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L’Enlèvement au Sérail à Clermont-Ferrand

L’Enlèvement au Sérail à Clermont-Ferrand

dimanche 14 janvier 2024

Serenad Burcu Uyar, Guillaume Lalou, photo Yann Cabello

Quel sens peut avoir aujourd’hui une turquerie ? Certainement pas celui qu’il avait à Vienne au dix-huitième siècle alors que la menace ottomane n’était pas un fantasme et le souvenir du second siège de la ville encore présent dans les esprits ? L’actualité et la géopolitique étant ce qu’elles sont le sujet peut aujourd’hui se révéler délicat à manipuler. Les options dramaturgiques prises par Laurent Serrano contournent assez habilement l’obstacle et déjouent les pièges inhérents au genre. Tout le fatras « à la Turque » est laissé de côté sans pour autant être remplacé par une de ces transpositions arbitraires ou délirantes que l’amateur d’opéra doit avaler régulièrement.

L’action se situe dans un vague orient vaguement années cinquante. Les costumes ont quelque chose d’oriental dans leur coupe, mais avec un soin clair d’évitement du réalisme, avec une touche d’esthétisme coloré. Tout cela laisse le spectateur assez libre de son regard. L’action est située dans l’arrière-cour d’un palais d’autant plus prestigieux qu’il n’est que suggéré par une haute arcade et un voile. La présence de deux serres vitrées et d’une cabane de jardinier ainsi que de nombreux outils de jardinage est une efficace représentation métaphorique du sérail où l’on garde les femmes comme des fleurs de serre : bien au chaud, bien entretenues mais éternellement confinées pour le plaisir du jardinier. Osmin d’ailleurs est présenté maniant les ciseaux et le couteau électrique pour tailler et modeler en boule une plante en pot.

On est toujours un peu méfiant dès lors qu’un dramaturge entreprend d’adapter les dialogues d’un opéra-comique, d’une opérette ou, comme ici, d’un singspiel. L’expérience nous apprend que c’est souvent plus pour l’alourdir ou le plier pour lui faire dire autre chose que ce qu’il dit. Heureusement Laurent Serrano, qui a cédé à cette tentation, l’a fait sans trop de dégâts. On comprend bien son parti pris d’arracher Belmonte au rôle de soupirant roucoulant et inactif et de le tirer vers la bouffonnerie mais si celle-ci consiste à exhumer des pitreries d’opérettes à la Francis Lopez (Ma ché yé souis l’architecté italiano). On tombe vite dans ce qu’on appelle « faire rire la galerie » (Ce qui peut être un choix). De même Blondine a-t-elle vraiment besoin qu’on rajoute à sa confrontation avec Osmin deux grosses louches de récriminations dans le style « c’est nous qui lavons vos chaussettes » pour être plus percutante et plus digne dans sa révolte contre la mainmise masculine sur la vie des femmes ?

Enlevement Caroline Jesdeadt Mathieu Gourlet Photo Yann Cabello 1
Caroline Jesdeadt, Mathieu Gourlet Photo Yann Cabello

C’est avec un certain bonheur que sont bousculées certaines traditions quant aux personnages masculins. On a vu ce qu’il en était de Belmonte. Osmin et Sélim sont traités de façon intéressante et assez féconde. Le premier n’a rien à voir avec l’Ogre grotesque habituel . Disons tout de suite que loin d’être le supposé castrat qu’on sait il est très entier. Le physique élancé et puissant de Mathieu Gourlet, sa longue chevelure, son jeu, sont ceux du parfait homme de main, un peu déjanté, assez terrifiant, à la méchanceté duquel il est possible de croire. Sa faiblesse devant Blondine n’en est que plus réjouissante. Un des très beaux moments est justement celui où elle étend sur le fil à linge une lingerie intime devant laquelle pour un peu on le verrait rougir. L’amorce de pas de danse que cette petite personne impose à ce grand costaud vaut tout les discours sur qui mène la danse. Pour ce qui est de Sélim, c’est une vraie surprise mais justifiée par le texte du livret où il précisé que Sélim est un renégat. Le terme est saisi et explicité par l’adaptateur : un renégat, -il y en eut un certain nombre-, était un chrétien converti, au service de la Sublime Porte. Ainsi voit-on paraître un Sélim à l’allure d’Omar Sharif vêtu en gentlemen Anglais : pantalon blanc, blazer et cravate à rayures. La chose surprend mais confère au personnage plus de profondeur que n’en a le bon Turc traditionnel. Cela lui donne un passé lourd de sens et l’intrusion de Belmonte, fils d’un homme qu’il a bien connu et l’a trahi, devient ainsi resurgissement d’un passé sentimental douloureux, source d’un exil et d’une solitude loin de la patrie.

Pour ce qui est des personnages féminins, elles demeurent dans la tradition : Constance porte bien son nom, elle est bien plus que fidèle (le grand souci des hommes ici) elle est constante, quant à Blondine (Blöndchen) elle est telle qu’on l’attend : mutine et rusée, ne se laissant pas marcher sur les pieds.

La mécanique fonctionne plutôt bien dans cette configuration même si quelques bonnes idées se révèlent peu convaincantes à la réalisation, comme le moment où, en miroir du pas de danse de Blondine et Osmin, Constance est forcée (en vain) par Osmin d’en faire autant avec le pacha.

