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Le Pays du sourire à l’Opéra Grand Avignon

Le Pays du sourire à l’Opéra Grand Avignon

dimanche 11 mars 2018
Amélie Robins et Sébastien Droy – photos ACM Studio Délestrade

A marquer d’une pierre blanche ce ” Pays du sourire ” proposé par l’Opéra Grand Avignon et qui avait été au préalable représenté à l’Opéra de Tours en décembre 2017. Parmi toutes les nombreuses productions que nous avons eu l’occasion de voir en France voici, en tous cas pour ce qui nous concerne, de très loin la meilleure au regard de l’intelligence de la mise en scène, du respect de l’esprit du livret et de la partition comme de la restitution scrupuleuse de cet indicible climat propre à l’œuvre de Lehár dont à peu près seuls les autrichiens et les hongrois ont su préserver la perfection de l’exécution.

Un livret français d’opérette viennoise enfin débarrassé de ses fausses traditions, de son bavardage sans intérêt, de ses jeux de mots invraisemblables et d’un autre âge (lorsque par exemple Lichtenfels prévient sa fille que « le blanc et le jaune ne se marient pas » ( sic !!! ). Exit également les insupportables pitreries d’un eunuque inventé de toutes pièces par nos librettistes dont on peut se demander quelle mouche les piquait de vouloir, à tout prix, transformer le texte original en « pochade de boulevard » ! Faut-il nécessairement faire rire sous le fallacieux prétexte qu’il s’agit d’une opérette ? (Lehár lui même considérait les siennes comme des opéras !) Ici sûrement encore moins qu’ailleurs ! Ainsi, nettoyé de toutes ses scories comme un tableau de maître successivement recouvert de couches sacrilèges et qu’on aurait, par un salutaire décapage, minutieusement restauré, ce « Pays du sourire » retrouve toute sa force dramatique et peut s’attacher à l’essentiel : l’attirance de deux êtres dont la passion dévorante occulte un temps tout ce qui les sépare l’un de l’autre : la race, la culture, le rang, les coutumes, les obligations liés au pouvoir jusqu’à ce que l’incompréhension les conduise à ne pouvoir assumer cet amour profond dans sa plénitude du fait de l’emprisonnement de chacun dans ses propres conventions. La douleur qui s’ensuit ne trouve dés lors d’issue que dans l’irrémédiable. Tout cela Pierre-Emmanuel Rousseau (dont la collaboration avec des maîtres tels que Jean-Claude Auvray, Stéphane Braunschweig, ou Jérome Deschamps en disent long sur l’éclectisme de sa formation) l’a traduit avec autant d’intelligence que de sensibilité, rendant au théâtre (et donc à l’opérette) sa dignité par une direction d’acteurs acérée et émouvante ou la sensualité, l’érotisme et la violence sont fort justement parties prenantes. Sa mise en scène fourmillant au surplus d’une multitude de détails toujours justes est empreinte d’un rare pouvoir de fascination. Preuve que tout, en respectant l’œuvre, on peut, sous réserve d’en avoir le talent, porter sur elle un regard d’aujourd’hui lorsqu’en homme de culture on a comme références des cinéastes tels que Bertolucci ou Zhang Yimou. De surcroît concepteur de décors particulièrement fonctionnels et de magnifiques costumes, voilà un metteur en scène cultivé qui connaît, en outre, sur les bouts des doigts, l’œuvre du compositeur et avec lequel on peut, à loisir, débattre des mérites comparés d’ »Amour Tzigane, » « du Tzarevitch » ou encore de « Giuditta » ce qui, de nos jours, n’est pas monnaie courante !

D’un point de vue musical c’est, comme déjà signalé dans l’article susvisé, la rare version (en France) intégrale qui est exécutée avec la cérémonie du mariage des quatre épouses et les cinq mouvements du ballet de la jaquette jaune. L’Orchestre Régional Avignon-Provence, en grande formation, galvanisé par la direction élégante et puissante de Benjamin Pionnier, démontre qu’il est une formation d’excellence sachant rendre justice à une partition aussi copieuse que luxuriante où les influences de Puccini et Richard Strauss sont évidentes. Elodie Vella propose une chorégraphie aussi fluide que finement ciselée. Chœur et ballet sont au niveau de qualité d’un spectacle qui offre de surcroît une brochette de remarquables chanteurs-comédiens lesquels s’illustrent tous avec bonheur dans le répertoire d’opéra. On ne présente plus Sébastien Droy, l’un de nos meilleurs ténors, pas plus qu’Amélie Robins qui, quasiment chaque semaine, est affichée aux quatre coins de l’hexagone dans un opéra ou une opérette. Ils forment un couple électrisant en Sou-Chong et Lisa. La tradition française a inventé la notion de « fantaisiste» inconnue des pays germaniques et slaves. Aussi c’est avec juste raison que sont confiés à un baryton (Marc Scoffoni) et à une soprano (Norma Nahoun) – dont les répertoires s’étendent de Mozart à Puccini en passant par Verdi et Bizet – les rôles de Gustave et de Mi qu’ils interprètent avec autant d’émotion que de sobriété tout en donnant une épaisseur dramatique inhabituelle à leurs personnages. Le professionnalisme de Francis Dudziak en fait un Tchang de luxe.
Christian Jarniat
11 mars 2018

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