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Lucia di Lammermoor à l’Opéra de Nice.

Lucia di Lammermoor à l’Opéra de Nice.

vendredi 17 février 2023
Kathryn Lewek et Oreste Cosimo ©Dominique Jaussein

Depuis le début de la saison lyrique, l’Opéra de Nice a renoué avec une certaine tradition du bel canto romantique italien qui, dans les années 70 et 80, connut, dans cette maison, ses heures de gloire (1).
Ce fut tout d’abord en novembre avec une Sonnambula de Bellini qui vit le triomphe de la jeune soprano espagnole Sara Blanch laquelle fit preuve d’une élégance, d’une virtuosité et d’une sensibilité qui émurent, à juste titre, le public niçois. Elle était au demeurant fort bien entourée du ténor Edgardo Rocha et du baryton Adrian Sâmpetrean, sous la direction d’un chef spécialiste de Bellini : Guiliano Carella. Elles s’inscrivent dans les riches heures de l’Opéra de Nice comme des représentations mémorables.

On se réjouit d’autant plus du succès remporté une fois de plus, sur cette même scène, en ce mois de février par un autre joyau belcantiste : Lucia de Lammermoor en coproduction avec le Teatro Verdi de Pisa. 
Sur un livret habilement écrit par Salvatore Cammarano, Donizetti a composé pour la circonstance, parmi son impressionnante série d’opéras (plus de 70), l’un de ses immortels chefs-d’œuvres qui depuis sa création, et encore aujourd’hui, est représenté aux quatre coins de la planète.
L’argument repose sur une thématique utilisée par Shakespeare dans son célèbre Roméo et Juliette : celle de deux familles rivales qui se haïssent et dont les enfants se sont laissés entraîner dans une histoire d’amour impossible. De surcroît, Enrico Ashton le frère de Lucia – la protagoniste – est un châtelain au bord de la ruine qui force contre son gré sa sœur à épouser un homme riche, Arturo Bucklaw, alors que tous ses sentiments la porte vers l’ennemi abhorré de la famille, Edgardo de Ravenswood. Ce sont ces amours interdites qui vont constituer le nœud de l’intrigue qui entraînera les deux amants vers une mort inéluctable.

La mise en scène a été confiée à Stefano Vizioli lequel a placé l’action du roman de Walter Scott au XIXème siècle, qui correspond parfaitement à l’époque des célèbres drames romantiques, dont Alexandre Dumas, par exemple, fut en France l’un des représentants les plus éminents. Dans son interview Stefano Vizioli souligne que « le sujet de l’opéra est la tragédie d’une femme opprimée par un pouvoir masculin qui la persécute, l’étouffe et l’anéantit pour atteindre ses propres objectifs et ses propres intérêts…Lucia est prisonnière d’un monde noir, cynique et calculateur ».
C’est ainsi qu’à l’acte 2, avant que Lucia ne signe le contrat de mariage, dans une sorte de cabinet particulier séparé de la foule des invités, Enrico et Normanno font pression sur Arturo pour obtenir sa signature et l’on voit Lucia uniquement entourée par des hommes qui ne la considèrent que comme un objet pour parvenir à leurs fins. 

Il faut dire que pour cette production tous les atouts étaient réunis avec la direction musicale du maestro ukrainien Andriy Yurkevych (2) toujours soucieux d’accompagner avec soin, précision et sens des nuances une distribution de chanteurs de premier ordre ( et un chœur fort bien préparé par Giulio Magnanini).

Bien entendu, comme pour Norma, Maria Callas a marqué de son empreinte le rôle de Lucia qu’elle a, comme bien d’autres, enregistré pour l’éternité. Toutes les sopranos dramatiques d’agilité ont rêvé d’aborder ce type d’héroïne qui exige non seulement une virtuosité de haut de niveau mais également la maîtrise de notes significatives dans le medium comme dans le grave pour venir indiquer le caractère sombre et tourmenté du personnage. 
La soprano américaine Kathryn Lewek est une sorte de « recordwoman » à l’heure actuelle du rôle emblématique de la Reine de la nuit dans La Flûte enchantée de Mozart qu’elle a interprétée dans les plus grandes capitales lyriques ainsi que dans nombre de festivals. Pour autant, son répertoire ne se borne pas à cette seule interprétation et comporte notamment le rôle-titre de Maria Stuarda, de Gilda dans Rigoletto, Violetta de La Traviata, la Comtesse Adèle dans Le Comte Ory, Térésa dans Benvenuto Cellini, Juliette dans Roméo et Juliette ainsi que les trois rôles féminins des Contes d’Hoffmann… (3). 

