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Les Pêcheurs de perles au Théâtre du Capitole

Les Pêcheurs de perles au Théâtre du Capitole

dimanche 1 octobre 2023
© Mirco Magliocca
Rattachés au nom de Georges Bizet, de Carmen et à des pages médiatisées (notamment le célèbre duo Nadir et Zurga donné à Toulouse dans la version non révisée avec le motif final repris de la déesse), Les Pêcheurs de perles sont devenus un ouvrage populaire, plébiscité par le public. L’annonce d’une version à laquelle prêtait son concours le ballet de l’Opéra national du Capitole a sans doute joué dans cet engouement au point qu’une représentation supplémentaire a dû être ajoutée aux six programmées.

Le contexte historico-musical

Il est intéressant de voir comment Les Pêcheurs de perles ont été imaginés à leur création et comment ils nous sont parvenus. En 1863 lorsque Léon Carvalho, directeur du Théâtre Lyrique, propose à Georges Bizet (1838-1875) récent Prix de Rome d’écrire un ouvrage lyrique pour la scène, le jeune compositeur de 24 ans n’a donné que Le Docteur Miracle (1857) au concours organisé par Offenbach ; Don Procopio comme envoi du Prix ne sera monté qu’ultérieurement. Les Pêcheurs de perles sur un livret d’Eugène Cormon et Michel Carré seront rapidement composés. Le Théâtre Lyrique n’impose pas de formes fixes et l’ouvrage sera ramené au cours de son écriture de l’opéra-comique envisagé dans un premier temps avec texte parlé sans doute conséquent à un drame lyrique entièrement chanté (ce qui conduit à supprimer nombre d’informations sur l’intrigue elle-même). Avec son nombre correct sans plus de représentations Les Pêcheurs de perles installent Bizet dans la vie musicale. L’ouvrage ne sera pas rejoué du vivant du compositeur. Pour les reprises ultérieures des modifications seront apportées en 1885, puis 1893. L’ouvrage est considéré comme un « opéra-comique symphoniste » (G. de Saint-Valry) quand il entre à la salle Favart en 1956. Jusqu’en 1871 il sera une des valeurs sûres de la maison et permettra de donner des rôles à la presque totalité de l’école de chant française de l’après-guerre (sauf aux voix de mezzos bien évidemment). Citons la distribution de rêve de la première : Martha Angelici, Alain Vanzo, Jean Borthayre (Andrée Esposito sera une des dernières Leïla salle Favart). 

Dans l’île de Ceylan, Nadir et Zurga, amis d’enfance, sont tombés amoureux de la même femme, Leïla, une déesse consacrée à Brahma. Face à cette impasse amoureuse assumée, ils se sont jurés de ne plus revoir la jeune femme. La promesse a été mieux observée par Zurga que par Nadir qui un temps a poursuivi la prêtresse sans chercher à la rencontrer. Cette dernière réapparaît comme protectrice des pêcheurs de perles. Zurga est gardien du temple et de la loi. Nadir pourtant parvient à déclarer sa flamme à Leïla qu’il découvre éprise de lui depuis le premier jour. Zurga, mis au fait, d’abord conciliant tant qu’il ne voit que l’offense faite à Brahma se révèle implacable quand il réalise la trahison amoureuse. Dans la version d’origine il pardonne organisant la fuite de Nadir et de Leïla, cette dernière ayant sauvé sa vie dans le passé. Zurga reste dévasté et démuni face à son sort personnel.

Un opéra-ballet ?

