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Mefistofele aux chorégies d’Orange

Mefistofele aux chorégies d’Orange

lundi 9 juillet 2018
Erwin Schrott – Photo Philippe Gromelle

On connait la passion de Jean-Louis Grinda pour le répertoire post-romantique et pour ce que les italiens appellent la Giovane Scuola (la Jeune Ecole), lui qui a régulièrement programmé, dans les maisons dont il a assuré la direction, ou même mis en scène, les ouvrages de Mascagni, Leoncavallo, Giordano ou encore Cilea. Figurent, on le sait, dans son panthéon lyrique personnel, La Gioconda (Ponchielli) et donc Mefistofele, deux ouvrages directement contemporains puisque le premier (auquel le livret est dû à un certain Tobia Gorrio… anagramme de Boito !) est créé à la Scala en 1876 tandis que la version révisée de l’opéra qui nous occupe est recréée – triomphalement cette fois-ci ! – à Bologne, l’année précédente. De son mandat à l’Opéra royal de Wallonie jusqu’à celui, actuel, à l’Opéra de Monte-Carlo, Jean-Louis Grinda a donc continué à défendre ce Mefistofele, régulièrement repris, avec lequel il avait toute légitimité à ouvrir ses premières Chorégies.

Donné seulement une seule fois, en 1905, devant le mur d’Auguste, il était prévisible qu’une clameur d’enthousiasme salue, au final, cet ouvrage si singulier, voulant embrasser le chef-d’œuvre de Goethe dans sa totalité (et dépassant donc ainsi la simple intrigue amoureuse et le fameux « A moi les plaisirs, les jeunes maîtresses ! » de l’opéra de Gounod…), tout à la fois oratorio, « action dramatico-philosophique » (comme qualifiée par le musicien-librettiste), se voulant « œuvre d’art totale » (influence de Wagner oblige dans l’Italie artistique fin de siècle…) mais ayant conservé, à travers ses nombreuses révisions et sans doute malgré elles, ce sens du mélodrame qui a souvent fait délirer les amateurs d’opéra à l’écoute de l’air de Margherita « L’Altra notte… ».

Le public aura, de fait, été au rendez-vous de cette ouverture en grande pompe et on aura pu constater avec plaisir que les rangs du théâtre antique étaient tout de même bien remplis, là où l’on pouvait redouter un manque de curiosité de spectateurs trop souvent habitués, ces dernières années, à n’entendre que les œuvres les plus rabâchées du répertoire…

Dans une intelligente scénographie de Rudy Sabounghi, sans décors particuliers, nonobstant des praticables mobiles – qui permettront aux quelques 140 interprètes du chœur céleste de prendre toute leur impressionnante position – et des reproductions de colonnes antiques mettant en valeur la nature des lieux, les vidéos de Julien Soulier (défilé de nuages, paysage de la Grèce antique, rayons divins…) et les lumières, signées Laurent Castaingt, tous complices habituels des spectacles de Grinda, donnent sa pleine dimension à l’esthétique « grand spectacle » qui est celle de l’ouvrage, sans oublier les costumes de Buki Shiff, qui jouent avec simplicité et sans mauvais goût des contrastes entre le blanc immaculé pour les légions célestes, les couleurs bigarrées de la fête de Pâques et la référence à l’antique lors de la nuit du Sabbat classique. Située délibérément à l’époque actuelle, compte tenu des temps de mutation que connaissent aujourd’hui les sociétés modernes, la mise en scène de Jean-Louis Grinda nous invite à une sorte de voyage initiatique et fait des personnages de Boïto des archétypes : de Méphistophélès en « esprit qui nie tout » à Faust, humaniste et mystique, en passant par Marguerite, symbole de pureté, et par Hélène, symbole de sensualité.