Dans le rôle d’Edgardo, on a retrouvé avec plaisir le ténor Oreste Cosimo qui fut l’un des élèves de la célèbre cantatrice Denia Mazzola Gavazzeni, et qui, à ce titre, s’était produit en concert à l’Opéra de Nice voici un certain nombre d’années. Il y est revenu en professionnel consommé, riche d’une carrière aussi bien en Italie qu’à l’étranger. Sa prestation a été particulièrement remarquable grâce à un superbe phrasé, une aisance dans tous les registres ainsi que des qualités musicales identiques à celles de sa partenaire. L’ovation que le public a réservé à ces deux interprètes est aussi justifiée que réjouissante car ils sont à la fois des chanteurs exceptionnels, des musiciens de haut niveau mais  encore des acteurs accomplis. La scène de la folie de Lucia à l’acte III était évidemment attendue puisqu’elle constitue à la fois un moment de bravoure vocale avec des vocalises vertigineuses, des alternances pianissimi/forte, mais également une séquence théâtrale saisissante exigeant un investissement dramatique absolu et Kathryn Lewek a fait passer un véritable frisson au sein de l’auditoire qui l’a acclamé longuement lorsque le rideau est tombé sur cette scène particulièrement émouvante.
Quant à Oreste Cosimo outre les duos parfaitement en place avec sa partenaire avec laquelle il partage les qualités interprétatives et vocales dont nous avons fait mention, son art culmine à la fin du 3e acte, dans son air « Tombe degl’avi miei » ou il recueille pour sa part des applaudissements nourris.

A ces deux interprètes il faut également associer le baryton Vladimir Stoyanov arrivé quelques heures seulement avant la représentation pour remplacer un de ses collègues souffrant, en l’occurrence Mario Cassi. Certes, il connaissait déjà le rôle d’Enrico mais il convient de saluer cette sorte d’exploit – même s’il se produit fréquemment – ne serait-ce que pour s’intégrer rapidement à la mise en scène. Au demeurant, le duo du 1er tableau du 3ème acte où Enrico vient défier Edgardo fut l’un de grands moments de la représentation par la qualité des voix des deux protagonistes unies dans une ardente osmose. Philippe Kahn dans le rôle de Raimondo fait valoir une voix de basse ample au grave sonore. La distribution est fort bien complétée par Karine Ohanyan (Alisa), Grégoire Mour (Normanno) et Maurizio Pace (Arturo). 

A noter que cette version de Lucia di Lammermoor est une intégrale absolue avec des reprises notamment aux finals de certains airs et le rétablissement de certaines parties de cabalettes souvent coupées (4).

Christian Jarniat
Le 17 février 2023

(1) On vit notamment à l’affiche : Norma, I Puritani, Anna Bolena, Parisina d’Este, Caterina Cornaro, Maria Stuarda, La Favorita, La Sonnambula, Lucia di Lammermoor, Otello (de Rossini) Guillaume Tell, Semiramide, La Donna del lago….avec des stars de l’art lyrique telles que Montserrat Caballé, Giacomo Aragall, Viorica Cortez, Katia Ricciarelli, Cristina Deutekom, June Anderson, Rockwell Blake, Chris Meritt, Lella Cuberli, José Van Dam…

(2) Andriy Yurkevych (nommé récemment directeur musical de l’Opéra d’Etat de Prague) était déjà venu à Nice en décembre 2011 pour diriger une version de concert dE Norma de Bellini avec Edita Gruberova et Sophie Koch.

(3) Dans Les Contes d’Hoffmann au Deutsch Oper de Berlin Kathryn Lewek partageait l’affiche avec le ténor Oreste Cosimo qui est précisément son partenaire dans cette représentation niçoise de l’œuvre de Donizetti

(4) Il faut à cet égard souligner que jusqu’aux années 50 et 60, et particulièrement dans ce répertoire belcantiste, des coupures étaient souvent pratiquées. Par exemple, et entre autres, dans Lucia di Lammermoor dans l’acte 2 le duo entre Lucia et Raimondo et tout le premier tableau de l’acte 3, qui comporte le long duo baryton-ténor. 
D’éminents musicologues se sont attachés dans des versions dites « critiques », à rétablir, à partir de partitions originales, des passages coupés par « tradition », voire à rechercher sur certains manuscrits les passages supprimés. La plupart du temps aujourd’hui, ce sont ces éditions critiques (complètes) que l’on utilise pour les représentations

 

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