Après l’Opéra de Limoges et celui de Reims, l’Opéra de Nice affichait donc Les Pêcheurs de perles qui n’avaient plus été représentés depuis un trop grand nombre d’années dans la capitale azuréenne. Georges Bizet compte parmi les compositeurs préférés de Bernard Pisani qui, l’an passé, avec l’Orchestre Régional de Cannes, sous la direction de Benjamin Levy, avait déjà été le récitant de L’Arlésienne du même compositeur sur le texte d’Alphonse Daudet. Il confiait dans une interview au journal de l’Opéra de Nice qu’il avait dans sa mise en scène souhaité proposer un livre d’images illustrant ce conte oriental avec un côté « bollywoodien ». L’essentiel du décor d’Alexandre Heyraud est constitué d’immenses vagues sur le pourtour desquelles se trouvent des led de couleurs qui se modifient au fil de l’action. Ces vagues sont mues par des danseurs qui les font glisser de cour à jardin et cette scénographie ressemble à certaines œuvres de peintres naïfs du début du XXe siècle qui auraient voulu célébrer à leur manière l’orientalisme. Certains y ont vu aussi un clin d’œil à des bandes dessinées. Pour Bernard Pisani, les costumes jaunes et or évoquent le sable et un certain rêve de l’Orient. On connaît son amour profond pour la danse (tout récemment, il s’est illustré au festival d’Avignon comme en tournée dans Master Class Nijinski, une pièce de Faizal Zeghoudi où il incarne le fantôme du célèbre maître de la danse. Il est évident que ces Pêcheurs de perles sont de la première à la dernière note « chorégraphiés ». Il y a d’ailleurs cinq danseurs qui sont omniprésents tout au long de l’ouvrage et qui se livrent à des interventions rituelles, grimpent à de hauts mâts et constituent également la pierre angulaire de la figuration. Le chœur (excellent) lui-même est en perpétuel mouvement dans une gestique qui traduit parfaitement la tonalité des cérémonies de cette peuplade insulaire de Ceylan. Mais Bernard Pisani met aussi sa parfaite connaissance du théâtre au service des scènes ou le drame est porté à incandescence comme la confrontation pathétique de l’acte 3 entre Leila et Zurga. Le spectacle doit aussi beaucoup aux superbes costumes de Jérôme Bourdin et aux lumières envoûtantes de Nathalie Perrier fort bien réalisées par Bernard Barbero. Le tout nous plonge dans l’atmosphère envoûtante et féerique des contes orientaux où l’exotisme semble s’enivrer de parfums capiteux.
Alexandre Duhamel et Julien Dran étaient déjà présents lors des productions de Limoges et de Reims. Ils ont légitimement triomphé dans le célèbre duo du premier acte : « Oui c’est elle c’est la déesse » qui est inscrit dans la mémoire collective des amateurs d’art lyrique tout comme d’ailleurs la célèbre romance de Nadir « Je crois entendre encore… » que Julien Dran interprète avec un style admirable autant que raffiné, jouant avec insolence des mezza voce et maîtrisant à la perfection les notes aigues en voix de tête même lorsqu’il est allongé sur le sol, entraînant logiquement les ovations du public. Alexandre Duhamel recueille un succès comparable lorsqu’à son tour il interprète le grand air de l’acte 3 « L’orage s’est calmé » : la grandeur de la voix comme le phrasé incisif emporte là encore l’adhésion de la salle d’autant que l’acteur est à la hauteur du chanteur. Nouvelle venue dans cette production, Gabrielle Philiponet est une très attachante Leila. Tout y est : le physique gracile ainsi que la beauté du timbre, l’art de la colorature et l’aisance dans des aigus cristallins. Elle aussi prend légitimement part aux bravos dans son aria de l’acte 2 : « Comme autrefois ». Une mention également à Philippe Kahn dont l’allure et la voix de basse s’accordent parfaitement au personnage de Nourabad.
Au cours de ces trois représentations qui affichaient complet, ce spectacle a incontestablement fait l’unanimité : rien d’étonnant à cela car la musique de Bizet, dont l’orchestration aussi élégante que riche, est ici remarquablement mise en valeur par un Orchestre Philharmonique de Nice chatoyant sous la direction de Giuseppe Finzi. Visuellement, ces Pêcheurs de perles sont un ravissement et musicalement d’un charme infini. Ils plaident pour que soit mis plus souvent à l’affiche ce type d’ouvrage qui fit la gloire en son temps du répertoire du Théâtre de l’Opéra Comique et qui, à notre goût, est trop souvent sacrifié de nos jours.
Christian Jarniat
23 novembre 2018