C’est avec un opéra fleuve méconnu de près de 4 heures considéré comme l’archétype de l’opéra à la française que la scène lyrique marseillaise nous invite à clôturer sa saison lyrique. Les Huguenots représentés pour la dernière fois en 1967 au sein des murs en marbre de la scène phocéenne, nous convient à une plongée dans un épisode central de l’histoire de France en nous proposant une version romancée et scénarisée du massacre de la Saint Barthélemy de 1572. Meyerbeer, fort du succès international de son premier opéra Robert le Diable en 1831, entreprend la création d’un ouvrage présenté en 1836 en s’appuyant sur un livret complexe de Eugène Scribe et Emile Deschamps, lui-même basé sur un ouvrage de Prosper Mérimée, Chroniques du règne de Charles IX. L’opéra est alors construit autour de l’histoire d’amour contrariée entre Valentine la catholique et Raoul le protestant. Suite au retard important pris par Meyerbeer dans la création de sa partition, le livret sera retravaillé par Gaetano Rossi qui développera le personnage de Marcel et ajoutera des numéros vocaux pour les rôles féminins. La finesse, l’instrumentation du compositeur et la virtuosité de l’écriture vocale assureront le succès de l’ouvrage qui restera programmé plus de 1000 représentations dans la capitale à sa création et sera salué par la critique contemporaine.
La redécouverte importante d’une partition s’inscrivant entre continuité et propositions audacieuses
Giacomo Meyerbeer nous livre avec Les Huguenots une partition innovante plurielle composée sur plusieurs années mêlant à la fois mélodies romantiques, pyrotechnie vocale d’inspiration belcantiste, airs martiaux et musique religieuse. Il réussit l’alliance entre le style vocal développé par Rossini, notamment avec le magnifique septuor de l’acte 3 ou l’air de Marguerite de Valois, avec les nouvelles expérimentations orchestrales de l’époque. Le compositeur n’hésitera pas à essayer des instruments nouveaux, comme la viole d’amour pour l’air d’entrée du ténor à l’acte 1 ou encore la clarinette basse, utilisée pour la première fois dans l’orchestre et associée à la voix de basse de Marcel lors de la bénédiction de mariage de Valentine et Raoul au 5eme acte, ouvrant ainsi la voie à Wagner pour son monologue du roi Marke dans Tristan et Isolde !
Une mise en scène construite autour de l’intensité dramatique de l’ouvrage
Louis Désiré nous livre une vision minimaliste, intemporelle et percutante de ces Huguenots contrastant avec l’extrême sophistication de l’esthétique et du faste proposée habituellement dans un grand opéra à la française. Prenant le contrepied des conventions, il réussit à dépeindre les différentes atmosphères proposées à chaque acte, tantôt en cloisonnant l’espace au moyen de parois mobiles dans les tonalités grises, tantôt en utilisant des modules recouverts de pelouse synthétique, mais encore parfois en détournant l’usage des éléments de décors. Ainsi, la grande table du banquet des notables catholiques est tour à tour utilisée comme promontoire ou bien comme barricade lors de la scène de l’assaut final. Il réussit donc le pari de retranscrire successivement l’intérieur du château du comte de Nevers, les jardins de Chenonceau, les ruelles de Paris ou l’intérieur d’une chapelle. La proposition scénique du metteur en scène est construite autour de l’intensité dramatique de l’ouvrage et portée notamment par le personnage de Marcel dont le manteau rouge s’avère annonciateur du sang qui sera versé à la fin de l’opéra. Le sang est en effet présent dès les premières mesures du prélude sur les chemises maculées lors de la réunion des membres de la Ligue au château du comte de Nevers, nous entraînant ainsi dès les premières secondes au cœur du drame. Les effets de lumières et les projections de Patrick Méeüs parachèvent le tableau en créant tantôt des atmosphères sombres permettant de deviner dans l’ombre les mouvements des conjurés, ou de manifester l’horreur absolue de certaines scènes, mais également de magnifier les passages d’inspiration religieuse ou les duos d’amours en recréant une atmosphère intimiste contrastant avec l’épouvantable cauchemar qui se prépare.
