En novembre 2023, l’Opéra national du Rhin reprend Lakmé dans la mise en scène de Laurent Pelly, une coproduction avec l’Opéra Comique et l’Opéra de Nice.
L’action se déroule dans une Inde imaginaire, que ni Pierre Loti, auteur du roman dont l’opéra est tiré, ni Léo Delibes son compositeur, n’ont visité. Cependant l’orange des voilures en fond de scène, au deuxième acte, rappelle effectivement le chromatisme épicé indien, surtout pendant la « Légende de la fille du paria » chantée par l’héroïne. Le reste du temps les ombres chinoises font plutôt songer à la Thaïlande.
Laurent Pelly a conçu également les costumes. Les indiens sont ici peints en blanc et le maquillage du visage de certains, comme celui de Nilakantha, évoque les acteurs du théâtre kabuki. Leurs vêtements pourraient aussi bien être pakistanais qu’indiens. De même lorsque Lakmé n’est pas emprisonnée dans une cage en bambou ou sur un chariot de bois blanc, symbole des lois oppressives lui interdisant l’amour, son habit de cérémonie avec ses larges manches, ses plis soignés et son imposant volume tient davantage du kimono et sa tiare d’un diadème chinois. Ces amalgames donnent au pays imaginaire dans lequel se joue le drame, tout son onirisme.
Les anglais cintrés dans des costumes noirs ou gris, sans maquillage outrancier, ancrent le drame dans le réel. La confrontation entre rêve et réalisme est donc ainsi posée.
La scénographie et l’éclairage transforment l’œuvre en tableaux à couper le souffle, comme au premier acte où les murs de papier fins teintés de couleurs ambre clair laissent imaginer la jungle environnante, ou encore au troisième acte ce fond bleu nuit sur lequel une lune cerclée de noir descend.
Cependant la mise en scène ne fait qu’évoquer le fanatisme religieux – sans insister vraiment – appuyé par un chœur dont le chant remarquablement dirigé l’esquisse. La mise en scène se contente de ridiculiser le colonialisme par le comportement de touristes des jeunes anglaises. Ces motifs sont enchâssés mais pas fondus dans l’opéra.
Lakmé est incarnée par Sabine Devieilhe qui suit, dans ce rôle, la voie tracée par Natalie Dessay. Et il faut bien dire, qu’elle le fait avec brio. Cela est devenu si naturel, après plus de dix ans de fréquentation de cet emploi, que son jeu sans contrainte et son chant d’une colorature claire, quasi évanescente, habitent admirablement le personnage. Elle est véritablement la jeune hindoue divinisée. Ingrid Perruche en Mistress Bentson, Lauranne Oliva en Miss Ellen, Elsa Roux Chamoux en Miss Rose et surtout Ambroisine Bré en Malika, avec laquelle Lakmé interprète un superbe duo des fleurs, suivent aussi cette épure à la française du chant qui, avec l’orchestre sous la direction de Guillaume Tourniaire – même si sa direction manque parfois de fluidité – et le ballet, constituent la meilleure partie du spectacle.
Il n’en est pas de même pour Julien Behr, malgré sa caractérisation cohérente de Gerald, car sa voix ne se défait jamais entièrement d’un aspect assourdi et peine avec le style qui devient parfois proche de l’oralité. Nicolas Courjal, en fanatique religieux hindou, ne parvient pas à maîtriser un certain vibrato. Raphaël Brémard (Hadji) en revanche traduit l’affection paternelle du serviteur de façon très touchante, modulant la voix et le regard tandis qu’il s’adresse à sa maîtresse.
Entre Carmen et Pelléas et Mélisande, Lakmé s’inscrit dans les traces du lyrisme de Gounod ou de Massenet nonobstant les échos wagnériens de ce dernier. Les amateurs du genre seront ravis de cette production, les autres emporteront dans la nuit et dans leurs cœurs la délicatesse rêvée de Sabine Devieilhe.
Andreas Rey
12 novembre 2023
Prochaines représentations à Mulhouse les 26 et 28 novembre : https://www.operanationaldurhin.eu/fr/spectacles/saison-2023-2024/opera/lakme
