Événement très attendu pour ce début de la saison musicale munichoise que le retour de Kirill Petrenko et de l'Orchestre philharmonique de Berlin pour un concert de musiques des 20e et 21e siècles à la Philharmonie de l'Isar.
Le Berliner Philharmoniker n'avait plus joué à Munich depuis huit ans et Kirill Petrenko, qui en a pris la direction en 2019, avait pour le rejoindre quitté Munich où il avait été, à partir de 2013 directeur musical de l'Orchestre d'État de Bavière.
La soirée ouvre la série de concerts de musica viva, la série de la radio bavaroise consacrée à la musique nouvelle et contemporaine. Elle est également festive car son mécène, la Fondation musicale Ernst von Siemens (Ernst von Siemens Musikstiftung ), fête cette année le cinquantième anniversaire de sa création. On a pu entendre des oeuvres de Iannis Xenakis, Márton Illés et György Kurtág, ainsi que la Scène de chant de Karl Amadeus Hartmann, le fondateur de musica viva, avec en soliste le baryton Christian Gerhaher. Le même concert vient d'être joué à Berlin les jours précédents, ce qui est tout à l'avantage du public munichois qui a pu bénéficier des qualités d'un orchestre bien entraîné.
La soirée a commencé avec les Jonchaies, oeuvre que Iannis Xenakis avait composée pour grand orchestre de 109 instrumentistes en 1977 et qui est déjà devenue un classique de la musique contemporaine. Elle rappelle, avec son utilisation nerveuse et hallucinée des cordes, le glissando qui s'amenuise suivi d'un martèlement, la musique du film Psychose d'Alfred Hitchcock composée par Bernard Herrmann pour la scène du meurtre sous la douche. L'évolution sonore des cordes est sidérante, infernale même, et exige pour être réussie une minutie pointilleuse et visionnaire de la part du chef et une excellence d'exécution de la part des instrumentistes.
Vient ensuite Lég-szín-tér du compositeur hongrois Márton Illés, qui vient d'être créée il y a quelques jours à Berlin, une oeuvre de commande financée par la Fondation musicale Ernst von Siemens. Le titre évoque un espace aérien, une scène aérienne. Le compositeur, présent dans la salle et que Kirill Petrenko invitera à venir recevoir sa part d'applaudissements, a composé sa scène musicale pour le Berliner Philharmoniker dont il connaît les exceptionnelles qualités. La complexité de l'oeuvre, ses perspectives spatiales, constituent un défi que ne peut relever qu'un orchestre de virtuoses. On peut établir des parallélismes avec la composition de Xenakis. Les deux oeuvres sont extrêmement physiques, elles s'emparent toutes deux du public pour l'entraîner, sinon pour l'enfermer sans échappatoire possible, dans le huis-clos de leur univers sonore particulier.
Après l'entracte, le baryton Christian Gerhaher, seul soliste de la soirée, rejoint les musiciens de l'Orchestre Philharmonique, pour la Gesangs-Szene, la Scène chantée que Karl Amadeus Hartmann (1905-1963) a écrite sans pouvoir la terminer, entre 1961 et 1963, sur des textes extraits de la pièce de théâtre Sodome et Gomorrhe de Jean Giraudoux, qui connut sa première en 1943. Les relations entre hommes et femmes se trouvent au centre de la pièce Giraudoux : les deux sexes ont des attentes tellement différentes qu'ils ne peuvent se satisfaire et l'amour durable paraît irréalisable ; la vengeance divine condamne les humains qui ont été incapables de trouver un seul couple heureux vivant dans la cité. L'extrait du texte choisi par Hartmann pour être mis en musique est apocalyptique, il y est question d'un monde qui ressemble étrangement au nôtre : un monde hautement technicisé qui connaît une chute aussi soudaine qu'inattendue. Pour porter ce rôle extrêmement exigeant, il faut tout le charisme et les ressources vocales d'un Gerhaher, un grand chanteur à la présence scénique d'une conviction et d'une expressivité remarquables. Le texte est à la fois chanté et déclamé, poussé jusqu'au cri, avec des passages bouleversants dans le mezza-voce. L'intelligence de l'entente entre le soliste et le chef est patente, remarquable et remarquée.
Cette soirée à la beauté oppressante se termine avec la Stele Op.33 que György Kurtág, hongrois lui aussi, composa pour grand orchestre en 1994. À remarquer que la commande passée à l'époque pour cette oeuvre vint elle aussi du Berliner Philharmoniker. La stèle est funéraire. Les trois mouvements de cette oeuvre de 13 minutes sont joués attacca. L'oeuvre, élégiaque, est d'une complexité émotionnelle et d'un poids et d'un impact écrasants. C'est, aux dires de Kurtág lui-même, la musique " de quelqu'un qui gît blessé sur un champ de bataille. Les combats font rage tout autour de lui, mais il ne voit qu'un ciel très clair, très bleu… Son sentiment est que rien n'est aussi important que ce ciel ".
Si la soirée fut grandiose sur le plan musical avec un des meilleurs orchestres de la planète, un chef à la précision visionnaire, un incomparable chanteur à la générosité et au charisme poignants, elle fut le contraire d'un divertissement au sens pascalien du terme. Ces musiques évoquent parfois avec fracas la misère, la vanité, l'impossible communication. On n'en sort pas indemne, elles nous rappellent, si tant est qu'on l'aurait oublié, que nos sociétés hautement techniques s'effondrent et que le champ de bataille est à nos portes.
Le Berliner Philharmoniker n'avait plus joué à Munich depuis huit ans et Kirill Petrenko, qui en a pris la direction en 2019, avait pour le rejoindre quitté Munich où il avait été, à partir de 2013 directeur musical de l'Orchestre d'État de Bavière.