Pour donner sa pleine (dé)mesure à ce manifeste littéraire et musical, il fallait un chef capable de tenir l’équilibre entre fosse et plateau, dans un espace où l’art des contrastes n’est pas toujours aisé à souligner ! Le pari est amplement gagné avec Nathalie Stutzmann, certes première femme à diriger aux Chorégies – ce qui pouvait en soi constituer un évènement – mais, surtout, authentique « maestra concertatore » et directeur d’orchestre totalement engagé dans une partition dont elle révèle les moindres nuances et la densité, en sachant parfaitement doser chacun des pupitres du Philharmonique de Radio-France, jusqu’à une puissante élévation finale que l’on n’est pas prêt d’oublier !Autre triomphateur absolu de la soirée, le chœur, réunissant pour ce spectacle les formations de Monte-Carlo, Nice et Avignon, sans oublier la maitrise d’enfants de l’Académie de Musique Rainier III, tous parfaitement coordonnés par Stefano Visconti qui, une fois de plus, accomplit un travail d’orfèvre dans lequel transparait son amour évident pour ce type de répertoire.

On connaissait déjà le diable d’Erwin Schrott pour l’avoir entendu à Monte-Carlo. Le baryton-basse uruguayen est, comme toujours, une bête de scène ! Investissant totalemen t les lieux – dans lesquels il faisait ses débuts -, ce Méphistophélès est plein d’aplomb et d’humour grinçant et ne fait qu’une bouchée du monde qui l’entoure. Vocalement, s’il manque parfois des notes les plus graves (n’est pas Samuel Ramey qui veut !), Schrott sait parfaitement projeter un instrument souple et maitrisé, et privilégie l’interprétation au seul beau son. Au final, le pari est gagné et le public lui fait, à juste titre, un triomphe.On évolue sur des cimes moins élevées avec le reste de la distribution. Jean-François Borras, pour une prise de rôle, ne semble pas avoir encore totalement fait sien un rôle relativement ingrat mais rempli de difficultés vocales où il faut allier moments élégiaques et puissance dramatique. Comme on pouvait le redouter, la voix foncièrement lyrique du ténor monégasque se perd un peu dans cet espace et, malgré des moments où l’émission di grazia est mise en valeur, ce Faust ne parvient pas totalement à convaincre. C’est également le cas de Béatrice Uria-Monzon qui, compte tenu du forfait de Carmen Giannattasio, se voit confier les deux rôles de d’Elena et donc de Margherita. Si l’engagement dramatique est comme souvent bien présent, la voix, affectée d’un large vibrato, se fait sourde dans les graves, ce qui gêne en particulier la magnifique partie de Margherita, là où le public devrait déchaîner son enthousiasme !
Seconds rôles parfaitement tenus en revanche, de Marie-Ange Todorovitch, hilarante et délurée Marta à Valentine Lemercier, luxueuse vocalement dans les quelques interventions de Pantalis.

Les Chorégies commencent fort cette année… Et l’on se disait, en sortant du théâtre antique, que l’on n’avait encore, sans doute, rien vu…. Tant mieux !

Hervé Casini
5 juillet 2018

Deux représentations peuvent se suivre à bref délai et pourtant ne point se ressembler. L’un de nos confrères, qui avait assisté le 5 et le 9 juillet à ce Mefistofele nous confiait qu’il avait vu et entendu deux spectacles relativement différents. Nous étions donc au Théâtre Antique le 9 juillet pour la deuxième. Il faut dire que la première représentation avait été marquée par un incident inattendu qui aurait pu virer au drame (ce qui a été fort heureusement évité). En effet, lors du troisième tableau, une nacelle avait été aménagée pour que Mefistofele et Faust s’envolent dans les airs. Le pilotage par ordinateur a eu quelques défaillances, de telle sorte qu’à 8 mètres du sol les deux protagonistes ont été immobilisés et la nacelle en question s’est mise à se balancer au gré du vent. Des essais ayant consisté à la faire remonter ou redescendre se sont avérés infructueux avec quelques soubresauts qui ont mis en émoi les spectateurs. Après une interruption tout s’est bien terminé mais on peut penser que, bien qu’ils n’en aient rien laissé paraître, l’ensemble des artistes ont été troublés par cet incident. Rien de tel pour la représentation du 9 juillet avec un changement de mise en scène pour éviter tout nouveau problème. Toujours est-il que nous avons entendu un Jean-François Borras vraisemblablement beaucoup plus détendu avec une voix qui emplissait sans difficulté le vaste vaisseau d’Orange et une Béatrice Uria-Monzon sans doute plus à l’aise en Margherita. Pour le reste, les propos d’Hervé Casini traduisent exactement la magnificence de cette production (orchestre et chœurs sublimes).

Christian Jarniat
9 juillet 2018

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