Une surprise de taille attend le spectateur au finale, ou plutôt après le finale. C’est comme si une fois l’histoire achevée quelque joyeux plaisantin disait « On aurait pu imaginer que… » et de s’abandonner allègrement à sa fantaisie en se glissant dans un univers parallèle (comme il y en a paraît-il) où les chose prennent un autre pli. Et voilà tout notre petit monde demeuré sur place : Constance et Belmonte pouponnant, Blondine enceinte (d’Osmin qui pouponne déjà) jusqu’aux yeux accouchant de triplés tandis que le Pacha s’occupe de ses fleurs et Pedrillo fait la tête. On devrait en être irrité et pourtant cela fonctionne. C’est tout sauf une pauvre relecture poussive comme on en voit tant, c’est de la fantaisie culottée, un peu potache peut-être, mais réjouissante.

Enlevement Yan Bua Matthieu Justine photo Yann Cabello 1
Yan Bua, Matthieu Justine, photo Yann Cabello

Pour ce qui est de l’interprétation, Serenad Burcu Uyar (Constance) possède des moyens très conséquents en matière de volume, cela en fait un personnage nettement plus intensément dramatique que nostalgique ou élégiaque. La voix est bien timbrée et homogène, elle se déploie généreusement mais use assez peu de nuances. Son air d’entrée « Ach ich liebte » prend ainsi curieusement des allures inattendues d’air de furie. Elle arrache quelque « bravo » aux amateurs de décibels. Il faut attendre les dernières scènes pour entendre de beaux piani qui ne soient pas épisodiques. La maîtrise des vocalises est bluffante. Caroline Jestaed (Blöndchen) est exactement ce qu’on attend du personnage, la voix est claire et franche, bien articulée, donnant une belle impression de facilité et d’aisance fruits d’une technique sûre qui fait très bel effet dans les ensembles. Mathieu Gourlet (Osmin) manque un peu de puissance dans les monstrueuses notes hyper-graves de la partition qui, il faut le reconnaître, ne sont praticables que par des voix hors du commun. Sur le reste de la tessiture la voix est riche d’un timbre viril, ni trop clair, ni surtout trop sombre, elle convient parfaitement au personnage tel que conçu par le dramaturge : homme en pleine possession de ses moyens, plus bravache et potentiellement violent que lourdaud.

Matthieu Justine (Belmonte) ne semble pas tout à fait dans son élément avec Mozart. L’option dramaturgique qui tient à éviter tout caractère élégiaque au personnage ne l’aide pas à trouver ses marques, les vocalises sont un peu laborieuses et l’ensemble, qui ne démérite tout de même pas, demande à être affiné, ce qui se fera sans doute au fil des représentations. Yan Bua (Pedrillo) possède une voix au grain assez naturel, sans cet écart souvent gênant entre voix parlée et voix chantée, il affronte avec vaillance une partition pas forcément facile.

Le Sélim de Guillaume Lalou, a toute la raideur d’un renégat so britisch, raideur mais non rigidité. Il donne le sentiment d’une résignation escomptée et ses menaces quand elles éclatent le font avec plus de volontarisme que de conviction. Tout cela est joué assez finement.

La minceur des moyens de nombre de scènes de province fait que les janissaires sont restés ailleurs. On s’en passe, puisqu’il faut s’en passer et ce n’est pas forcément une grosse perte.

La bonne et délectable surprise de cet Enlèvement c’est l’orchestre de l’Opéra Reims et son chef Adrien Ramon. La chose est techniquement impossible à décortiquer, mais au-delà justement de la maîtrise technique qui a ses inévitables petits aléas, ce qu’on peut très subjectivement appeler l’âme d’une musique est là. C’est lumineux, spirituel, palpitant. Le plateau est littéralement porté par le souffle poétique de la fosse.

Aux dernières nouvelles Sélim et Pédrillo n’ont pas encore fait leur coming out.

Gérard Loubinoux

14 janvier 2024

Direction musicale Adrien Ramon

Mise en scène Laurent Serrano

Costumes Anne Bothuon

Lumières Didier Brun

Scénographie Amélie Kiritzé-Topor

Collaboration artistique Elisabeth De Ereño

Cheffe de chant Claire Marin-Decarsin

Traduction, rédaction et régie des surtitres David M. Dufort

Constance Serenad Burcu Uyar -à Clermont-Ferrand et Neuilly/Seine, Erminie Blondel pour les autres dates

Blonde Caroline Jestaed

Belmonte Matthieu Justine

Pedrillo Yan Bua

Osmin Mathieu Gourlet

Pacha Selim Guillaume Laloux

Orchestre de l’Opéra de Reims

Production Clermont Auvergne Opéra

En coproduction avec l‘Opéra de Reims

En tournée : Opéra de Reims, 26 et 28 janvier / Théâtre de Poissy, 30 janvier / Théâtre Municipal Abbeville 1er février / Théâtre des Sablons Neuilly-sur-Seine 8 février / Le Beffroi Montrouge 11 février / Théâtre Montansier Versailles 2 et 3 mars / Théâtre Jean Vilar Saint-Quentin 15 mars.

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