The Pirates of Penzance, or The Slave of Duty (Les pirates de Penzance, ou L’esclave du devoir) est un opéra comique qui fait partie des premiers grands succès du tandem Gilbert et Sullivan. Il date de 1879 et connut à l’époque 363 représentations. Le musicien Arthur Sullivan et le librettiste William Schwenck Gilbert produisirent de concert quatorze opéras comiques entre 1871 et 1896. Ils ont fortement marqué le théâtre de divertissement musical anglophone de la fin du 19ème siècle. Et The Pirates en constitue un exemple typique : une intrigue absurde et drôle, pleine d’un humour britannique acéré, avec des chansons drôles et accrocheuses. Le livret déborde de nonsense, cette forme d’humour absurde qui nous vient d’Angleterre et est aussi amusant aujourd’hui qu’à l’époque ! L’opéra regorge de pirates sentimentaux, de policiers gaffeurs, d’aventures absurdes et de paradoxes improbables.
Pour sa nouvelle production, le Theater-am-Gärtnerplatz de Munich a choisi de présenter cet opéra dans une nouvelle traduction allemande réalisée par Inge Greiffenhagen et Bettina von Leoprechting. Le texte a ensuite été complété et aménagé par Michael Alexander Rinz.
Suite à un malentendu trop stupide, le jeune Frédéric a fait son apprentissage chez les pirates au lieu de le faire « dans le privé ». Alors qu’il n’était encore qu’un jeune enfant, Ruth, sa bonne, qui devait l’inscrire dans une école privée, l’a inscrit à l’école des pirates. Le jeu de mots anglais porte sur la confusion entre deux mots anglais : “private” et “pirate”. Il est devenu adulte, il a 21 ans et son apprentissage est terminé. Il devrait normalement libéré de sa scolarité le jour de son 21e anniversaire, mais il y a un hic. Né le 29 février, Frederic découvre qu’il est techniquement encore jeune, il a le corps d’un jeune adulte mais l’âge d’un enfant de quatre ans bissextiles et quelques mois.
Cette jeunesse ne l’empêche pas de découvrir la gent féminine, qu’il rencontre en la personne de Mabel, la fille du général major, un homme qui a malheureusement pour objectif d’éliminer une fois pour toutes tous les pirates. C’est ainsi que Frédéric se retrouve soudain pris entre deux feux, entre deux conceptions du devoir, un thème que l’opéra s’attache à développer et à démonter. Après moultes péripéties l’amour finit par triompher de toutes les contradictions.
La nouvelle production munichoise se devait d’être confiée à un britannique et il était tout trouvé pour avoir maintes fois travaillé dans la maison. Le danseur et chorégraphe londonien Adam Cooper est bien connu et très apprécié du public munichois pour ses chorégraphies et ses mises en scène. On l’a vu à l’œuvre dans Gefährliche Liebschaften (Les liaisons dangereuses), Die lustige Witwe, Drei Männer im Schnee, Candide et The Rakeʼs Progress.
Adam Cooper réussit une mise en scène captivante et absolument divertissante, un spectacle bariolé étonnant, amusant, hilarant, marrant et totalement désopilant. En ouverture, il nous fait découvrir le petit monde du port de Penzance au travers d’un gigantesque hublot de navire qui occupe toute l’avant-scène, et dans lequel vient s’inscrire l’univers bigarré des personnages de l’opéra. Les décors accrocheurs des scénographes Karl Fehringer et Judith Leikauf nous conduisent dans le monde enchanté d’un port côtier des Cornouailles. Un vaisseau pirate grandeur nature occupe la scène, des vaisseaux miniatures sillonnent l’avant-scène, une énorme lune illumine le ciel avant d’avoir les yeux bandés, le général major plastronne sur un cheval de parade, au loin une grande demeure occupe un promontoire, des arcades gothiques et des croix de pierre figurent un cimetière et une ancienne église.
Les costumes de Birte Wallbaum reconstituent une Angleterre victorienne de conte de fées. Le général major porte un uniforme tout doré, les jeunes femmes sont vêtues d’élégantes robes à tournures bleues et blanches avec de nombreux volants, elles protègent leurs teints laiteux de leurs ombrelles, les policiers portent des uniformes bleus, des matraques et le casque typique des Bobbies britanniques, leur sergent est en redingote bleue de service, les costumes des pirates accumulent les poncifs : motifs têtes de morts, ancres, calots bandana.
Le chef des pirates rappelle le Jack Sparrow de Johnny Depp dans la production Disney. Une mention particulière doit être accordée aux extraordinaires coiffures qui sont autant de créations hallucinées : les coiffures du général major, celle de Ruth, la coiffure rose de Samuel, les cheveux auburn du roi des pirates et les chevelures rousses et blondes des jeunes femmes. On est dans un monde proche du dessin animé, les effets visuels et les rebondissements constants de l’action sont aussi entraînants que la musique. Et l’humour est toujours de la partie, un humour parfois renversant au propre comme au figuré. Ainsi de l’apparition de la Reine Victoria (une figuration de Corinna Klimek) sur son trône, entourée de ses chiens favoris (en peluche) et dont le trône chancelant tombe à la renverse.
La troupe du théâtre est ici pleinement dans son élément. Matteo Ivan Rašić joue à merveille le rôle de Frédéric, un jeune homme romantique victime d’une folle destinée qui découvre les délices de l’amour. Rašić est parfaitement ingénu et attendrissant.
La belle Mabel est interprétée par la virevoltante Julia Sturzbaum qui se lance avec ferveur et talent dans des trilles parfois caricaturées. Sigrid Hauser réussit une superbe composition de la vieille Ruth, qui après avoir confondu l’école des pirates et la private school, s’est reconvertie en femme pirate.
Alexandre Franzen est parfaitement hilarant en général major. Le roi des pirates est confié au bouillonnant athlète baryton Daniel Gutmann, dont la mise en scène exploite les talents d’acrobate : brillant voltigeur, il traverse la scène accroché à un filin d’abordage, exécute sauts et culbutes et charme tout autant par la beauté de son chant que par son éclatante présence scénique. L’orchestre placé sous la direction d’Andreas Partilla rend merveilleusement bien la grâce, la fluidité et la légèreté de la mélodie et ses rythmes joyeux, tout en soutien du chant.
Un spectacle étonnant et entièrement divertissant dont on sort en fredonnant des airs qui furent des tubes à l’époque, comme la chanson du général Stanley ou l’air de la brigade des policiers. La production connaît un succès retentissant pleinement mérité.
Luc-Henri ROGER
Distribution du 03.12.2024
Direction musicale Andreas Partilla
Mise en scène et chorégraphie Adam Cooper
Décors Karl Fehringer, Judith Leikauf
Costumes Birte Wallbaum
Lumière Michael Heidinger
Dramaturgie Michael Alexander Rinz
Frédéric Matteo Ivan Rašić
Mabel Julia Sturzlbaum
Major général Alexander Franzen
Roi des pirates Daniel Gutmann
Ruth Sigrid Hauser
Samuel Peter Neustifter
Sergent de police Holger Ohlmann
Edith Mina Yu
Kate Anna Overbeck
Isabel Laura Schneiderhan
Trois pirates (avec une envie de bouger particulièrement forte) Morris Jeyachandran, Jaro Neuschwander, Matt Emig
La reine Corinna Klimek
Petit Frédéric David Henning
Chœur et figuration du Staatstheater am Gärtnerplatz
Orchestre du Staatstheater am Gärtnerplatz
Crédit photographique @ Anna Schnauss