Estampillés opéra-comique Les Pêcheurs de perles verront le regard porté sur eux se modifier, à partir du retour de la version d’origine en 1973 et de la prise de pouvoir des metteurs en scène, plusieurs mettant en relation l’ouvrage avec le ballet, même si l’opéra en est pratiquement dépourvu (un seul chœur dansé).
La mise en scène du chorégraphe Thomas Lebrun, très appréciée des toulousains, se fonde sur des éléments toujours chers au public en terme de spectacle. Il y a d’abord le décor construit d’Antoine Fontaine fait d’espaces étagés de cabanes de bambou inspirés d’un Ceylan fantasmé propre à fluidifier les mouvements ; des peintures d’art naïf à l’acte II en renforceront l’inscription dans l’intrigue tout comme la tente de Zurga ou le bûcher à l’acte III. Les costumes très colorés signés David Belugou ont à dire aussi avec la décoration plus qu’avec l’ethnologie, au dire du metteur lui- même qui les rapproche d’ « un côté peut-être plus music-hall ». Le Brahma confondu avec Nourabad à la stature impressionnante drapé d’étoffes rouges en est une incarnation baroque à laquelle la voix imposante de Jean-Fernand Setti donne tout son relief. Les voiles bleus de Leïla en émaneront. Les imprécations du grand prêtre seront au plus près des enjeux dramatiques (avec son rôle vengeur maintenu venu de la version non révisée au dénouement de l’opéra).
Le ballet du Théâtre national du Capitole omniprésent dans le spectacle contribue à créer cet « exotisme d’opéra » présent dans l’art lyrique de l’époque et prisé du public.
Rappelons que l’opéra a souvent eu un rapport avec le ballet. Au XVIIIe siècle avec l’opéra-ballet de Campra ou Rameau (la comédie musicale en sera une descendance), au XIXe avec ces substantielles pages symphoniques qui s’intercalent entre le chanté au troisième ou quatrième acte des opéras. Progressivement le ballet s’est éclipsé de l’art lyrique, mais il reste un des arts majeurs du spectacle, s’autonomisant dans des déclinaisons extrêmement diverses (classique, moderne, hip-hop…) Cela pour expliquer le cloisonnement des disciplines dans les maisons d’opéras qui font appel pour un épisode dansé à des intervenants extérieurs même lorsqu’elles disposent d’un ballet en propre.
Les productions sont rares à faire intervenir les forces chorégraphiques de l’Opéra (comme c’est le cas pour Les Pêcheurs de perles au Capitole à Toulouse) non pour un intermède ponctuel mais pour les intégrer à l’ensemble de la mise en scène.
Si le divertissement est indiscutable, il n’en rencontre pas moins la dramaturgie. En congruence avec l’intrigue le ballet évoque les danses rituelles à l’entrée de Leïla ; « les esprits méchants » vaticinent ; la fureur s’empare des danseurs, mais sans se départir d’une certaine élégance, voire de clins d’œil à un Bollywood finalement pas si éloigné de la problématique indienne de l’ouvrage. L’épisode rappelé où la jeune Leïla a sauvé Zurga dans sa fuite fait l’objet d’un plaisant « entourage » très opérette.
La mise en scène suggère ce qui différencie les relations entre les personnages : les synesthésies qui rapprochent depuis longtemps Leïla et Nadir, la tempête sous un crâne qui rend Zurga par deux fois versatile (dans la version non révisée utilisée à Toulouse le personnage ne survit pas à la fin de l’opéra) ; et par-delà la force des éléments : les personnages sont sous l’emprise de la nature et la proposition atteint au symbolique ; la mer et le ciel, le calme suivi de l’orage, le jour et la nuit sont prégnants sous les très beaux éclairages de Patrick Méeüs. En revanche les détails de l’intrigue ont sans doute disparu avec le passage du genre opéra-comique (avec du texte parlé) à celui de drame lyrique plus elliptique voulu par Carvalho pour le Théâtre Lyrique. On ne saura jamais si des perles ont été extraites des flots !

Les voix 

La voix d’Alexandre Duhamel dans Zurga répond aux exigences du rôle. Doté d’un matériau solide et de qualité, il déploie une élocution mordante qu’il ne parvient pas tout à fait à traduire en une déclamation plus affirmée dans son air « L’orage s’est camé ». Dans les pages de lyrisme (son duo avec Nadir) ou dans la confrontation avec Leïla l’éloquence jointe à l’expressivité emportent l’adhésion, d’autant plus que le comédien ne manque pas d’atouts.
Anne-Charlotte Gillet dans Leïla a une voix égale et homogène sur toute la ligne des différents registres qu’elle est amenée à traverser dans l’ouvrage. Le timbre est clair et plein dans les moments de lyrisme ; la voix sait aussi manier la puissance notamment dans les numéros du 3ème acte où elle s’oppose à Zurga avant de fusionner dans le trio avec ses partenaires. Elle parvient à tirer des accents vocaux l’émotion et la couleur d’un rôle fort bien compris dans sa totalité.
On sait que Mathias Vidal vient du répertoire baroque où il s’illustre sans conteste comme un des meilleurs interprètes et un des plus remarqués. Il garde dans le rôle de Nadir une grande musicalité, des falsetti riches en harmoniques et une voix articulée. Peut-être pourrait-il ne pas s’en tenir à ce « rien que la partition » qui n’autorise pas assez la liberté d’expression, voire le maniement plus souple du haut registre. Les quelques difficultés sur les notes de passages s’oublient vite tant le comédien s’impose et convainc.
On ne reviendra pas sur Jean-Fernand Setti chez qui vocalisation et incarnation vont de pair.

La réussite du spectacle tient aussi à la direction du chef Victorien Vanoosten qui débanalise la partition dégageant ce qui est nouveau, original voire étrange et que l’histoire des représentations mettra du temps à révéler. On a préféré longtemps reprendre Carmen plutôt que cette diaprure musicale sortie du cerveau d’un jeune Prix de Rome. Les chœurs toulousains sont comme à l’accoutumée splendides ; ils contribuent à appuyer une lecture musicale des plus passionnantes.
Le public a longuement applaudi le spectacle.

Didier Roumilhac
1er octobre 2023

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