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Marie-Nicole Lemieux – à l’occasion de Carmen aux Chorégies d’Orange

Marie-Nicole Lemieux – à l’occasion de Carmen aux Chorégies d’Orange

mardi 4 juillet 2023
Marie-Nicole Lemieux dans Carmen ©Aurélie Mazenq
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C'est au terme d’une saison bien remplie, partagée entre opéras et récitals, et qui l’aura vue fréquenter le Met de New York, le Bayerische Staatsoper de Munich, son Canada natal, mais également Paris, Bordeaux, Montpellier, Aix ou encore Toulouse, que la pétillante contralto Marie-Nicole Lemieux a bien voulu se confier. Elle a accepté de revenir sur sa vision du personnage de Carmen qu’elle interprétera à l’occasion des Chorégies d’Orange dans quelques jours. 
 
Il ne fait aucun doute que Carmen occupe une place tout à fait spéciale au sein du répertoire de la musique dramatique. Cet ouvrage est aujourd’hui l’opéra le plus joué au monde. Le rôle-titre est écrit pour une voix de contralto, ce dont l’histoire de l’opéra n’offre que très peu d’exemples même si d’illustres voix se sont attaquées à cette partition. Comment arrive-t-on à trouver sa place dans ce répertoire si connu ? 
 
Chanter Carmen est toujours un défi, car nous sommes attendus et chaque spectateur à sa version dans l’oreille ! Évidemment, il y a la préparation des notes ! Ces notes là en particulier, nous les avons tous entendus, de toutes les couleurs et de toutes les façons mais je voulais humblement essayer d’en proposer ma lecture. 
Cet opéra est à chaque fois magnifique mais j’ai été très touchée par la version de Grace Bumbry et de John Vickers, ou encore par la direction brillante de Marc Minkowski au théâtre du Châtelet, qui rendait tout son éclat à la partition. En abordant cette œuvre pour la troisième fois, j’avais envie de m’inscrire dans la continuité de Julia Migenes Johnson qui en proposait une lecture pleine de vie avec souvent un « petit rire en coin ». 
 
La nouvelle de Prosper Mérimée dépeint une héroïne mariée, sulfureuse, voleuse qui vend ses charmes. Le livret de l’opéra quant à lui nous propose une adaptation plus conforme aux attendus de l’époque en conférant au rôle-titre un caractère plus rebelle, énergique, instinctif et profondément libre. Quelle sera la Carmen de Marie Nicole Lemieux ? 
 
Je n’avais pas envie d’une Carmen sombre, inaccessible et antipathique du début à la fin ! Cela m’a toujours rendue triste car la clé de Carmen est dans ce qu’elle raconte, dans l’humour.
Carmen est une jeune femme pleine de vie et très rigolote. Quand on voit des photos ou des captations d’anciennes mises en scène comme celle de Rosa Ponselle, les interprètes ont toujours un sourire éclatant. Carmen, pour moi, est une femme qui rit, qui est solaire, qui s’assume et avec beaucoup d’humour. C’est justement ce qui plaît tant aux hommes (rires). Je voulais proposer une version moins noire de ce personnage en lui rendant son côté humain. 
 
Dans un monde qui demeure celui du triomphe, des apparences, proposer une héroïne de Bizet que l’on qualifiera avec jubilation de « ronde » est un véritable pari. Et ce, dans le plus populaire des festivals lyriques français, avec une retransmission sur France-Télévision. Cela pourrait-il déclencher une sorte d’électrochoc, rappelant, toutes proportions gardées, la Vénus noire de Grace Bumbry ?
 
En acceptant d’interpréter ce rôle dans le théâtre antique aux Chorégies, je me doutais fort que la représentation allait être télévisée, comme souvent à Orange. C’est avant tout un défi d’abnégation et d’humilité, même pour la femme la plus belle du monde, car il est toujours très difficile de se voir en HD sur un écran (rires). Les gens risquent d’être surpris de voir une femme ronde. Je l’imagine comme un « coup de gueule », un cri de ralliement pour toutes les femmes rondes et superbes qui ont des vies pleinement satisfaisantes mais qui sont souvent peu mises en lumières. C’est une « heureuse épreuve et je suis contente si cela peut servir une cause plus grande que moi ». 
 
Carmen est à l’origine un opéra-comique. On retrouve donc beaucoup de musique chantée mais aussi des phrases presque parlées, murmurées, ainsi que des dialogues. Le rôle est-il pour vous théâtral avant d’être vocal ?
 
Quand Jean Louis Grinda est venu me voir pour la première fois au Capitole de Toulouse, il m’a dit avoir apprécié ma diction et le sens que je mettais dans les paroles et dans les mots. Le livret donne à Carmen des phrases impactantes qui permettent, notamment dans le 3e et 4e acte, d’expliquer encore mieux le féminicide. Proposer une héroïne vivante, solaire permet de jouer avec les contrastes et de la rendre plus attachante alors que l’on comprend rapidement quelle va mourir. Le travail sur l’expressivité du personnage est donc essentiel ! 
 
Le personnage de Carmen porte en lui des passages sombres et néfastes, se rapprochant ainsi du personnage manipulateur de Dalila que vous avez interprété également sur la scène des Chorégies. Mais cette héroïne n’est-elle pas avant tout un personnage « pur », solaire et intègre, ayant vécu pour l’amour et prête à accepter son destin et à trouver la mort dans cette même passion ?
 
Pour moi Carmen est un personnage vivant qui rit et qui pleure, parfois avec un coté enfantin ! Quand le destin la rattrape, elle le sait bien puisqu’elle l’a vu dans les cartes, c’est son côté bohémien, elle ne se laisse pas abattre. Mon personnage compte bien profiter de chaque instant et des joies offertes par la vie. C’est en ouvrant les bras à cet avenir sombre qu’elle embrasse l’homme qui va la tuer avant de déclamer un vibrant hommage à la liberté. Dans cette mise en scène, elle avance vers la mort en riant, laissant sous-entendre à Don José qu’il ne l’aura pas !  
 
La partition de Bizet est aujourd’hui considérée comme l’opéra par excellence, réussissant à faire la synthèse entre différents univers et styles musicaux. L’opérette d’Offenbach, qui vient elle-même de l’opéra bouffe de Rossini et Donizetti dont vous êtes particulièrement familière, mais aussi la fascination de Bizet pour Wagner (un compositeur que vous aborderez de nouveau la saison prochaine), ont particulièrement marqué l’ouvrage. Chanter Carmen ne constitue-t-il pas la synthèse entre les différents répertoires que vous avez abordés au cours de votre long et riche parcours ? 
 
Quand je chante un rôle, je ne pense pas à ce que j’ai fait précédemment. J’essaie d’incarner le personnage et de l’aborder théâtralement. Ce qui me sert le plus pour chanter Bizet c’est peut être mon expérience du chant baroque, pour le sens du récitatif mais aussi pour la rythmique, qui dans l’ouvrage apporte la pulsation de la danse. Je l’aborde comme du théâtre musical.
 
Aurélie Mazenq
4 Juillet 2023
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