspendu…
L’évènement de ce 150ème anniversaire des Chorégies d’Orange tel qu’annoncé depuis plusieurs semaines, par la presse écrite et radiophonique régionale et nationale, était sans nul doute la huitième symphonie de Gustav Mahler. Disons-le d’emblée : le concert a été au niveau de sa médiatisation.

Donnée devant le mur d’Auguste en 1977, cette « symphonie-monde » de quelque 1h 20 de musique avait alors permis aux deux formations de la Maison de la Radio (l’Orchestre National de France et l’Orchestre Philharmonique) de se retrouver – et pour la dernière fois- sur une même scène.

On sait que c’est lors de sa création, le 12 septembre 1910, dans la toute nouvelle salle vitrée de l’Exposition Internationale de Munich, devant 3000 auditeurs enthousiastes, avec 171 musiciens et 858 chanteurs, que la huitième symphonie trouva, à la faveur de l’imprésario Emil Gutman mais sans l’acquiescement du compositeur, son surnom de « Symphonie des Mille ».

Avec plus de 420 interprètes, la version qui en a été donnée ce 29 juillet aux Chorégies aura comblé nos désirs les plus fous : c’est tout d’abord l’orgue qui, en plaquant son accord imposant de mi bémol majeur, immédiatement suivi par les deux formations chorales (Chœur et Maîtrise de Radio France) entonnant leur hymne « Veni, Creator Spiritus », scotche littéralement le spectateur sur son gradin. On est ici, d’ores et déjà, en totale communion avec l’esprit de Mahler qui, un rien présomptueux au soir de la première,  commentait ainsi ce moment : « Après le premier thème il n’y aura plus d’adversaire dans la salle ; il doit terrasser chacun d’eux ». Terrasser est, en effet, le verbe qui convient et pas seulement dans ces vingt minutes de 1er mouvement où le compositeur s’adresse au Saint-Esprit (qui, selon Mahler, lui « dictait » l’œuvre) et délivre, tout d’abord, une démonstration de force contrapuntique (l’étude de Bach est à la manœuvre…) confiée à des choristes poussés de plus en plus loin vers l’aigu (contre-ut pour les soprani) puis une envolée de douceur miséricordieuse pour les huit solistes, fonctionnant comme un chœur de chambre : dès ce moment et tout au long du concert, le sentiment d’être en présence d’une immense force totalement homogène et parfaite du point de vue de la rigueur stylistique se présente à la pensée et ne nous quittera plus.
Puis vient le temps des faiblesses humaines corporelles, « Infirma nostri corporis », où l’extatique violon solo, si souvent associé à la peine individuelle chez Mahler, accompagne le chœur, maintenant à l’effectif plus restreint.

La seconde partie prend comme support la scène finale du Faust de Goethe et le texte de l’illustre poète permet à la musique et au chant de s’élever vers des hauteurs symboliques d’une force époustouflante. Autour de Faust, qui reste muet, interviennent divers personnages tels qu’ermites, anges, âmes d’enfants, un certain docteur Marianus (confié à la voix de ténor), Gretchen (l’amante de Faust, soprano), trois saintes pénitentes (soprano, mezzo et alto) et la Mater Gloriosa (soprano), autrement dit la Vierge Marie elle-même. Tout ce mouvement, à mi-chemin de l’Opéra et de l’Oratorio, est une vaste progression à connotation céleste où Mahler ménage ses effets et fait entrer de nouveaux instruments tels que les harpes, le célesta et même le piano. Dans le « Chorus Mysticus » qui constitue la clef de voûte de l’ouvrage et où le chœur revient au style grégorien et au pianissimo, le texte nous parle de l’éternel féminin (« le charme éternel de la femme nous élève aux cieux ») et l’orchestre achève de dessiner la rosace d’une cathédrale gothique sur l’accord parfait.

Pour servir ce chef-d’œuvre, la direction du finlandais Jukka-Pekka Saraste sait à la fois se montrer énergie puissante et recueillement contemplatif. Très vite, on sent qu’avec lui à la baguette le grand vaisseau qui vient de prendre le large arrivera à bon port sans dommage : les attaques des instrumentistes (bois en particulier), empreintes toujours d’une belle poésie, permettent aux chanteurs de se dépasser et de vaincre les écueils d’une partition truffée de difficultés.

Parmi les huit chanteurs de cette si excitante soirée, on citera la toujours impeccable Riccarda Merbeth, soprano dramatique à la voix parfaitement projetée qui trouve en Pénitente une partie la mettant particulièrement bien en valeur. C’est également le cas de Meagan Miller (Magna Peccatrix), habituée des plus grandes scènes lyriques, et d’Eleonore Marguerre (Mater Gloriosa) qui, pour ses débuts aux Chorégies, se retrouve positionnée au sommet du Mur (ou presque…) et donne ainsi à ses interventions virginales un relief inoubliable.
Si Boaz Daniel, baryton à la voix chaleureuse , sait se montrer émouvant en Pater Ecstaticus, on a grand plaisir à retrouver Albert Dohmen, l’un des meilleurs barytons-basses wagnériens au début des années 2000, qui, malgré des moyens qui ne sont plus les mêmes, trouve en Pater Profundus de forts beaux accents. La partie de ténor (Doctor Marianus) est sans doute l’une des plus éprouvantes, côté solistes, de la huitième symphonie : Nikolai Schukoff -qui nous confie la chanter à peu près une fois par an à travers le monde !- l’aborde avec une voix égale sur tout l’ambitus, capable de fulgurances et de nuances bienvenues, et sait parfaitement négocier les sommets extatiques du personnage, en adoration devant la Vierge.

Mais c’est encore le Chœur et la Maîtrise de Radio France ainsi que le Chœur Philharmonique de Munich qui nous ont réservé les plus belles émotions de la soirée, tant ces trois formations auront été capables, derrière la force de frappe et le « mur » orchestral constitués par les deux phalanges à la manœuvre, de rendre compréhensibles chaque mot, chaque intonation, chaque souffle. Une magnifique performance.

Avec un tel ensemble, si propice au désir d’utopie et d’harmonie universelle, on ne pouvait, à l’issue de cette passionnante soirée, que partager le propos d’introduction de Jean-Louis Grinda à la programmation 2018 des Chorégies : « Notre promesse (…) c’est de changer votre perception du temps, de rendre cette soirée éternelle par des souvenirs inoubliables. »
Mission parfaitement accomplie.

Hervé Casini.
29 juillet 2019

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