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Il Trovatore à l’Opéra de Saint-Étienne

Il Trovatore à l’Opéra de Saint-Étienne

dimanche 19 novembre 2023

© Cyrille Cauvet-Opéra de Saint-Étienne

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Il Trovatore (Le Trouvère) traîne encore derrière lui, sottement entretenue par des lectures superficielles, la réputation d’une œuvre au livret emberlificoté et surtout invraisemblable. Comme si la vraisemblance était un critère d’appréciation dans l’absolu et plus particulièrement encore dans le domaine de l’opéra ! C’est au contraire un ouvrage complexe qui brasse des thématiques aussi universelles et archaïques par exemple que l’opposition entre sédentaires et errants, qui revivifie les anciens et universels mythes des enfants échangés, des frères meurtriers l’un de l’autre, de la magie du chant, qui interroge très profondément le temps et la nuit. Manrico brandisseur de glaive et joueur de luth, n’est-il pas porteur de toutes les valeurs légendaires attachées à Persée et à Orphée ? Azucena n’est-elle pas la sœur des sibylles ?

C’est dire que les metteurs en scènes peuvent sans grand mal s’affranchir de la quincaillerie médiévalisante qui avait sa justification au temps de la création du Trouvère mais qui serait plus encombrante qu’autre chose aujourd’hui. C’est l’option adoptée par Louis Désiré, qui n’en n’est pas à son premier Trouvère. Disons-le d’entrée de jeu : pour une fois la mode du noir partout, toujours, en toute occasion et jusqu’à l’indigestion, se justifie pleinement dans cette œuvre très nocturne, ne connaissant comme épisode diurne que l’approche du petit matin. La rupture scénographique est assez nette entre la première partie du spectacle correspondant aux deux premiers actes et la seconde partie. Louis Désiré échappe ainsi au risque qu’on voyait se profiler d’une prise au piège du metteur en scène par la scénographie. Cette première partie est dominée par la centralité de cadres mobiles tendus d’un matériau faisant effet de tulle sombre qui, sans étouffer ni le chant, ni les corps, permet de créer des effets discrets mais très efficaces d’isolement ou de rapprochement des personnages, d’éloignement ou d’échappée vers plus ou moins de clarté ou d’obscurité. La mobilité de ces cadres permet de resserrer ou d’élargir l’espace où se meuvent les personnages avec une belle fluidité. L’efficacité est au rendez-vous dans une œuvre où les personnages essaient sans cesse de se retrouver en dépit des murailles qui ne cessent de surgir.

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Antonio Corianò, Angélique Boudeville et Kamelia Kader © Cyrille Cauvet-Opéra de Saint-Étienne

La seconde partie, au contraire, et de façon un peu paradoxale au premier abord, est marquée par un quasi total dépouillement du plateau, cerné par de hautes parois légèrement convexes, à l’allure métallique, d’un métal sublimé à l’occasion par un éclairage qui le rend comme sécrétant lui-même un rayonnement froid. La verticalité dominante des parois est rompue par l’ouverture d’une saignée perpendiculaire à la rampe, sorte de trappe oblongue qui demeure dominée par un long couvercle à demi relevé et comme prêt à s’abattre sur qui s’y trouve. Il en naît une ombre transversale qui dynamise l’ensemble. Dispositif paradoxal pour un cachot que la banale imagination voudrait réduit, mais en réalité beaucoup plus glaçant parce que semblable à l’intérieur d’un vaste coffre blindé sans issue et écrasant de dénuement.

La liaison entre ces deux atmosphères se fait par le surgissement ponctuel d’une haie dense de bois clair enchevêtré qui est tour à tour enceinte de clôture monacale ou bûcher ardent. Ces épisodes font surgir, en poétique contrepoint, face aux espaces clos omniprésents, tout un ailleurs, un au-dehors entrevu, à peine deviné, tantôt apaisant tantôt terrifiant. La noirceur générale n’en est que plus accentuée.

Le fil rouge, si l’on peut dire, dans toute cette obscure clarté est le voile rouge d’Azucena, tantôt flamme, tantôt enfant porté au sacrifice. Il a la fluidité plastique des symboles liés au feu et à son ambivalence.

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Kamelia Kader et Antonio Corianò © Cyrille Cauvet-Opéra de Saint-Étienne

De même que l’épure signifiante de la scénographie répond à la nécessité de s’affranchir d’une illustration stérilisante, l’adoption pour les masses chorales d’un statisme assumé rend justement au chœur sa fonction d’observateur, de commentateur mais aussi parfois de moteur omniprésent du drame, hors barnum décoratif. On échappe ainsi aux défilés ridicules ou aux piétinements pitoyables du belliqueux chœur « Squilli echeggi la tromba guerriera » par exemple. Aligner en rang d’oignon à la rampe, l’ensemble des choristes hommes, demande au fond un certain culot mais il paie. L’oreille y trouve son compte et le drame n’y perd rien. L’écueil de la trop grande staticité est évité par l’emploi épisodique de comédiens muets mais bougeant bien en parfaits hommes de mains à pectoraux.