Un plateau vocal d’exception
L’écriture musicale très exigeante de Giacomo Meyerbeer alliant vocalises virtuoses mais aussi longues mélodies reposant sur le souffle et l’expression des interprètes constitue un véritable défi pour les solistes. La distribution réunie par Maurice Xiberras relève le défi avec panache ! Karine Deshayes incarne une Valentine touchante, torturée entre sa passion et son honneur mais finalement prête à tous les sacrifices pour l’homme qu’elle aime. La cantatrice impressionne par l’aisance de ses aigus et une projection sans faille emportant instantanément l’adhésion du public. Elle s’inscrit ainsi, à juste titre, dans les pas de l’illustre créatrice du rôle, Cornélie Falcon. A ses côtés, le ténor italien Enea Scala est, avec un français parfait, un Raoul plein de passion et d’ardeur. Il aborde prudemment la romance « Plus blanche que la blanche hermine » de l’acte 1 avant de se libérer progressivement tout au long de la représentation. Le duo de l’acte 4 « Tu l’as dit : oui, tu m’aimes ! » constitue un des moments les plus poétiques de la soirée, celui d’une extase amoureuse (annonçant d’ores et déjà le second acte de Tristan et Isolde) sans pour autant occulter la folle angoisse des protagonistes ne sachant comment sauver leur vie. Nicolas Courjal apporte une couleur à la fois bouffe et puritaine au personnage de Marcel. Il en propose une interprétation touchante et paternelle. Le choral de Luther exécuté à la table des catholiques reparaît toujours dans plusieurs morceaux avec une harmonie et une instrumentation différente. Son incarnation du personnage constitue un élément central de la mise en scène de Louis Désiré et structure toute la dramaturgie de l’ouvrage. Ses moyens vocaux sont parfaitement en adéquation avec l’exigence et la polyvalence du rôle. La soprano colorature Florina Ilie, dotée d’un timbre d’une belle couleur soyeuse, relève le défi d’interpréter les airs légers et virtuoses composé par Giacomo Meyerbeer pour la Reine Marguerite de Valois notamment lors du « Ô beau pays de la Touraine » de l’acte 2 où elle se réjouit de l’union entre catholiques et protestants. Le page Urbain espiègle de Eléonore Pancrazi remporte la totale adhésion du public en offrant une prestation enjouée et espiègle servie par de superbes moyens vocaux qui contraste avec l’atmosphère sombre de l’ouvrage. Elle franchit sans difficultés les écueils de ses deux airs « Nobles seigneurs, salut » et « Non, non, non, vous n’avez jamais, je gage ». Le comte de Saint Bris, François Lis, emporte par son coffre et sa prestance les conjurés lors du très martial et impressionnant ensemble de la bénédiction des poignards. Il réussit à convaincre ses acolytes, Marc Barrard, Kaëlig Boché, Thomas Dear, Frederic Cornille, Carlos Natale et Jean-Marie Delpas de le suivre dans son projet sanguinaire. Le plateau vocal est porté par l’orchestre de l’Opéra de Marseille au grand complet contraignant une partie des musiciens à rejoindre les loges de l’avant-scène. La direction musicale sobre de l’espagnol José Miguel Perez-Sierra s’efface pour se mettre au service des voix afin de les soutenir sans jamais les couvrir. On peut être regretter l’absence d’une vraie identité ou proposition personnelle pour cette partition emblématique du grand opéra à la française. Enfin, il convient de saluer tout particulièrement la performance magistrale des artistes du chœur formidablement préparé par Emmanuel Trenque qui rejoint l’Opéra de Bruxelles et dont c’était l’ultime représentation marseillaise. La musique de Meyerbeer dans Les Huguenots fait de l’ensemble choral un véritable personnage. Il leur consacre plus d’1h30 de musique conférant à l’ouvrage un caractère spectaculaire notamment lors des scènes de foule, de banquets ou de bataille. Les chœurs soutiennent l’architecture dramatique tragique de l’ouvrage et poussent l’horreur à son climax lors du chœur « Dieu le veut ! Dieu l’ordonne » au 4eme acte juste après la bénédiction des poignards traduisant une frénésie sanguinaire et un infernal fanatisme que rien ne saurait arrêter. Chose que l’on ne voit pas tous les jours, le public marseillais a réservé aux saluts une longue standing ovation à l’ensemble des artisans de ce spectacle, lesquels ce sont véritablement livrés à une sorte « d’exploit sportif d’athlète de haut niveau » pendant cette chaude après-midi consacrée à l’œuvre monumentale de Meyerbeer. Le célèbre compositeur sera à nouveau à l’affiche de l’Opéra de Marseille pour l’ouverture de la saison 2023-2024 avec L’Africaine.
Aurélie Mazenq 11 juin 2023