La soirée ouvre la série de concerts de musica viva, la série de la radio bavaroise consacrée à la musique nouvelle et contemporaine. Elle est également festive car son mécène, la Fondation musicale Ernst von Siemens (Ernst von Siemens Musikstiftung ), fête cette année le cinquantième anniversaire de sa création. On a pu entendre des oeuvres de Iannis Xenakis, Márton Illés et György Kurtág, ainsi que la Scène de chant de Karl Amadeus Hartmann, le fondateur de musica viva, avec en soliste le baryton Christian Gerhaher. Le même concert vient d'être joué à Berlin les jours précédents, ce qui est tout à l'avantage du public munichois qui a pu bénéficier des qualités d'un orchestre bien entraîné.
La soirée a commencé avec les Jonchaies, oeuvre que Iannis Xenakis avait composée pour grand orchestre de 109 instrumentistes en 1977 et qui est déjà devenue un classique de la musique contemporaine. Elle rappelle, avec son utilisation nerveuse et hallucinée des cordes, le glissando qui s'amenuise suivi d'un martèlement, la musique du film Psychose d'Alfred Hitchcock composée par Bernard Herrmann pour la scène du meurtre sous la douche. L'évolution sonore des cordes est sidérante, infernale même, et exige pour être réussie une minutie pointilleuse et visionnaire de la part du chef et une excellence d'exécution de la part des instrumentistes.
Vient ensuite Lég-szín-tér du compositeur hongrois Márton Illés, qui vient d'être créée il y a quelques jours à Berlin, une oeuvre de commande financée par la Fondation musicale Ernst von Siemens. Le titre évoque un espace aérien, une scène aérienne. Le compositeur, présent dans la salle et que Kirill Petrenko invitera à venir recevoir sa part d'applaudissements, a composé sa scène musicale pour le Berliner Philharmoniker dont il connaît les exceptionnelles qualités. La complexité de l'oeuvre, ses perspectives spatiales, constituent un défi que ne peut relever qu'un orchestre de virtuoses. On peut établir des parallélismes avec la composition de Xenakis. Les deux oeuvres sont extrêmement physiques, elles s'emparent toutes deux du public pour l'entraîner, sinon pour l'enfermer sans échappatoire possible, dans le huis-clos de leur univers sonore particulier.
Après l'entracte, le baryton Christian Gerhaher, seul soliste de la soirée, rejoint les musiciens de l'Orchestre Philharmonique, pour la Gesangs-Szene, la Scène chantée que Karl Amadeus Hartmann (1905-1963) a écrite sans pouvoir la terminer, entre 1961 et 1963, sur des textes extraits de la pièce de théâtre Sodome et Gomorrhe de Jean Giraudoux, qui connut sa première en 1943. Les relations entre hommes et femmes se trouvent au centre de la pièce Giraudoux : les deux sexes ont des attentes tellement différentes qu'ils ne peuvent se satisfaire et l'amour durable paraît irréalisable ; la vengeance divine condamne les humains qui ont été incapables de trouver un seul couple heureux vivant dans la cité. L'extrait du texte choisi par Hartmann pour être mis en musique est apocalyptique, il y est question d'un monde qui ressemble étrangement au nôtre : un monde hautement technicisé qui connaît une chute aussi soudaine qu'inattendue. Pour porter ce rôle extrêmement exigeant, il faut tout le charisme et les ressources vocales d'un Gerhaher, un grand chanteur à la présence scénique d'une conviction et d'une expressivité remarquables. Le texte est à la fois chanté et déclamé, poussé jusqu'au cri, avec des passages bouleversants dans le mezza-voce. L'intelligence de l'entente entre le soliste et le chef est patente, remarquable et remarquée.
Cette soirée à la beauté oppressante se termine avec la Stele Op.33 que György Kurtág, hongrois lui aussi, composa pour grand orchestre en 1994. À remarquer que la commande passée à l'époque pour cette oeuvre vint elle aussi du Berliner Philharmoniker. La stèle est funéraire. Les trois mouvements de cette oeuvre de 13 minutes sont joués attacca. L'oeuvre, élégiaque, est d'une complexité émotionnelle et d'un poids et d'un impact écrasants. C'est, aux dires de Kurtág lui-même, la musique " de quelqu'un qui gît blessé sur un champ de bataille. Les combats font rage tout autour de lui, mais il ne voit qu'un ciel très clair, très bleu… Son sentiment est que rien n'est aussi important que ce ciel ".
Si la soirée fut grandiose sur le plan musical avec un des meilleurs orchestres de la planète, un chef à la précision visionnaire, un incomparable chanteur à la générosité et au charisme poignants, elle fut le contraire d'un divertissement au sens pascalien du terme. Ces musiques évoquent parfois avec fracas la misère, la vanité, l'impossible communication. On n'en sort pas indemne, elles nous rappellent, si tant est qu'on l'aurait oublié, que nos sociétés hautement techniques s'effondrent et que le champ de bataille est à nos portes.
Luc-Henri ROGER
17 septembre 2023
Orchestre philharmonique de Berlin
Kirill Petrenko Chef d'orchestre
Christian Gerhaher Baryton
Iannis Xenakis
Jonchaies pour orchestre
Karl Amadeus Hartmann
Scène chantée d'après des paroles de Sodome et Gomorrhe de Jean Giraudoux
Christian Gerhaher baryton
Márton Illés
Lég-szín-tér, commande de composition de la Fondation de l'Orchestre Philharmonique de Berlin, financée par la Fondation pour la musique Ernst von Siemens
Christian Gerhaher baryton
György Kurtág
Stèle pour grand orchestre op. 33