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© Cyrille Cauvet-Opéra de Saint-Étienne

Il en va de même pour la direction d’acteurs : elle ne conserve que le strict nécessaire, tout déplacement, tout placement, tout geste est comme dicté par une nécessité intrinsèque. Le chant occupe alors la place et joue le rôle qui sont les siens au théâtre lyrique. Faut-il s’étonner qu’il y gagne en intériorité ?

La dramaturgie demeure fidèle à l’esprit de l’œuvre tout en mettant en avant, dès la première image puis en le soulignant à la dernière, un thème assez peu travaillé d’habitude dans le Trouvère : celui des retrouvailles manquées des deux frères. L’ensemble trouve ainsi une charpente dramatique solide et cohérente.

C’est toujours une gageure que de réunir une distribution pour le Trouvère. Il y faut, a-t-on coutume de dire, les quatre meilleurs chanteurs du monde. On est bien obligé d’imaginer que les meilleurs chanteurs du monde sont plus que quatre, sauf à attendre longuement le miracle.

La production stéphanoise a pour l’occasion mobilisé Antonio Corianò (Manrico), Angélique Boudeville (Leonora), Kamelia Kader(Azucena), Valdis Jansons (Le comte de Luna). Le Manrico de Antonio Corianò possède une indéniable présence scénique. La voix est d’un beau métal capable d’effets dans les aigus mais, toute en vaillance, elle ne semble pas très à l’aise dès lors qu’il s’agit de quitter ce registre. Le dramatique prend parfois un peu le pas sur le lyrique. Cela a du moins pour effet de faire émerger un personnage de fonceur qui ne se vautre pas en roucoulant dans ses états d’âmes. Il trouve la grinta attendue dans son « di quella pira… » et la cabalette qui suit. Il faut reconnaître que Verdi n’a jamais vraiment fait de cadeaux à ses ténors. Son vis-à-vis masculin, archétype de baryton Verdi, est assuré par Valdis Jansons qui laisse le souvenir, dans ce même théâtre, d’un Macbeth convainquant. Son comte de Luna conserve l’humanité propre précisément à nombre de ces barytons. La voix est ronde et nuancée, elle est mise au service de l’intelligence et de l’articulation du texte . C’est le cas bien sûr dans ses airs, avec un « Il balen del suo sorriso… » tout en retenue, mais c’est aussi notable dans ses passages en arioso tout aussi importants bien que moins accrocheurs. On sera plus réservé quant au personnage d’ Azucena. Kamelia Kader tend à glisser dans les travers expressionnistes trop souvent présents chez les mezzos, surtout pour ce rôle. Les ruptures de registre sont brutales avec des graves poitrinés à outrance, le son est souvent tubé et l’articulation plus qu’aléatoire avec des voyelles inconnues de la phonétique italienne et des consonnes escamotées au point que ses « mi vendica ! » ou « il figlio mio », finissent noyés dans la pâte sonore. Heureusement à la scène finale le chant se fait plus nuancé, gagnant beaucoup en émotion et contribuant par là même à la réussite de l’ensemble.

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Amandine Ammirati et Angélique Boudeville© Cyrille Cauvet-Opéra de Saint-Étienne

Indéniablement Angélique Boudeville est le joyau lyrique de cette soirée. On trouve réunis la beauté de la voix, une maîtrise technique éblouissante et un sens époustouflant de la mélodie verdienne. On a ainsi quelques moments magiques où même les tousseurs les plus acharnés passent automatiquement en mode silencieux. Tout l’éventail des nuances se déploie comme coulant de source, la longueur du souffle et sa maîtrise ont un effet empathique rare. Cette Leonora retrouve par moment les couleurs belliniennes encore présentes, comme un reste de parfum suranné, dans la partition verdienne. Le jeu scénique est tout en intériorité avec quelque chose de foncièrement aristocratique.

Amandine Ammirati en Ines est la preuve vivante qu’un rôle épisodique et assez fonctionnel prend une tout autre dimension, lorsqu’il est assuré, comme ici par une interprète à la voix fraîche et franche totalement engagée dans le personnage. Patrick Bolleire affronte lui aussi avec engagement le récit d’ouverture « Di due figli… ».

Les chœurs, préparés par Laurent Touche, si importants dans le Trouvère, sont encore une fois plus que convaincants. Le plaisir du chant y est un ingrédient précieux et la précision de leur articulation réconfortante.

La direction musicale de Giuseppe Grazioli, claire, toute en efficacité mélo-dramatique, se distingue, entre autre par une rapidité des tempos, en particulier, et comme il se doit, dans les cabalettes où il rendent palpable l’urgence dont elles sont porteuses. La symbiose avec les envolées lyriques et la respiration mélodique de Leonora est totale et la soutient littéralement.

Le public a fait un très bon accueil à cette production, réservant une ovation particulière à Angélique Boudeville . Il n’aura pas manqué de noter l’accord entre la rouge flamme des bûchers et les rutilantes chaussures du chef.

Gérard Loubinoux

Direction musicale : Giuseppe Grazioli

Mise en scène : Louis Désiré

Décors et costume : Diego Méndez Casariego

Lumières : Patrick Méeüs

Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire

Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire, dir. Laurent Touche

Coproduction Opéra de Saint-Étienne, Opéra de Marseille

© Cyrille Cauvet-Opéra de Saint-Étienne

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