Philippe Caubère est né à Marseille. Il habite à La Fare-les-Oliviers une commune située entre Berre-l’Etang et Lançon (Rien d’étonnant pour un amoureux éperdu de ce terroir !). En 1990, il a incarné Joseph Pagnol (le père de Marcel) dans le dyptique, La Gloire de mon père et Le Château de ma mère réalisé par Yves Robert. En 2009-2010, il a interprété aux côtés de Michel Galabru Jules et Marcel d’après la correspondance entre Raimu et Marcel Pagnol, ainsi que La Femme du boulanger de Marcel Pagnol (2010). Ce comédien et metteur en scène (qui a débuté au Théâtre du Soleil sous la direction d’Ariane Mnouchkine), passionné de la Provence s’est plongé, comme on l’imagine, avec délectation dans les textes d’Alphonse Daudet et de Frédéric Mistral.
Lors d’un échange avec le public en bord de scène, il a fort justement rappelé qu’Alphonse Daudet est demeuré ancré dans la mémoire collective des français et que si ses récits paraissent être familiers de tous, il n’en demeure pas moins que peu les connaissent parfaitement et dans leur exhaustivité. Philippe Caubère voulait donc « re-transmettre » au public ces textes au vocabulaire d’une infinie richesse et d’une luxuriance inouïes mais en précisant qu’il ne souhaitait pas en faire une simple « lecture ». Il voulait les apprendre par cœur et les jouer.
Ces Lettres de mon moulin sont constituées de deux spectacles dont chaque volet est d’environ une heure trente. Le plateau est entièrement nu, sauf au fond et à jardin où est installé un « porte-manteaux perroquet ». Philippe Caubère incarne Alphonse Daudet et apparaît avec jaquette noire, gilet orné sur chemise blanche, cache-col rouge et couvre-chef. En prélude : la lecture de l’acte notarié d’achat du moulin de Fontvieille où la légende veut, que Daudet ait écrit ses fameuses « Lettres ». En réalité cet acte est demeuré à l’état de projet et l’auteur a rédigé en réalité ses nouvelles au Château de Montauban, lieu de ses villégiatures. Il suivait en cela la mode au 19ème siècle où nombre d’écrivains fournissaient à des quotidiens de presse des « feuilletons » (on pense par exemple aux Mystères de Paris d’Eugène Sue) qui permettaient de tenir, jour après jour, le lecteur en haleine et qui étaient un support de vente des journaux. Ceux de Daudet étaient Le Figaro, L’Événement, Le Bien Public…
Après ce préambule (Installation) se succèdent La Diligence de Beaucaire où les voyageurs échangent sur l’infortune d’un rémouleur cocu, puis Le Secret de Maître Cornille où un meunier continue à faire croire que son moulin tourne à plein régime dans une époque de concentration de minotiers et donne le change en transportant dans ses sacs du sable au lieu du blé. Ensuite vient l’incontournable Chèvre de Monsieur Seguin qui lutta toute la nuit avant que le loup ne la mangea au matin. Philippe Caubère donne une interprétation particulièrement hilarante des trois protagonistes, imitant à la fois la chèvre dans ses bêlements et le loup dans ses rugissements tandis qu’au loin le pauvre Monsieur Seguin s’époumone à l’appeler en vain à coups de trompe. Et puis c’est l’Arlésienne, conte tragique d’un jeune provençal de Maillane qui se suicide en apprenant que celle qu’il aime éperdument n’est pas une fille honnête. La Légende de l’homme à la cervelle d’or est la lettre qui a inspiré à Philippe Caubère ce spectacle sur Daudet. Cette nouvelle l’a impressionné : il s’agit d’un homme qui naît avec une cervelle en or et qui, au fur et à mesure que sa vie s’écoule, la disperse en petits morceaux dans une multiplicité de circonstances dont plusieurs pour satisfaire aux caprices de la jeune femme dont il s’est entiché et ce jusqu’à ce qu’il en meure. Philippe Caubère fait remarquer que dans ces nouvelles, il a alterné situations comiques et situations dramatiques comme on varie les plats lorsqu’il s’agit d’un bon dîner. Le Curé de Cucugnan est tout entier consacré au sermon d’un prêtre à l’adresse de ses paroissiens mécréants, le prélat leur relatant le rêve aux termes duquel ses ouailles se trouvaient toutes en enfer faute de leur manque d’assiduité aux messes dominicales et le premier spectacle se termine par un hommage appuyé au Poète Mistral.
Le second s’ouvre sur la vengeance ruminée pendant sept ans par La Mule du Pape, suivi des Deux Auberges qui se font face, l’une florissante aux dépens de l’autre qui périclite, car le mari de la seconde auberge a trahi la déontologie commerciale en ralliant la première et, en brisant corrélativement les liens conjugaux, a plongé dans la détresse, son épouse. Suivent deux contes où l’anticlérical Daudet se moque allègrement de la religion avec Les Trois Messes basses au cours desquelles Don Balaguère expédie cette tradition de Noël provençal sacrifiant ignominieusement le culte pour s’empresser d’aller dévorer les plats succulents du réveillon et ce sous l’emprise de son jeune clerc Garrigou dont Satan a pris l’apparence. La punition céleste est évidente : le curé mourra le soir même pour avoir fait trop bonne chère ! Quant au Révérend père Gaucher qui a retrouvé la recette d’un succulent élixir lequel renfloue en abondance les caisses vides du monastère, on lui pardonnera de s’enivrer chaque soir en chantant des couplets qui frisent la paillardise, pourvu qu’il continue à assurer les pléthoriques recettes du couvent. La soirée numéro 2, tournée davantage sur l’humour et le rire, se termine néanmoins sur une note quelque peu mélancolique avec précisément Nostalgies de caserne ponctuée de roulements d’un tambour au 31e de ligne. « Tu joues du tambour sous les pins, toi ! Moi j’y fais de la copie. Là-bas dans les casernes de Paris nous regrettions nos Alpilles…maintenant mon Paris me poursuit jusqu’ici comme le tien »
Philippe Caubère fait surgir devant le public tous ces épisodes colorés qui sont un hommage à sa chère Provence en jouant tous ces textes comme s’il s’agissait d’autant de pièces de théâtre et en incarnant avec une puissance, un humour, une conviction ainsi qu’une chaleur communicative tous ces personnages hauts en couleurs. Sa mise en scène, en permanence inventive et dynamique, est celle qui aurait pu se construire sur un plateau de cinéma. L’exploit est évidemment la mémorisation, mais l’interprète – superbe et attachant – qui écume depuis des décennies les plateaux de théâtre, fait en outre ici l’éblouissante démonstration d’une maîtrise absolue de son art.
Christian JARNIAT
22 et 23 février 2022